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Dans cinq sermons, dirigés contre Marcion, Bardesane et Mani et publiés en 1912, d'après un palimpseste, par C. W. Mitchell, saint Ephrem déclare que ces trois hérétiques professent au fond une même doctrine et ne diffèrent entre eux que sur des détails d'intérêt secondaire. Son témoignage est d'autant plus important qu'il a lu de près les auteurs dont il parle et que sa critique en rappelle maints passages sous forme d'allusions.

M. de Faye, qui connaît bien les textes grecs et latins concernant le gnosticisme, ne se réfère jamais à saint Ephrem. Peut-être eût-il, été amené, s'il l'eût mis à profit, à se représenter tout autrement la position de Marcion et celle de Bardesane. Il se refuse, avec M. Nau, à voir dans le second un vrai gnostique et il n'attribue au premier, avec Harnack, qu'un gnosticisme très atténué et nullement spéculatif ». Ces thèses sont loin d'être aussi bien établies qu'il le donne à penser et elles vont à l'encontre d'attestations très sûres. En ce qui concerne plus spécialement Marcion, les textes grecs et latins, si on les lit sans idée préconçue, font d'ailleurs clairement entrevoir que son exégèse et sa morále s'appuient sur une dogmatique très ferme, d'une inspiration nettement dualiste et très voisine de celle des autres grands gnostiques. Justin, qui parle déjà de lui dans son Apologie et qui le présentait avec plus de détails dans son traité perdu << contre les hérésies », le met sur le même plan que Simon et Ménandre et ne parle de lui qu'à propos de sa conception du Démiurge et du Dieu bon.

Si l'on tient compte de ces remarques, l'on sera amené à se faire de l'ensemble du gnosticisme une idée assez différente de celle qu'en propose M. de Faye. Comme il ne veut se le représenter qu'au moyen de citations très fragmentaires, il n'y voit qu'un vaste fourmillement de doctrines très dissemblables. En nous laissant guider, avec la réserve voulue, par les rapports des premiers auteurs ecclésiastiques qui en ont fait une étude spéciale, nous serons plutôt frappés par les traits communs qui s'y montrent toujours et qui donnent aux systèmes les plus divergents un même air de famille. Pour M. de Faye, qui ne veut tenir aucun compte des sectes archaïques dont aucun texte n'est resté,

« les vrais créateurs du gnosticisme surgissent vers l'an 130 ». Tenons nous en aux rapports que les témoins les plus anciens et les mieux informés nous fournissent sur lui. Il nous apparaîtra aussi ancien que le Christianisme lui-même. Basilide, Valentin, Marcion, malgré leur incontestable talent, ne feront plus figure de « créateurs ». Ils se présenteront plutôt comme des conservateurs vigilants de traditions déjà vieilles, qu'ils interprétaient doctement pour les mieux maintenir, comme les théologiens d'une Eglise vivante dont ils enrichissaient le dogme en l'expliquant.

Le litige, on le voit, est aussi radical que possible. Il le serait sans doute beaucoup moins si le gnosticisme était seul en question. Mais, à son occasion, c'est tout le problème des origines du Christianisme qui se trouve posé et les solutions que l'on adopte sur un point ont leur répercussion sur l'autre. Si l'on voit seulement dans l'Eglise primitive un groupe d'âmes de bonne volonté qu'unissait un même amour confiant à l'égard du Père céleste manifesté en Jésus et par lui, l'on sera naturellement amené à considérer les conventicules gnostiques comme de simples chapelles qui se sont construites plus tard sur ses côtés. Si au contraire l'on commence par regarder les premiers chrétiens comme des adeptes de cette « sagesse cachée », de cette science du salut, que révèlent déjà les épitres pauliniennes, l'on se dira que le Gnosticisme est à la base même du Christianisme. M. de Faye s'en tient au premier point de vue, brillamment exposé par Harnack. On peut préférer le second.

Une autre cause de désaccord, qui concerne plus particulièrement les grands gnostiques, est mise en relief par M. de Faye dès le début de son livre. L'interprétation traditionnelle qu'on donne de leurs doctrines est, dit-il, intenable, parce qu'elle amène à n'y voir que « les élucubrations d'imaginations en délire....., un monument d'incohérences, de contradictions, de fantasmagories....., un phénomène d'aberration mentale ». Nous irions loin et toute l'histoire des religions et des théologies serait à refaire si nous devions en écarter les phénomènes d'aberration mentale,

les monuments d'incohérence et les élucubrations d'imaginations en délire. Il faut reconnaître aux grands maîtres le droit de se tromper grandement. Mani a révolutionné l'Orient et l'Occident. Ses adversaires n'ont pourtant pas eu tout-à-fait tort de le présenter, d'un jeu de mot qui a fait fortune, comme un << maniaque et saint Augustin a beau jeu quand il reproduit telle page de son Trésor pour s'égayer de ses extravagances. Rien ne prouve que Basilide et Valentin, dont le succès a été beaucoup moins grand, se soient montrés bien supérieurs à lui. Tous ces esprits étaient de la même famille. Vivant dans un monde idéal tout rempli de chimères, ils s'appliquaient de leur mieux à en faire le tour pour s'y bien orienter. Ils ont dépensé des trésors d'intelligence à systématiser des traditions ineptes. Tàchons de nous placer à leur point de vue. Nous les comprendrons beaucoup mieux et leurs thèses les plus déraisonnables nous offriront une apparence de raison. Mais gardons-nous bien de leur attribuer nos façons de penser. N'allons pas nous les représenter comme des philosophes épris d'idées claires et de déductions logiques. La « sagesse du monde » leur paraissait une « folie ». Aussi n'est-il pas étonnant que leur doctrine nous semble assez peu sage. A vouloir l'interpréter trop favorablement, on risque de la fausser. M. de Faye eût gagné à se prémunir davantage contre ce danger. On sent trop en le lisant qu'il incline à considérer ces grands maîtres du gnosticisme, devenus des « hérétiau regard de l'Eglise orthodoxe, comme des ancêtres lointains qui tendaient, avec leur esprit éclairé, à une conception christianisme analogue à celle des protestants libéraux. L'étude qu'il leur consacre n'en rendra pas moins, dans sa seconde édition comme dans la première, des services précieux. Elle groupe et met en valeur des matériaux épars, d'un abord difficile. D'autre part elle abonde en remarques très justes, dont on pourra tirer profit, même si l'on n'en approuve point le cadre général. C'est précisément en raison de sa valeur que j'ai cru devoir formuler à son sujet quelques réserves utiles.

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Prosper ALFARIC.

LA LITTÉRATURE RÉCENTE SUR JACOB BOEHME

Le tricentenaire de la mort de Jacob Boehme a provoqué en Allemagne une recrudescence d'intérêt pour les œuvres et la doctrine du célèbre Theosophus teutonicus. En 1922 déjà paraît dans la collection Dom (Inselverlag, Leipzig) un choix de textes par Hans Kayser ainsi qu'une reédition des Sex puncta Theosophica (Insel Bücherei, No 332). On parle maintenant d'une nouvelle édition complète de ses œuvres; on a même, semble-t-il, l'intention de faire paraître le fameux commentaire de DIONYSIUS FREHER, dont les 25 volumes (manuscrits) sont pieusement conservés à Londres. Une Boehme Gesellschaft est en formation. Après une éclipse passagère, Jacob Boehme revient à l'ordre du jour, et les historiens allemands recommencent à reconnaître ce que la pensée allemande doit au cordonnier de Görlitz.

La ville de Görlitz a, en l'honneur de son célèbre concitoyen, publié un fort intéressant recueil de documents biographiques et historiques, inédits pour la plupart jusqu'ici. Nous en rendrons compte dans un des fascicules suivants de cette Revue. En outre, plusieurs monographies furent consacrées à la biographie et à l'analyse de la doctrine du théosophe.

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M. PAUL HANKAMMER (Jacob Boehme, Gestalt und Gestaltung, Bonn, F. Cohen, 1924, p. 430) essaie de refaire ou de faire — une image de Boehme « valable pour notre époque ». Il lui semble évident que l'image que s'en faisaient les romantiques ne vaut plus rien aujourd'hui. M. Hankammer, s'applique donc à dégager « ce que Boehme doit représenter pour notre temps » ;

l'importance que sa doctrine et sa personne pourraient et devraient avoir pour nous.

Je ne crois pas que M. Hankammer ait réussi; d'ailleurs j'estime qu'il ne pouvait réussir s'étant posé un but parfaitement faux. Il est certain que chaque époque se forme une «< image >> interprétative des grandes doctrines et des grands personnages du passé, mais ces images ne sont valables pour leur époque qu'à condition de ne pas être consciemment « fabriquées» comme images. M. Hankammer, en voulant de la théorie historique de Dilthey faire une recette pratique, a fauss le sens de la doctrine et n'a obtenu qu'une fausse recette. I a, à mon avis, faussé aussi l'image du théosophe en sa vérité historique. Toutefois, M. Hankammer répondrait peut-être que la « vérité historique » n'est qu'un mythe, ou que la véritable doctrine de Jacob Boehme se constitue justement dans le processus de ses interprétations. Quoi qu'il en soit, M. Hankammer néglige de propos délibéré tout le côté religieux, confessionnel même de la pensée de Boehme, et accomplit ainsi le tour de force d'en faire l'exposé Ou construction interprétative?

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sans mentionner même la lutte acharnée de J. Boehme contre la prédestination et la justice imputative, ces deux bêtes noires du théosophe.

Pour M. Hankammer, Boehme s'explique par trois paires d'oppositions-tensions qui sont unies et surmontées en lui. Nation et Catholicité (« Boehme le premier homme vraiment catholique après Maitre Eckhart »); Orient et Occident: « les deux forces qui luttent à l'intérieur de l'âme allemande » ; Renaissance et

impose

Baroque: l'élan vital, l'exubérance de la vie chaotique débordant et brisant les cadres et les formes et la maitrisation de cet élan ; la domination du chaos par la puissance ordonnatrice qui lui une borne et une limitation (Gestalt und Gestaltung). Le dernier point est certainement très juste, et la comparaison de M. Hankammer (Renaissance et Baroque) permet, en effet, de se rendre compte de l'existence de deux types différents de vitalisme et de voir d'une manière plus claire ce qui distingue Boehme d'un Giordano Bruno ou même d'un Paracelse. Les autres ne sont

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