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Le visir, consulté, dépose sur le lit de la princesse un petit sac ouvert, rempli de grains de millet; la nuit suivante, le sac est transporté en même temps que le lit et la princesse le millet, tombé du sac, indique le chemin de la maison du restaurateur. Le calife et le visir vont avec des troupes pour arrêter le coupable; mais, par une opération magique, le sorcier entoure la maison d'un profond courant d'eau, de sorte que le calife et ses soldats, menacés d'une noyade, sont obligés de rebrousser chemin, après que le magicien a promis au calife de se présenter à la cour. Retourné au palais, le calife voit en effet arriver le magicien, accompagné du jeune restaurateur; il fait venir le bourreau et lui ordonne de couper la tête du jeune homme; mais le sabre décapite un des valets du bourreau, puis le bourreau lui-même. Sur le conseil du visir, le calife reconnait son impuissance, se réconcilie avec le magicien et le jeune homme et promet à ce dernier la main de sa fille. Le sorcier amuse ensuite le calife et son visir en leur donnant de nouvelles preuves de sa puissance magique il anime deux lions, représentés sur une portière de soie; il prie le visir de se mettre. dans une baignoire : le visir croit qu'il se trouve dans une mer agitée; il se voit transformé en femme, se marie, a sept enfants, se trouve ruiné, veut se noyer, et se retrouve dans sa baignoire. Son illusion n'avait duré en réalité que quelques instants. Le calife qui, lui aussi, tente l'expérience, trouva également des aventures qui durent des années et se retrouve dans la baignoire au moment où il est condamné à mort et sur le point d'être pendu. Lui et le visir se racontent en riant leurs expériences imaginaires; on dresse le contrat de mariage du jeune homme avec la princesse et le magicien reste à la cour du calife, comblé d'honneurs.

Il existe, de ce récit, deux autres versions. La première, qui se trouve dans deux manuscrits de Paris (Nöldeke, p. 46-47) ne paraît pas contenir des traits bien intéressants; la seconde, dans un manuscrit de Strasbourg (Nöldeke, p. 47-49) offre des variantes dignes d'attention le sorcier est un Maghribî (homme de l'Afrique du Nord) exactement comme le magicien du conte d'Aladdin ; les amours du jeune homme et de la princesse (ici la fille du célèbre Haroun, le calife-type des Mille et une Nuits) sont platoniques; la ruse du sac de millet est rem

placée par celle de la craie rouge, avec laquelle la princesse doit marquer la porte de la maison.

Mais ce qui fait surtout l'intérêt de cette version, c'est qu'elle a servi de base à une partie considérable d'un roman turc sur Avicenne (Ibn-Sina), le célèbre médecin-philosophe du XIIe siècle; c'est celui qui joue, dans le roman le rôle du sorcier qui protège les amours du jeune homme (ici un confiseur). Or, la plus ancienne rédaction de ce roman aurait été écrite sous le sultan Mourad III (1574-1595; Nöldeke, p. 50-54). La version du conte conservée dans le manuscrit de Strasbourg est nécessairement antérieure à cette date; l'autre, plus simple, analysée en premier lieu, doit être encore plus ancienne, et remonte au XVe siècle, peut-être au XIV.

Nous ne pouvons difficilement remonter beaucoup plus haut, à cause de l'origine de la dernière partie du conte. Cette dernière partie rappelle de suite, à ceux qui ont lu dans la traduction de Pétis de la Croix le roman turc des Quarante Visirs, le conte intitulé Histoire du scheikh Schehabeddin1. Le sultan d'Égypte refuse de croire à une circonstance merveilleuse de la vie de Mahomet; pour le convaincre de la possibilité de cette circonstance, le scheikh prie le sultan de prendre place dans une cour pleine d'eau, en tenant la tête sous l'eau; comme le calife du conte arabe, le sultan croit, en quelques moments, traverser des aventures qui durent des années (dans le conte turc, elles n'ont pas un caractère grotesque). Finalement, le sultan furieux, fait mettre à mort le thaumaturge'. Or, le « scheikh Schehabeddin » est un personnage historique, le mystique Schihâbeddîn, réellement mis à mort en 1192 à Alep par ordre de Saladin, le célèbre sultan d'Égypte, sur la dénonciation de théologiens orthodoxes, qui

1) Contes turcs (les Quarante Visirs), trad. de Pétis de La Croix, réimprimée à la suite des Mille et un Jours, édit. du Panthéon littéraire, p. 306 et suiv. ; abrégé du même récit chez Nöldelke, p. 6-7.

2) Pétis de La Croix, dans sa traduction, a substitué à cette fin tragique un dénouement heureux.

l'accusaient d'hérésie. Devenu illustre par cette fin tragique, Schihabeddin acquit bientôt une réputation de thaumaturge; un auteur mort en 1269-1270 lui attribue la connaissance de la simya (du grec quetz), l'art de faire paraître des images fantastiques; le conte turc', évidemment traduit d'un conte arabe plus ancien et perdu, n'est que la mise en œuvre de cette croyance. L'histoire du Sorcier et du restaurateur, dont la fin est une imitation fort libre de ce récit arabe perdu, et dont une rédaction modifiée a été utilisée, comme nous l'avons vu, dans le roman turc sur Avicenne, écrit entre 1574 et 1595, ne peut guère avoir été composée avant le XIVe siècle ou après le xve (Nöldeke, p. 54).

Mais, si la fin du conte du Sorcier et du jeune restaurateur est empruntée au récit légendaire sur Schihâbeddîn, la plus grande partie ce conte est manifestement inspirée du récit de la Lampe; nous en retrouvons dans le récit littéraire les éléments principaux le transport nocturne de la princesse, sa grossesse subséquente, la ruse pour découvrir la demeure de son amant, finalement la scène où le souverain veut faire mettre à mort l'homme qui a abusé de sa fille; seul le début du récit la descente dans un souterrain ou la visite à un château) où se trouve le talisman manque dans le récit littéraire. Le Sorcier n'essaie plus de faire du héros son instrument inconscient; il lui est, au contraire, secourable et remplace en quelque sorte le troisième personnage essentiel du conte: l'être surnaturel, serviteur de la Lampe.

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Ce récit littéraire, ainsi constitué, a été porté par les Musulmans jusqu'en Sibérie. Radlov a noté chez les Tartares-Tobol de la Sibérie Méridionale un conte qui, pour la marche générale,

1) Le roman des Quarante Visirs a été composé sous le règne du sultan Mourad II (1421-1451), d'après des sources anciennes, soit pour le cadre (emprunté à l'ancien roman de Sindibád) soit pour les récits placés dans ce cadre,

2) Proben der Volksliteratur der turkischen Stämme IV (Saint-Pétersbourg 1872), p. 274 et suiv.

reproduit la version littéraire, mais qui contient au moins un détail important qui doit provenir de la tradition orale. On y retrouve le jeune restaurateur, lié avec un sorcier, qui porte ici la titre de molla. Le jeune homme étant devenu amoureux de la fille du prince, le molla fabrique un « homme de bois », qui, chaque nuit, apporte la princesse au jeune hommpe, sans que personne s'en aperçoive. La jeune fille étant devenue enceinte son père l'interroge elle raconte ce qui lui arrive. Le prince recommande à sa fille d'enduire sa main de cire et de marquer ainsi la porte de la maison où elle est transportée; sur le conseil du molla, le jeune homme marque toutes les maisons de la ville. Le prince fabrique alors un coq de cuivre, qui doit saisir l'amant et le transporter au palais; mais, de nouveau guidé par le molla, le jeune homme lance une pierre dans les airs et c'est cette pierre que le coq saisit et transporte. Finalement, le sorcier obtient pour son protégé la main de la jeune fille, après avoir amusé le prince par un enchantement pareil à celui qui est décrit à la fin du conte arabe.

On voit que, dans ce récit, l'épisode si important de la mise à mort du héros à été oublié'; en revanche, on a ajouté un << homme de bois » qui ne figure dans aucune des versions du conte arabe. Cet homme de bois » rappelle de suite par sa nature et le rôle qu'il joue « l'homme de fer » des contes français et allemands et il est difficile de pas établir un rapport historique entre les deux conceptions si semblables. Il faut probablement admettre que le conte sibérien, d'origine littéraire dans son ensemble, a subi l'influence d'une version orale, ⚫ analogue à celles recueillies en Europe et dans laquelle figurait l'être surnaturel, serviteur de la Lampe, qui transporte la princesse. Quant au « coq de cuivre », que nous n'avons pas retrouvé ailleurs, ce doit être l'invention d'un narrateur sibérien qui a voulu donner un pendant à « l'homme de bois ».

1) Le sac rempli de millet de la version la plus simple du conte arabe est ici remplacé par la ruse de la porte marquée à la main, mais celle-ci se retrouve, comme nous l'avons vu, dans la version littéraire plus développée.

L'intérêt de ce récit arabe, qui a pénétré jusqu'en Sibérie, réside surtout dans sa date: il prouve que notre conte existait en pays musulman au xve siècle au moins. Il circulait à la même époque en Europe: nous retrouvons l'épisode essentiel de la princesse dans un poème allemand du xve siècle, où il est rattaché au nom d'Albert le Grand, le célèbre philosophe - scolastique nous avons vu le même épisode s'attacher en Turquie au nom d'un autre savant célèbre, Avicenne.

De bonne heure, le savoir très réel d'Albert le Grand ayant pris dans l'imagination du public, des proportions fantastiques, donna lieu à des récits merveilleux on en trouve quelques-uns chez le chroniqueur brabançon Louis de Velthem, qui écrivait vers 1315. Plus tard, on lui prêta des exploits amoureux : un meistergesang allemand' du xv° siècle lui attribue, sous d'autres noms, l'aventure mise d'ordinaire sur le compte de Marguerite de Bourgogne et de Buridan et qui fait le fond de la Tour de Nesle. Un autre meistergesang de la même époque raconte à son propos l'histoire que voici :

Un roi de France qui régnait à Paris, avait une fille merveilleusement belle. A cette époque étudiait à l'Université de Paris un jeune savant, Albertus, qui devint amoureux de la fille du roi il résolut de l'amener chez lui et se servit pour cela de la magie noire (schwarze kunst); il l'enleva en effet de la demeure du roi et la transporta chez lui, sans qu'aucun veilleur s'en aperçût; après « en avoir fait sa volonté il la ramena chez elle avant l'aurore. "), Ce manège dura assez longtemps; mais la jeune fille eut l'air triste; la reine s'en aperçut, l'interrogea et apprit la vérité. La princesse ajouta que le jeune homme qui l'enlevait ainsi secrètement de son lit, cachait son visage, grâce à son art; par son art également, il l'empêche de crier au moment où il l'enlève; « il vient ainsi quand il veut et me trans

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1) On sait que le poème appelé meistergesang développait souvent, sous la forme lyrique artificielle que les meistersinger avaient héritée des minnesinger, le sujet d'un conte ou d'une nouvelle.

2) J. Sighart, Albert le Grand (traduction française, Paris, 1862), p. 113.

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