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tères sont conçus et sentis comme caractères totémiques par les totémistes. Quelle que soit l'origine des sculptures sur bois des tribus de la Colombie Britannique, quelles que soient les sources de leurs mythes et de leurs cérémonies de clan, ces traits sont pour ces tribus l'expression de leur totémisme. Les cérémonies magiques des Australiens sont indissolublement tissées pour eux dans leur cercle de participation totémique. Et ainsi de suite pour tous les autres caractères et pour tous les autres complexes totémiques. La comparabilité réelle des organisations totémiques est ainsi basée sur deux faits d'une part, sur la consolidation des caractères totémiques par leur fusion avec une forme définie d'organisation sociale, qui est l'association totémique; et d'autre part, sur la réinterprétation des caractères conformément à l'esprit de l'intermédiaire totémique, qui est l'assimilation totémique.

« Les complexes totémiques doivent donc être compris comme étant le produit de développements convergents à trois points de vue distincts: les caractères séparés des différents complexes entraînent la convergence; les structures sociales totémiques typiques, avec leurs caractères qui se développent différemment dans les divers complexes, entraînent la convergence; enfin l'atmosphère totémique, avec ses caractères psychiquement transformés, entraîne la convergence. Des complexes analogues pourraient être discernés dans les systèmes féodaux, les périodes révolutionnaires, les guerres, les paniques financières »1.

Si l'on traduit en clair les considérations cryptographiques de Goldenweiser on voit qu'elles se ramènent soit à des banalités, soit à des inexactitudes. Il est bien naturel que si je trempe dans un bain d'aniline violet un œuf, un morceau de bois, un fragment de cuir, un écheveau de soie et un paquet de laine, je sortirai du bain des objets tous teints en violet et qui, cependant, auront conservé leurs caractères intrinsèques fondamen

1) Goldenweiser, Limited possibilities, p. 279-280.

taux. De même, étant donnée une société totémique, tout phénomène individuel ou social qui naîtra dans ce milieu, ou y pénétrera en venant de l'extérieur, prendra la teinte totémique. Goldenweiser ne dit en somme pas davantage; nommer ce processus social adaptation, ou assimilation, et son mécanisme convergence, ce n'est encore que rester à la surface des faits.

Ehrenreich du moins, qui avait été zoologiste et biologiste avant que de s'adonner à l'ethnographie, prenait le terme de convergence dans son sens strictement scientifique, et désignait par là une catégorie spéciale de rapports, dont il indiquait les conditions de formation et d'action. De même Richard Andree' avait bien compris le sens des remarques d'Ehrenreich; Ridgeway avait étudié d'abord la convergence chez diverses races de chevaux transportées dans certains milieux et en avait déduit une série de possibilités pour la formation des races humaines. Enfin, en délimitant à l'intérieur de la vaste et mouvante catégorie des cérémonies et rites magico-religieux une catégorie particulière que j'avais proposé de nommer Rites de Passage, (1909) j'avais parallèlement tenté de définir les conditions, et même les nécessités sociales, qui déterminent, quelles que soient la race et la forme de société, certaines ressemblances formelles, certaines séquences et certains rapports immuables qu'avait dégagés l'analyse comparative la plus étendue possible.

Or ce sont précisément les conditions de la convergence totémique supposée que Goldenweiser a négligé de nous indiquer. Il dit bien qu'elle a été déterminée par trois facteurs qu'il décrit en termes complexes, et qui sont à proprement parler : le premier d'ordre morphologique et le deuxième d'ordre anatomique, le troisième étant ce que communément on nomme le milieu. Mais les deux premiers ne peuvent pas être considérés

1) Richard Andree, Der Ursprung der Amerikanischen Kulturen, Communication au Congrès de Salzbourg, Mitteilungen der Anthropologischen Gesellschaft zu Wien, 1906, p. 87-98.

2) W. Ridgeway, The application of zoological Laws to Man, address to the Anthrop. Sect. of the Brit. Assoc. Advancm. of Science, Session de Dublin, 1908.

comme des facteurs; car dans la convergence au sens biologique, la morphologie est le support de la modification, l'anatomie reste par définition invariable, et seul le milieu est le facteur réel. Le biologiste qui veut étudier la convergence chez certains animaux marins (par exemple chez les poissons et les cétacés), ou chez certains animaux inférieurs analyse les éléments physiques et chimiques du milieu pélagique et tâche d'évaluer, puis de sérier, l'action de chacun de ces éléments; celui qui veut étudier certains cas de convergence dans la flore des régions très froides analyse les éléments constitutifs du milieu alpestre ou arctique et tâche, lui aussi, de sérier les actions qui déterminent les similitudes extérieures des diverses espèces végétales. C'est donc l'analyse du milieu totémique, la définition de ses éléments, leur évaluation dynamique et leur sériation pratique et chronologique qui seules pourraient fournir à Goldenweiser une base scientifique pour sa théorie convergentielle.

Mais il s'est toujours contenté de ne considérer le totémisme qu'une fois établi, et de n'examiner que ce qui peut se passer quand des phénomènes d'abord non-totémiques pénètrent dans ce milieu totémique préexistant. Il n'a nullement expliqué pourquoi ce milieu s'est formé, ni comment il a pu se former. Or, c'est bien là le point essentiel du problème totémique, indépendant du second point qui est celui des adapatations totémiques. On ne peut évidemment le résoudre que par une analyse qui procèderait par voie d'éliminations; mais encore s'agitil de conduire la recherche de telle manière que cette élimination fournisse le résidu essentiel. C'est bien ce qu'ont essayé de faire Lang, Frazer et tous les autres théoriciens, que par suite n'atteignent ni les critiques générales ni les essais nouveaux de classement des phénomènes totémiques proposés par Goldenweiser. Sans compter que la transposition intégrale de la doctrine de la convergence aux phénomènes sociaux est pour le moins prématurée. La seule tentative qui ait été faite pour déterminer comment des croyances et des rites d'abord non

totémiques ont pu se totémiser en arrivant dans un milieu déjà totémiste et comment des croyances et des rites totémiques ont pu se modifier au contact de complexes non totémiques est celle de Rivers qui a été analysée ci-dessus. Mais, comme il a été dit, Rivers a été obligé de compliquer le problème en recourant à l'hypothèse d'un triple peuplement de la Mélanésie et d'admettre en même temps que le peuple le plus primitif des trois ignorait le totémisme'.

XVII

LA RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DU TQTÉMISME; SA SITUATION PARMI LES SYSTÈMES PRIMITIFS D'ORGANISATION SOCIALE; PREUVES DE SON INEXISTENCE CHEZ LES POPULATIONS TRÈS PRIMITIVES.

Nous sommes ainsi conduits à examiner un autre aspect du problème totémique. Étant donnée la diversité anthropologique (physique) des populations totémiques, on ne saurait faire intervenir pour la solution de ce problème un argument strictement racial. Mais le totémisme étant une institution caractérisée, il importe de déterminer à quel type de civilisation il appartient. Ce qui revient à dire qu'il s'agit de faire la liste, non seulement des populations qui présentent du totémisme précis ou relatif, mais aussi celle des populations dans l'organisation sociale et religieuse desquelles le totémisme ne joue aucun rôle. Quand ces populations possèdent une civilisation élaborée se pose le problème des survivances, dont quelques formes seront examinées plus loin; quand elles sont ce qu'on est convenu d'appeler << sauvages » ou « demi-civilisées », la position de thèses se fait sous un tout autre angle.

Or, c'est un fait digne de remarque que ni Lang, ni Frazer, même dans son grand ouvrage, ni Durkheim, ni Loisy, ni

1) Cf. ci-dessus t. LXXV, p. 324, t. LXXVI, p. 305 et suiv.

2) Dans les pages qu'il a consacrées à l'extension géographique du toté

Goldenweiser, ni Reuterskiöld n'ont jugé nécessaire de signaler l'inexistence du totémisme chez un certain nombre de populations qui se trouvent à un niveau de civilisation matérielle au moins aussi primitif que celui des Australiens, et certainement inférieur à celui des Indiens de l'Amérique du Nord. Seul Sidney Hartland a signalé cette absence chez trois groupes « primitifs », afin de rappeler à Durkheim que le totémisme n'est pas universel'. Pas contre Wundt, Graebner et Schmidt avaient vu le fait; mais ils n'en ont pas su tirer le parti qui convient.

Wundt divise toute l'histoire générale des civilisations en quatre périodes: 1° l'Age des Primitifs, où l'homme se développe dans un contact direct avec la nature et sans la modifier par son travail et ses inventions; à ce stade se trouveraient encore les Pygmées du Congo, les Boschimanes, les Vedda de Ceylan, les Senoi et les Semang de Malacca, les Négrito des Philippines, quelques tribus des forêts de l'Amérique du Sud (Brézil, Vénézuela, etc) et les Andamanais; 2o l'Age du Totémisme, où « l'homme se trouve sous la domination de l'Animal, >> et où toutes ses conceptions, toutes ses institutions et toutes ses occupations sont influencées par cette idée qu'il se fait que l'Animal lui est supérieur en intelligence et en puissance; on distinguerait trois cycles de civilisation totémique le cycle malayo-polynésien, le cycle américain et le cycle africain; c'est pendant cet âge qu'apparaît la notion de société, que s'établissent des règles sociales (matrimoniales, économiques, etc.) et que naît une théorie générale des forces de la nature sous forme d'animisme, qui détermine à son tour la naissance du

misme (cf. Totemism and Exogamy, t. IV, p. 11-18), Frazer constate seulement que le totémisme est rare chez les peuples de race blanche, et que d'autre part les sauvages actuels ne peuvent être considérés comme absolument primitifs; mais il ne lui est pas venu à l'esprit de signaler quels sont les peuples relativement les plus primitifs connus qui ignorent le totémisme; la manière dont il présente les faits donne par contre au lecteur l'impression que le totémisme est un fait universel de primitivité culturelle.

1) Cf. ci-dessus, t. LXXV p. 339.

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