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ou moins flottante de gens bien disposés, favorables à Jésus mais qui n'ont cependant pas pris nettement parti pour lui et qui ne reçoivent pas ses directions avec une entière docilité. La distinction entre les cent cinquante esclaves et la masse pourrait bien répondre à cette idée des évangélistes qui, dans une large mesure, doit refléter ce qui s'est passé en réalité.

Il reste cependant et c'est assez frappant que dans le texte slave il n'est pas question des apôtres. Comment un auteur familiarisé avec les évangiles pourrait-il avoir parlé de Jésus sans faire d'eux la moindre mention? Ce fait, étonnant au premier abord, s'explique par la manière dont l'auteur du fragment slave s'est représenté les choses. Comment aurait-il pu parler des apôtres alors qu'il ne pouvait leur faire jouer aucun rôle dans l'histoire telle qu'il se la représentait? Il nous montre les partisans de Jésus voulant déterminer leur maître à une action politique à laquelle il se refuse. Il ne pouvait faire intervenir ici les apôtres qui, loin de pousser leur maître en avant, s'étaient enfuis à l'heure du danger. Il était impossible, d'autre part, de les mettre en contradiction et en conflit avec Jésus. Une seule chose restait possible pour l'auteur de notre fragment, c'était de les passer sous silence. C'est ce qu'il a fait. L'omission des apôtres est donc en relation avec la manière dont l'auteur slave présente l'histoire de la passion.

L'idée fondamentale du texte, celle d'une dénonciation de Jésus aux autorités romaines par les chefs des Juifs, vient directement de la tradition évangélique sous sa forme johannique; elle est d'ailleurs inhérente à l'idée sur laquelle repose toute la tradition, à savoir celle d'une condamnation juive confirmée par une sentence romaine. Et le fait que cette idée paraît bien être une construction apologétique substituée à ce qui paraît s'être réellement passé, c'est-à-dire à la condamnation de Jésus par l'autorité romaine de sa propre initiative, met nettement le document slave sous la dépendance de tradition chrétienne.

Considéré en lui-même, le récit du fragment slave apparaît donc comme ayant un caractère composite. Ce qu'il con

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tient de plus original est l'idée d'une double étape dans l'histoire de la passion, c'est-à-dire d'un procès régulier qui se termine par l'acquittement de Jésus et qui est suivi, non pas à proprement parler d'un second procès, mais de manœuvres souterraines des Juifs qui obtiennent, à prix d'argent, la permission de faire mourir Jésus. Pour commencer par ce qu'il y a de plus manifeste, une première raison de douter de l'exactitude de ce récit est qu'il donne simultanément deux explications de la mise en liberté de Jésus. Il est dit, à la fois, que Pilate le remet en liberté parce qu'il a reconnu que c'est un homme de bien dont l'action ne présente aucun danger et qu'il lui rend la liberté parce qu'il a guéri sa femme qui était à la mort. Ces deux explications qui sont simplement juxtaposées, sans même qu'il y ait un essai de combinaison entre elles, ne sont que la reprise et le développement d'indications très précises qui se trouvent déjà dans la tradition évangélique. La première explication, la mise en liberté de Jésus parce que son innocence a été reconnue, n'est que la conclusion logique des multiples proclamations de son innocence que les évangélistes se plaisent à mettre dans la bouche de Pilate et qui, à mesure qu'on avance dans l'histoire de la littérature évangélique, prennent une précision de plus en plus grande. La mise en liberté de Jésus n'est pas, dans le fragment slave, le souvenir d'un fait réel car il n'y a aucun indice qui permette de supposer une double étape dans les événements qui ont amené la mort de Jésus et qui autorise à conjecturer, avant la condamnation, un premier procès terminé par un acquittement. En outre cette libération ne sert à rien puisque, sans qu'aucun fait nouveau soit intervenu, les Juifs obtiennent, à prix d'argent, la permission de faire mourir Jésus.

Le second motif donné à la mise en liberté de Jésus, la guérison de la femme de Pilate n'est que le développement de l'épisode du songe de la femme de Pilate rapporté dans Matthieu (27, 19) (1), développement qui, on le sait, fait partie de l'éla

(1) Un développement analogue se trouve dans la Vita Beatae Virginis

boration apologétique du récit de Marc par Matthieu et qui, à son tour, a servi de point de départ à une abondante floraison légendaire.

Il faut ajouter encore qu'il y a quelque chose de contradictoire dans les sentiments prêtés aux Juifs. Quand ils dénoncent Jésus à Pilate, il semble que ce soit parce qu'ils craignent, si les partisans de Jésus se livrent à une tentative d'émeute, d'être compris dans les mesures de répression qu'elle ne manquera pas de provoquer de la part des autorités romaines. Leur seconde intervention est, au contraire, déterminée par la jalousie à l'égard de Jésus et par le désir de le perdre. Ce second motif intervient évidemment, par une sorte de surcharge, pour conduire à sa conclusion l'histoire du procès de Jésus qui en avait été détournée par le développement jusqu'à ses extrêmes conséquences logiques du thème de Pilate témoin de l'innocence de Jésus.

Dans l'ensemble, il nous semble donc que la manière dont le texte slave présente les choses n'est qu'une forme de la construction du récit de la passion destinée à attribuer aux seuls Juifs la responsabilité de la mort de Jésus en innocentant autant que possible les Romains.

On objectera peut-être à notre interprétation que, si la caractéristique essentielle et en même temps l'explication du récit slave était bien la tendance à innocenter Pilate, on comprendrait difficilement que le même Pilate soit, dans la suite, présenté sous un jour très fâcheux et accusé de vénalité. Pour expliquer ce fait, il suffit de rappeler qu'ainsi que le montre la formule du symbole, Ponce Pilate était trop étroitement associé au souvenir de la mort de Jésus pour que son nom pût être effacé de l'histoire de la passion. Quelle que fût l'insistance que l'on mettait à affirmer que Pilate avait solennellement proclamé l'innocence de Jésus, il n'en restait pas moins qu'il avait ordonné ou du moins autorisé sa crucifixion. Le mode de conciliation des deux

Mariae et Salvatoris rhytmica (xш° siècle), ed. Vögtlin (Bibliothek des literarischen Vereins in Stuttgart, Band 180), Tübingen, 1888, vers 4762 SS.

éléments imaginé par la tradition évangélique (Pilate cède à la pression du peuple) ne pouvait pas servir ici puisqu'il avait été dit que, malgré les Juifs, Pilate avait remis Jésus en liberté. On ne voit pas bien quelle autre explication que la vénalité l'auteur du fragment slave aurait pu trouver pour expliquer l'attitude de Pilate. En développant cette explication, il a d'ailleurs transposé et combiné plutôt qu'inventé. Les trente talents rappellent invinciblement les trente pièces d'argent données à Judas (Mt., 26, 15) mais, si l'on peut s'exprimer ainsi, mises à l'échelle du personnage qu'il s'agissait d'acheter. D'autre part, l'idée de la vénalité de Pilate n'est pas propre à notre texte; on la trouve ailleurs, par exemple chez Philon (1) pour qui la dépendance à l'égard du fragment slave est impossible, chez Jean d'Antioche et le chroniqueur Malalas (2) et dans certains apocryphes récents comme l'Epistola Tiberii ad Pilatum (3) et la Vita Beatae Virginis Mariae et Salvatoris rhytmica qui date de la première moitié du XIIIe siècle (4). Ces textes, sans doute, peuvent être postérieurs au fragment slave mais leur dépendance à son égard est des plus invraisemblables et ne peut être admise que par une conjecture toute arbitraire puisqu'il n'y a aucun indice qui permette de supposer, encore moins d'affirmer que la version slave ou son original aient été connus dans les milieux où ces textes ont été composés.

L'idée de la vénalité de Pilate n'a ainsi rien d'original ni de primitif. Elle n'est pas telle qu'on ne puisse la comprendre que dans un texte qui aurait conservé un souvenir direct des faits.

Ce que notre texte dit du massacre des partisans de Jésus par les soldats de Pilate se rattache aussi mal que possible à ce qui est raconté de l'interrogatoire de Jésus. Peut-on concevoir que

(1) Philon, Leg. ad Cajum, M. II, p. 590.

(2) Fragm. 81 apud C. Muller, Fragmenta historicorum, Paris, 1851, IV, p. 571.

(3) James, Apocrypha anecdota, II, Cambridge, 1897 (Texts and Studies, V, 1), p. 78-79.

(4) Vita... vers 4786 ss.

Pilate qui a l'habitude d'agir à l'égard des Juifs avec la brutalité que caractérisent les deux épisodes rapportés dans le même chapitre de la Guerre Juive, agisse comme il est censé de le faire ici quand il reçoit une dénonciation aux termes de laquelle des gens se préparent à proclamer roi un personnage qui s'y refuse, c'està-dire intervienne d'une manière brutale et impitoyable sans même un commencement d'enquête contre des gens qui, après tout, ne sont que des comparses (1) et, en même temps, traite avec ménagement et en toute équité le personnage principal qui, bon gré mal gré, est infiniment plus dangereux que ses partisans et contre lequel il aurait été tout naturel de sévir en premier lieu pour couper à sa racine le mouvement naissant. Le récit du texte slave n'est donc pas cohérent. On ne peut l'expliquer que par la combinaison de deux éléments qui se trouvent dans la tradition évangélique, l'idée que les Juifs craignant les conséquences possibles d'un succès de Jésus prennent une mesure de précaution et sa comparution devant Pilate avec un récit forgé à l'imitation des deux épisodes entre lesquels le fragment est inséré dans la version slave de la Guerre Juive.

Notre morceau relate encore la crucifixion de Jésus par les Juifs. Ici, cela n'est pas douteux, nous avons affaire à un renseignement qui ne peut pas être historique. Mais il est facile de voir d'où il vient et il n'est nullement nécessaire pour l'expliquer de supposer une surcharge du texte primitif. L'idée de la crucifixion de Jésus par les Juifs peut avoir été directement suggérée par Jean, 19, 16 où on lit: « Alors il (Pilate) le (Jésus) leur (aux Juifs) livra pour qu'il fût crucifié ». Les choses sont plus nettes encore dans l'évangile de Pierre où c'est Hérode qui paraît présider au jugement et à l'exécution de Jésus puisque c'est lui qui, en le faisant emmener, donne cet ordre : << Faites lui tout ce que je vous ai commandé de lui faire » (2) et que, lorsque Joseph d'Arimathée vient demander le corps du supplicié à Pilate,

(1) Et dont on se demande à quoi il les reconnaît puisque le projet d'émeute n'a pas encore reçu un commencement d'exécution.

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