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TERRE-NEUVE.

n'était pas impossible de trouver pour chacun d'eux une solution également avantageuse aux deux parties.

Nos communs efforts, que n'a pas cessé de diriger un même esprit de conciliation, ont abouti aux accords du 8 avril dont je vous adresse, ci-joint, le texte authentique, en y joignant quelques explications sur leur nature et leur portée.

Les affaires de Terre-Neuve étaient de celles qui, à de nombreuses reprises, avaient donné lieu à des discussions de plus en plus épineuses. L'origine en est lointaine. L'article XIII du Traité d'Utrecht avait abandonné à la Grande-Bretagne, Terre-Neuve et les iles adjacentes. Ce n'était plus que sur la côte occidentale et sur une partie de la côte orientale que nous pouvions venir prendre et sécher le poisson, et seulement pendant le temps habituel de la pêche. Tout établissement sédentaire nous était interdit.

Les difficultés de plus en plus fréquentes auxquelles se heurtait l'exécution du Traité d'Utrecht nécessitèrent, dans le Traité de Versailles, en 1783, une clause spéciale, complétée par la Déclaration du Roi Georges de même date, en vue d'éviter les querelles journalières entre les pêcheurs des deux nations.

Malgré les précautions prises, on peut dire qu'au cours du siècle dernier il ne s'est pas passé d'année où l'exercice de notre privilège n'ait été la cause de réclamations ou d'incidents. La population de Terre-Neuve, qui comptait, à peine, à l'origine à 5,000 âmes, s'est accrue progressivement jusqu'à 210,000 habitants. Dans le désir de ceux-ci de développer les ressources de leur ile, le French Shore leur apparaissait comme fermé à tout progrès; ils ne pouvaient tirer parti d'une région dans laquelle ils espéraient trouver des mines et des terres favorables à l'agriculture, et que nous-mêmes ne pouvions utiliser. C'est ainsi que grandit un mouvement d'opinion hostile à notre privilège. La pression irrésistible des nécessités de l'existence, sous un climat déshérité, vint ébranler chaque jour davantage les barrières des servitudes anciennes et, malgré nos réclamations incessantes, les habitants de l'ile s'établirent peu peu sur une partie du littoral convoité.

à

Notre résistance à ces envahissements devenait d'autant plus malaisée, qu'en mème temps que l'île voyait croître sa population et ses besoins, le nombre de nos pécheurs fréquentant le French Shore diminuait d'année en année. Du chiffre de 10,000 qu'il atteignait dans le milieu du siècle dernier, il descendait à 4 ou 500 à peine pour tomber mème, l'année dernière, à 238. En faveur de ces rares équipages et pour les quelques semaines consacrées par eux chaque année à la pêche dans ces parages, les habitants du pays se voyaient interdire l'accès et la jouissance de près de la moitié du périmètre de l'île.

C'est cet état de choses, impatiemment supporté, qui fit repousser par le Parlement de Terre-Neuve les arrangements négociés entre les cabinets de Paris et de Londres en 1857 et en 1885, en vue de réaliser un compromis entre la rigueur des traités anciens et les exigences de la situation présente.

Le dernier de ces accords contenait une stipulation, qui nous accordait la faculté de l'approvisionnement de la boëtte, c'est-à-dire du hareng, capelan, encornet, etc., nécessaire à la pèche de la morue. Ce fut le motif qui porta le Parement de SaintJean à rejeter l'arrangement de 1885. Dès l'année suivante, il vota même le Bait act

dont l'objet était d'interdire la vente de la boëtte aux étrangers. Cette loi a cessé provisoirement d'être appliquée depuis 1893, mais le Parlement Terreneuvien a établi en 1898 un impôt sur la vente de la boëtte qu'à défaut de stipulation expresse on pouvait craindre de voir appliquer le long du French Shore.

En même temps que la question soulevée par le Bait act, un nouvel élément de contestation surgissait à propos d'une industrie de création récente à Terre-Neuve, celle des homarderies, dont on prétendait nous contester l'exercice au French Shore, parce que le homard est un crustacé et que les stipulations du Traité d'Utrecht ne visent que le poisson. En 1890, un modus vivendi intervint sur la base de l'état de choses existant au 1er juillet 1889. Cet arrangement, essentiellement provisoire et limité d'abord à la campagne de 1890, dut, faute de mieux, être renouvelé depuis lors, parfois à grand'peine. Il aurait suffi d'un refus du Parlement de Terre-Neuve pour susciter d'inextricables complications.

Dans cette situation, la nécessité s'imposait d'une façon pressante de chercher une solution définitive. Nos droits à Terre-Neuve se composaient de deux éléments : la pèche, c'est-à-dire l'usage des eaux territoriales, et le séchage du poisson, c'està-dire l'usage de la côte. Par son caractère exclusif, ce dernier principe était devenu insupportable aux habitants. Nous en consentons l'abandon. Mais il faut remarquer que les circonstances ne sont plus les mêmes qu'au temps du Traité d'Utrecht, le séchage pouvant se faire, et se faisant, en effet, soit à bord, soit, grâce à la rapidité des communications, à Saint-Pierre et Miquelon ou mème en France. Par contre, notre droit de pêche dans les eaux territoriales reste intact, et c'est là l'essentiel. Quant à la pêche sur les Grands Bancs, qui est infiniment plus fructueuse et par suite plus recherchée, elle sera facilitée par la faculté qui nous est désormais garantie de nous approvisionner de boëtte sur toute l'étendue du French Shore. C'est précisément cette pèche au large que le Gouvernement a toujours tenu à encourager comme une des plus utiles écoles de nos gens de mer et une préparation précieuse à l'entraînement naval.

Le homard étant devenu de plus en plus rare par suite de la pèche intensive dont il est l'objet depuis quelques années, il a été convenu que des règlements généraux pourraient être édictés en vue de la prohibition de la pêche de ce crustacé, ou même d'autres poissons, pendant un temps déterminé. Ces règlements nous seront communiqués au moins trois mois avant leur entrée en vigueur. En vue de favoriser la reproduction, il a été stipulé que les engins de pêche fixes ne pourraient être utilisés sans la permission des autorités locales. Mais, afin de prévenir toute contestation à cet égard, nous avons prié le Gouvernement britannique de nous dire ce qu'il entendait exactement par engins fixes. Il résulte d'un échange de lettres entre notre Ambassadeur et le Principal Secrétaire d'État que, d'après la législation britannique, ces mots ne s'appliquent qu'à des établissements permanents. Ainsi nos pêcheurs pourront continuer à faire usage des filets attachés à la côte pour la durée d'une pèche et qui ne constituent qu'un mode passager. Rien ne s'opposera non plus à ce qu'ils installent des casiers à homards, et la pèche de ce crustacé, qui nous avait été jadis contestée et avait donné lieu à de longs débats, se trouve définitivement admise en droit comme dans la pratique.

Outre la pêche proprement dite, nous avons encore au French Shore des intérêts

DOCUMENTS DIPLOMATIQUES.

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AFRIQUE OCCIDENTALE.

dont il devait être tenu compte, ceux des propriétaires de sécheries et de homar-
deries qui se trouvent dépossédés par le fait de la mise en exploitation de la côte jus-
qu'à présent réservée à leurs seules industries. Il y a été pourvu par l'article III de la
Convention du 8 avril qui assure aux propriétaires de ces établissements, ainsi qu'aux
marins employés par eux, une indemnité dont le chiffre sera déterminé
par une Com-
mission d'officiers de marine français et anglais, avec recours éventuel à un surar-
bitre dont le choix appartiendra à la Cour internationale de la Haye. Toutes les
garanties sont par conséquent prévues pour la liquidation équitable des quelques
entreprises dont il s'agit.

On voit que, pour écarter des risques de conflits qui menaçaient de devenir inquiétants, nous ne faisons qu'abandonner à Terre-Neuve des privilèges difficilement défendables et nullement nécessaires, en conservant l'essentiel, c'est-à-dire la pèche dans les eaux territoriales, et en mettant pour l'avenir hors de toute contestation possible un droit précieux, celui de pècher librement, ou d'acheter sans entraves, la boëtte sur toute l'étendue du French Shore.

Ces compensations ne sont pas, d'ailleurs, les seules qui nous soient consenties.

Nous en recevons d'autres, dans l'Afrique Occidentale, d'une importance très appréciable pour le développement de notre empire colonial. Les concessions de l'Angleterre portent sur trois points: la Gambie, les îles de Los et la région comprise entre le Niger et le Tchad.

Larivière de la Gambie constitue une sorte d'anomalie heureuse dans le régime hydrographique du littoral de l'Afrique occidentale. Alors, en effet, que la plupart des cours d'eau y sont presque impraticables une partie de l'année, la Gambie peut, jusqu'à une distance de plus de 300 kilomètres à vol d'oiseau de son embouchure, porter des bateaux de mer. C'est dans cette région, une des principales voies de pénétration fluviale; nous en étions exclus jusqu'à présent.

L'établissement de l'Angleterre sur la Gambie remonte à l'origine même des entreprises coloniales britanniques à la côte occidentale d'Afrique. Dès 1588, on voit la reine Élisabeth octroyer une charte commerciale pour la Gambie à une Compagnie anglaise. Puis, vers le milieu du xvir siècle, Fort-James est construit à l'embouchure de la rivière. En 1783, la France reconnait à l'Angleterre par l'article 10 du Traité de Versailles la possession de Fort-James et de la rivière de Gambie. En 1816, Sainte-Marie-de-Bathurst est fondée, et dix ans plus tard des arrangements avec des chefs indigènes assurent à l'Angleterre les territoires adjacents au cours du fleuve dans sa partie navigable. Enfin, nous-mêmes, en 1857, nous cédions le comptoir d'Albreda enclavé, en face de Sainte-Marie-de-Bathurst, au milieu des territoires anglais et qui constituait le dernier vestige sur ce point des rivalités coloniales des deux nations.

A cette époque toutefois, et dans les années qui suivirent, on songeait moins à acquérir des territoires en dehors des côtes, et l'Angleterre, maitresse du cours navigable de la Gambie, s'occupa plutôt d'exploiter les avantages que lui donnait la possession de cette voie de transit. Mais lorsque, à une époque plus récente, s'annonça le mouvement qui allait diriger vers l'arrière-pays les visées des nations européennes

et étendre à l'intérieur des compétitions territoriales jusque-là cantonnées sur le littoral, on vit, en 1882, se mettre en marche et monter la vallée de la Gambie une mission anglaise dont le plein succès eût fait, de ce qui constitue aujourd'hui la Guinée française, une enclave des possessions britanniques; notre établissement dans le haut bassin du Niger eût été mis en question.

Aujourd'hui, c'est la Guinée qui, par derrière la Gambie et Sierra-Leone, s'est soudée aux autres possessions françaises, et c'est la Gambie qui se trouve enserrée dans nos territoires.

Toutefois, s'il nous fut donné de devancer dans cette région les entreprises étrangères, l'historique succinct qui vient d'ètre fait permettra de comprendre pourquoi nous ne fumes pas à même, lorsque s'ouvrirent, en 1889, les négociations pour le règlement des situations territoriales respectives, d'obtenir un établissement sur la partie navigable du cours de la Gambie. Il n'y avait pas non plus à espérer une cession ou un échange. En 1876, un projet de cette nature avait bien été un moment agité entre les Cabinets de Paris et de Londres, mais l'opinion publique s'était prononcée en Angleterre avec tant d'énergie contre tout abandon de la Gambie qu'il ne fut pas possible d'y revenir.

L'arrangement de 1889 assura donc au Gouvernement britannique une zone de de 10 kilomètres de chaque côté de la rivière entre la côte et le point terminus de la colonie anglaise, qui fut fixé au-dessus de Yarboutenda, en amont des rapides qui nous fermaient absolument le bief navigable.

Il nous est ouvert aujourd'hui : d'une part, en effet, le territoire anglais s'arrêtera désormais au-dessous de Yarboutenda. Nous acquérons ainsi environ 20 kilomètres du cours de la rivière dans la partie représentée comme accessible en tout temps aux bâtiments de haute-mer.

Mais, d'autre part, afin de nous mettre à l'abri d'une de ces surprises trop fréquentes dans des régions encore insuffisamment pratiquées, il a été entendu que dans le cas où la Gambie ne serait pas utilisable jusque-là pour la navigation maritime, un accès nous serait donné sur un point du fleuve accessible aux bâtiments de haute mer.

D'ailleurs nous nous sommes assuré sur la Gambie la jouissance du régime prévu par l'Acte général de Berlin pour garantir sur le Niger la liberté de la navigation, et nous nous sommes en même temps ménagé le bénéfice des applications que nous en avons faites d'un commun accord avec l'Angleterre à la partie anglaise du bassin du Niger par la Convention du 14 juin 1898.

Nous croyons donc avoir tiré de la situation ce qu'elle pouvait équitablement nous donner.

Les îles de Los (autrefois îles des Idolo), que vient de nous céder l'Angleterre, sont au nombre de six, dont trois grandes : Tamara, Factory et Roume, et trois petites appelées ile de Corail ou Yelisoubé, Bonne ou White Island, ile Kid ou Kouraté Minghi.

Situé à moins de cinq kilomètres de la côte, en face du port récemment fondé de Konakry, capitale de la Guinée française, ce groupe en commande immédiatement les accès.

Il y a près de quatre-vingts ans, qu'à la suite de traités passés en 1826 avec des chefs de la côte, l'Angleterre s'était installée aux îles de Los. A cette époque, le commerce européen s'établissait de préférence dans les îles voisines du littoral. Il y trouvait pour ses comptoirs plus de sécurité et de salubrité.

A cet égard, les îles de Los réunissaient comme station d'entrepôt pour le trafic du Fouta-Djallon et du haut bassin du Niger, des avantages qui ne devaient

pas échap

per à nos voisins d'Outre-Manche, bons connaisseurs en pareille matière. Elles offraient en effet un mouillage profond et sûr, un terrain fertile et des ressources en eau potable.

Aussi, lorsqu'en 1882 on reconnut, à Londres et à Paris, que le moment était venu de substituer à l'ancien éparpillement des comptoirs à la Côte occidentale d'Afrique, des groupements homogènes, le Gouvernement britannique, tout en se montrant disposé à nous reconnaître, au Nord de sa colonie de Sierra-Leone, ce qui constitue aujourd'hui la Guinée française, en excepta les îles de Los dont il se refusa catégoriquement à se dessaisir.

Successivement, dans les vingt années qui suivirent, les questions pendantes entre les deux Gouvernements dans cette partie du continent noir se réglèrent, mais les îles de Los n'en demeurèrent pas moins anglaises.

Cet état de choses ne pouvait durer sans dommages pour nous.

On sait l'extension considérable qu'a prise depuis quelque temps le port de Konakry. Son importance parait cependant devoir s'accroître encore à bref délai. C'est déjà aujourd'hui un des points les plus fréquentés de la Côte occidentale d'Afrique, mais ce sera demain aussi la tête de ligne de la voie ferrée actuellement en construction, et qui en fera le débouché de la vallée supérieure du Niger ainsi que des riches régions avoisinantes.

Au point de vue commercial, les îles de Los ont été, dès lors, pratiquement annihilées. Mais comme elles sont, par leur situation mème le complément indispensable de notre nouveau port, elles se trouvent avoir acquis ainsi pour nous une valeur nouvelle et bien plus grande encore. Ce groupe borde, en effet, sur une longueur de plusieurs kilomètres et juste en face de Konakry le chenal d'accès de ce port qu'il domine et auquel il forme comme une sorte de digue et de brise-lames naturel. C'est l'emplacement nécessaire des signaux d'éclairage et de balisage destinés à compléter ceux du port lui-même et dont l'existence est essentielle à la sécurité de ses abords. Or, jusqu'à présent, nous ne pouvions rien faire aux îles de Los, ou tout au moins dépendions-nous du bon vouloir d'autrui.

D'autre part, si ce groupe avait perdu son importance comme station commerciale, il n'en avait pas moins conservé tous ses avantages maritimes. L'Amirauté anglaise restait toujours maîtresse d'utiliser les îles de Los pour y créer en eau profonde une station navale. A tout moment nous pouvions y voir mouiller des bâtiments de la marine militaire britannique. En outre, les hauteurs qui s'élèvent sur les deux îles principales de Tamara et Factory tiennent sous leur commandement la côte basse et marécageuse de Konakry. De ces sommets on eût pu balayer sans risque tous nos établissements.

Telle est la situation dont nous venons de nous affranchir. Tels sont les avantages et les sécurités que nous venons d'acquérir.

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