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Ce sont encore des régions inhabitées; mais ce ne sont plus les sonores déserts. Et c'est fini des jeux de lumière, des mirages. Fini aussi, des étrangetés géologiques: les collines ont des formes ordinaires et des nuances connues où le vert bientôt dominera. Le ciel se ternit de vapeur d'eau, la brise est molle et l'horizon s'embrume. De plus en plus, l'herbe s'étend; d'heure en heure, nous la trouvons épaissie; le soir, toutes les collines sont vertes... Bientôt ce sera Chanaan, la terre propice à l'homme, la terre« où coulent le miel et le lait », au lieu de ces resplendissantes solitudes défendues, d'où nous sortons, qui nourrissent à peine le Bédouin maigre et pillard...

On entre enfin en pleine terre humaine :

Le vert, le vert nouveau continue de s'accentuer de tous côtés... La vie monte, monte de partout à la fois, nous entoure, nous envahit et nous reprend, nous qui arrivons des étranges pays de la mort. Le soir, nous remontions les premiers champs semés de main d'homme et plus magnifiquement verts que toutes les précédentes prairies...

Vendredi saint. Au chant des alouettes, nous nous éveillons parmi les herbages et les fleurs, dans l'immense plaine verte sous un ciel tendu d'un voile gris perle, d'où bientôt tombe un peu de pluie... Aujourd'hui même, nous entrerons en Palestine.

Au bout de cette plaine verte et de ses champs d'orge, c'est Gaza, et ses jardins, et son port écarté, sur le rivage de la mer que les Egyptiens appelaient la Très-Verte. Passant leur vie entre les rivages torrides de la Mer Rouge et les rivages humides de la Mer Verte, à travers un pays d'altitudes diverses, où les plateaux sont à quelques centaines de mètres et les sommets à deux mille ou trois mille mètres au-dessus du niveau marin, les nomades ont toujours eu besoin de solides et épaisses toisons, de pelleteries ou de gros lainages pour se défendre contre les pluies glacées, la neige et le gel. Pierre Loti décrit l'une de ces tempêtes de printemps dans le massif de Sainte-Catherine:

Un vent glacé se lève, venant d'en face, des contreforts du Sinaï : il nous inonde de pluie fouettante, de neige fondue, de grésil; nos

chameaux crient et tremblent de froid; nos légers vêtements de laine blanche, nos minces souliers d'Arabe, tout est vite traversé par l'eau ruisselante, et nous voici tremblants nous-mêmes, les dents serrées, les mains douloureuses et inertes, transis mortellement... Nos Bédouins allument un feu de menues branches aromatiques, qui donnent une grande flamme et une grande fumée. Avec leurs membres nus et noirs, leurs haillons de pelleterie, leurs têtes sauvages, leurs accroupissements de singes, ils ont l'air de préhistoriques autour d'une flambée primitive...

La Terre Rouge était pour les Hébreux la Terre d'Edom: nous avons soit la traduction égyptienne soit, peut-être, l'original dans le To-Doshiri des inscriptions hieroglyphiques.

Pour le Pays Vert, les Hébreux avaient-ils de même un terme général ?

Le seul texte où figure un nom de lieu de cette couleur est dans Josué XIX 46 le territoire primitif de Dan a pour limite à l'Ouest (<«< vers la mer ») « les Eaux Vertes, voisines de Joppé » : avec un beau calembour les Septante ont transcrit en Hierakon, lepáxov, le mot vert du texte, iraqon, car toutes les langues sémitiques ont cette racine i. r. q pour désigner la couleur verte du sol, des eaux, des plantes, de l'or ou des tissus.

De même pour le Pays Blanc, l'Ecriture ne nous donne aucun terme, semble-t-il. Pourtant, les Edomites, dit-elle, avaient comme prédécesseurs, voisins ou confédérés, les Khorites.

Les Modernes traduisent d'ordinaire ce mot par « Troglodytes » khor, en effet, peut signifier le trou, en particulier les trous de la roche moins profonds que la caverne (megara). Les Bédouins du Sinaï, se fixent parfois en des villages temporaires ou durables, dont ils adossent volontiers les huttes de pierres ou de roseaux aux parois verticales des oueds, aux redans des falaises, ou qu'ils enfoncent sous tout abri que la roche peut leur offrir les monuments de Pétra, mi-engagés dans la montagne, sont la forme artistique de ces habitations rupestres. Jérémie, disent certains, en parlait déjà, quand il raillait les gens d'Edom des « trous de rochers » et des « nids d'aigle »,

dans lesquels ils mettaient leur confiance. Les Septante et la Vulgate traduisent ainsi le texte du Prophète: τρυμαλιάς πετρῶν, cavernas petrarum. Mais le texte hébraïque ne parle en vérité que des replis de la falaise et des hauteurs du plateau, dans les quels et sur lesquelles Edom avait caché ou juché sa ville de La Roche.

«

Les Egyptiens, qui appelaient certains de leurs voisins lountiou, Troglodytes», n'ont jamais songé à donner ce nom aux peuples du Sinaï et des régions voisines (1). Ils avaient transcrit en kharou le khor des Hébreux et l'avaient étendu de proche en proche jusqu'aux régions les plus lointaines de notre Syrie. Je crois que khor-kharou était à l'origine le Pays Blanc toutes les langues sémitiques ont, en effet, pour cette couleur la racine kh.r ou kh.ou.r, d'où les Anciens et les Arabes ont tiré le nom de leur Haouran, notre Hauran. Mais je crois qu'Edom était le Pays Rouge et que les Hellènes traduisirent en Phoinikes, « les Rouges », le nom de ces Edomites qu'une émigration, vers le XXVIIIe siècle avant notre ère, avait amenés des terres et rivages sinaïtiques à la frange maritime du pays d'Aram.

V. BÉRARD.

(1) Cf. G. Maspero, Hist. anc., I, p. 355 « Les ouvriers de Pharaon parlaient de cette région comme de Bait, la Mine par excellence, ou de Bibit, la contrée des Grottes, à cause des galeries nombreuses que leurs prédécesseurs y avaient creusées : le nom d'Ouady Magharah, Vallée de la Caverne, par lequel on désigne le site aujourd'hui, traduit simplement en arabe le vieux terme égyptien. La forme même du nom égyptien paraît être demeurée à l'un des ouadys secondaires, l'Ouady Babah. » Le sens du mot Intiou a été contesté, cf. Cambridge ancient History, I, p. 262 : « The Intiu, whose name should mean « pillar-folk », probably represent the main stock of the hamitic Nilotes who, it may be presumed, gave the Semites their worship of sacred trees and pillars, baetyli. » Dans Strabon et Diodore, qui copient le Périple grec de la Mer Rouge. (Geogr. graec. min., I, p. 175), les Troglodytes occupent le rivage occidental de la Mer Rouge, à l'opposé des Arabes. τοὺς Αραβας τοὺς τὸν κόλπον ἀφορίζοντας καὶ ἀντικειμένους τοῖς Τρωγλοδύταις (Strab., XVI, 4, 18).

J.-J. BACHOFEN

Son œuvre et sa méthode d'après un livre récent. (1)

Il n'est pas étonnnant que peu de bibliographes se soient aventurés jusqu'à donner leur avis sur l'important ouvrage consacré par Carl-Albrecht Bernoulli à son compatriote bâlois JohannJakob Bachofen. Ce n'est pas l'étendue du travail qui les effraie. La peine en serait compensée par le très grand agrément du style éloquent et savoureux de C.-A. Bernoulli. Et cette étendue n'est pas disproportionnée à l'importance du sujet. On voit le livre s'avancer toutes voiles dehors, comme un grand navire dionysiaque, qui revient du pays des morts et qui vous porte avec gravité et douceur.

La difficulté du livre consiste dans la multiplicité des compétences qu'il suppose et que Bernoulli réunit avec aisance, même quand il s'en défend. Il faudrait avoir assimilé toute l'archéologie grecque, le droit grec, le droit romain primitif, et ses variétés étrusques, osques, ombriennes. Le droit des peuples asiatiques anciens et la civilisation égéenne, il faudrait n'en rien ignorer.

(1) Carl-Albrecht Bernoulli, Johann-Jakob Bachofen und das Natur symbol. Ein Würdigungsversuch. - Benno Schwabe und C°, Basel, 1924, 697 pp. gr. in-8o.

Il faut ajouter un choix substantiel Johann-Jakob Bachofen, Urreligion und antike Symbole, 3 vol. in-16, Leipzig, chez Philipp Reclam junior, 1926, t. I, 511 p.: - t. II, 524 P.; t. III, 522 p. avec de belles illustrations, et d'excellentes introductions de C.-A. Bernoulli.

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Chemin faisant on aborde d'importantes considérations d'ethnographie et de folk-lore. Comment en être juge? Mais le livre traite aussi d'un fragment notable du romantisme historique, juridique et religieux en Allemagne. Il contient peut-être une théorie intégrale du romantisme. Enfin C.-A. Bernoulli tire de Bachofen une psychologie générale des faits religieux et une métaphysique dont il estime qu'elles ne sont pas périmées. C'est par cet aspect que son ouvrage relève de l'histoire des idées allemandes, car il en interprète l'évolution passée et en pronostique l'orientation prochaine.

I

Quand le livre de Bernoulli n'apporterait qu'une monographie de Bachofen, un récit de sa vie, de ses fréquentations à Bâle, il serait déjà, venant d'un historien aussi familier avec le passé de la vieille république et de l'Université de Bâle, un apport très précieux. Bachofen, homme très fortuné, a considéré ses fonctions de magistrat à la Cour d'Appel, puis de professeur, comme un devoir patricien envers sa ville natale. Un milieu où ont enseigné Johannes Schnell et Agathon Wunderlich, l'historien F.-D. Gerlach, les théologiens de Wette, J.-G. Müller, Franz Overbeck, le grand historien de l'art Jakob Burckhardt, et enfin Nietzsche, que Bachofen a connu et partiellement inspiré, n'a pas été intellectuellement médiocre. On suit avec intérêt le mouvement des idées dans une cité aisée et ouverte aux nouveautés. Ce n'est pas le lieu ici de décrire cette partie très colorée de l'ouvrage.

Il est très remarquable, mais très naturel, que Bachofen ait débuté par le droit romain. Ce début convenait à un élève de Savigny. Il est non moins remarquable qu'il ait passé du droit romain à l'histoire des religions antiques. On se souvient que Fustel de Coulanges a suivi le même chemin. Tous deux, Bachofen et Fustel, sont des esprits d'une structure diamétralement opposée à l'esprit de Mommsen. Fustel n'a pas engagé de bataille

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