Slike strani
PDF
ePub

De Khârezm, notre voyageur se transporta à Bokhâra, en passant par la ville d'Alcât ou Câth, ancienne capitale du Khârezm. On sait qu'en l'espace de cinquantesix ans, de 1220 à 1276, Bokhâra avait été trois fois mise au pillage par des armées mongoles. Aussi, quand Ibn Batoutah la visita, ses mosquées, ses colléges et ses marchés étaient ruinés, à l'exception d'un petit nombre. Les habitants, dont Ibn Haoukal, au x° siècle, faisait un si magnifique éloge, nous sont représentés, par Ibn Batoutah, comme en butte au mépris général, à cause de leur réputation de partialité, de fausseté et d'impudence.

Le voyageur partit de Bokbâra afin de se rendre au camp du sultan de la Transoxiane, 'Alâ eddîn Thermachîrîn. Il nous donne sur ce prince, sur ses deux prédécesseurs immédiats, ainsi que sur deux de ses successeurs, des détails d'autant plus précieux, que l'histoire de la dynastie issue de Djaghataï, second fils de Djinghiz khân, est encore assez imparfaitement connue. Toutefois, nous devons avouer que le récit d'Ibn Batoutah ne s'accorde pas toujours, pour la filiation des princes qu'il cite, ni pour l'époque qu'il semble leur assigner, avec le récit des auteurs plus récents, compulsés par Deguignes et C. d'Ohsson, ni avec celui plus détaillé de Khondémîr1. Mais ces différences ont pour objet des points de détail sur lesquels les historiens persans euxmêmes ne sont pas d'accord entre eux, et dont la discussion nous entraînerait d'ailleurs trop loin.

Après avoir pris congé du sultan Thermachîrîn, Ibn Batoutah se dirigea vers la célèbre ville de Samarkand,

1

Histoire des khans mongols du Turkistan et de la Transoxiane, trad. du persan par C. Defrémery. Paris, Impr. imp. 1853, in-8°, p. 93 et suiv.

qui conservait encore quelques restes de son ancienne magnificence. Il visita ensuite la ville de Termedh, traversa le Djeïhoûn ou Oxus, et entra dans le Khorâçân. Il décrit successivement les villes de Balkh et de Hérât, et consacre plusieurs pages à l'histoire du roi de cette dernière, Mo'izz eddîn Hoçaïn Curt1. Il intercale dans ce chapitre un récit assez détaillé de l'origine de la puissance des Serbédâriens, nom que se donna une troupe d'aventuriers qui, à la faveur des troubles excités dans le Khorâçân par la mort du sultan Abou Sa'ïd Béhâdur khân (736—1335-1336), parvinrent à se créer une principauté indépendante, dont l'existence n'atteignit pas un demi-siècle. D'après Khondémîr, le nom des Serbédâriens venait de ce que le fondateur de cette dynastie, Abd Arrezzâk, voulant exciter ses compatriotes à le soutenir dans sa révolte contre le vizir du Khorâçân, leur dit ces paroles : « Un grand tumulte a pris naissance dans ce pays; si nous agissons mollement, nous serons tués: il vaut donc mille fois mieux voir avec courage nos têtes exposées sur un gibet (ser ber dár), que de périr lâchement2.» Ibn Batoutah raconte avec quelque détail la

1

Nous devons faire observer qu'Ibn Batoutah a omis de mentionner (p. 64) le règne de Chems eddîn Mohammed, frère aîné d'Alhafizh et d'Hoçaïn. Il est vrai que ce règne ne dura que deux mois, selon d'Herbelot et Deguignes (Histoire générale des Huns, etc. t. I, p. 416), ou dix mois, d'après Khondémîr (Habîb Assiyer, ms. de Gentil, t. III, fo 128 vo).

2

Voyez le chapitre du Habib Assiyer intitulé: Histoire de la domination des rois Serbédár sur le pays de Sebzévár, chapitre dont le savant académicien de Saint-Pétersbourg M. Bernhard Dorn a récemment publié le texte, avec une traduction allemande et des notes (Die Geschichte Tabaristan's und der Serbedar nach Chondemir, 1850, grand in-4°, p. 143 et suiv.); cf. encore Sehir eddîn's

A.

bataille que Wédjîh eddîn Maç'oûd, le second des princes serbédâriens, perdit contre le roi de Hérât. Il dit que cette action eut lieu après sa sortie de l'Inde, en l'année 748 (1347), et dans la plaine de Bouchendj. Mais, d'après les historiens persans, la bataille fut livrée le 13 de séfer 743 (18 juillet 1342), à deux parasanges de Zâveh. Selon Mir Zéhîr eddîn Méra'chy, le combat dura trois jours et trois nuits; et cependant, d'après des témoins oculaires, il n'y périt que sept mille hommes 1.

Ibn Batoutah partit de Hérât pour la ville de Djâm, plus connue actuellement sous le nom de Turbeti Djâmy; de là il se rendit à Thoûs et à Mechhed, la ville sainte des Chïïtes, et la capitale actuelle du Khorâçân; puis à Sarakhs, à Zâveh ou Turbeti Haïdéry et à Neïcâboûr ou Nichâpoûr, alors encore très-florissante, et dont les colléges étaient fréquentés par beaucoup d'étudiants. De Neïçâboûr, notre voyageur partit pour Besthâm, d'où il se mit en route, à ce qu'il dit, par le chemin de Hendokhîr (Andekhoûd?), pour Kondoûs et Baghlân. Mais cette partie de son itinéraire paraît fort embrouillée. Il est tout à fait improbable qu'en quittant Nichâpoûr, le voyageur, dont le dessein était de passer aux Indes, soit allé à Besthâm, située à plus de quatre-vingts

Geschichte von Tabaristan, Rujan und Masanderan, persischer Text, herausgegeben von B. Dorn; Saint-Pétersbourg, 1850, in-8°, p. 103 et suiv. jusqu'à 111. — D'Herbelot (Biblioth. orient. verbo Sarbédar) et, d'après lui, Deguignes (Hist. des Huns, t. I, p. 412), donnent une origine un peu différente à la dénomination de Serbédâr.

'Hist. de Timur Bec, par Cheref eddîn Ali, trad. de Pétis de a Croix, t. I, p. 6 et 7; Schir eddîn's Geschichte, etc. loc. laud. Khondémîr, apud Dorn, loc. laud. p. 146 et 149; et ms. de Gentil, t. III, fol. 129 r°, lignes 1 et 2.

lieues de la première ville, vers l'ouest. Il est plus vraisemblable que l'ordre suivi par Ibn Batoutah, après son départ de Djâm, fut celui-ci : 1° Zâveh, 2° Besthâm, 3° Nichâpoûr, 4° Thoûs et Mechhed, 5° Sarakhs, 6° Hendokhîr. On doit supposer aussi qu'Ibn Batoutah aura omis de mentionner quelques localités qu'il a dû visiter, sur sa route, entre Zâveh et Besthâm, et entre cette dernière ville et Nichâpoûr. Enfin, il est certain que notre auteur a commis une erreur, en mettant la contrée montagneuse appelée Kouhistân entre Balkh et Hérât. Peutêtre a-t-il voulu parler du Ghardjistân, situé, en effet, au sud-est de la première de ces villes, et au nord-est de la seconde. Quant au Kouhistân, ce n'est qu'après avoir quitté Hérât, qu'Ibn Batoutah a pu le traverser, puisque cette vaste province commençait à l'ouest de Hérât, et s'étendait dans la direction de Hamadân et de Boroudjird. Dans une acception plus resserrée, le mot Kouhistân désignait un territoire compris entre Hérât et Nichâpoûr, et dont la capitale était Kâïn 1.

Ibn Batoutah et ses compagnons séjournèrent environ quarante jours près du village de Kondoûs, tant afin de refaire leurs chameaux et leurs chevaux au milieu des gras pâturages de ce canton, que pour attendre que l'arrivée des chaleurs et la fonte partielle des neiges leur permissent de traverser plus facilement l'Hindoû Coûch. Après s'être remis en marche, ils arrivèrent dans un grand bourg situé près de l'emplacement occupé jadis par la ville d'Ander (Andérâb). Ils rencontrèrent, sur l'Hin

1

Voyez l'Histoire des Mongols de la Perse, p. 176, 177, note, et la Géographie d'Édrîcy, trad. fr. t. II, p. 183, où on lit Funer. , au lieu de; et The geographical works of Sadik Isfahani, P. 40.

doû Coûch, une source thermale, avec l'eau de laquelle ils se lavèrent la figure; mais leur peau fut excoriée, et ils souffrirent beaucoup. Il est assez curieux de retrouver les mêmes effets produits par une source d'eau thermale située à l'extrémité orientale de la Sibérie, près de la Tavatoma1. Nos voyageurs s'arrêtèrent dans un endroit appelé Pendj Hîr, nom qu'Ibn Batoutah explique par «<les cinq montagnes. » En effet, on sait que pendj, en persan, signifie «< cinq »; quant à hîr, c'est une altération d'un mot sanscrit qui signifie « montagne », et d'où les Persans ont fait guer ou guéry. Mais Ibn Batoutah a eu grand tort de confondre la rivière de Pendj Hîr, un des affluents du Câboul Dériâ, avec celle de Badakhchân ou Gueuktcheh (la bleuâtre), qui se jette dans l'Oxus, et dont il a été déjà fait mention incidemment (t. II, p. 24).

Depuis Kondoûs jusqu'à Perwân, Ibn Batoutah paraît avoir suivi la même route que celle que prirent, au mois d'avril 1838, le docteur Lord et le lieutenant John Wood, en revenant de leur beau voyage au nord de l'Hindoû Couch 2. Les deux explorateurs anglais rencontrèrent aussi, à vingt-trois milles d'Andérâb, deux sources d'eau thermale. La montagne de Péchaï, dont parle notre auteur, est, sans doute, la même que celle dont il est fait mention dans ce passage des Mémoires du sultan Baber: << Entre Perwân et la haute montagne (l'Hindoû Coûch), il y a sept défilés plus petits, que les habitants de la contrée appellent «les Sept-Jeunes » ou « Petits» (Heftpetché). Lorsque l'on arrive du côté d'Andérâb, deux

1 Journal historique du voyage de M. de Lesseps, Paris, 1790, in-8°, t. II, p. 137, 139.

2 A personal narrative of a journey to the source of the river Oxus, etc. London, 1841, in-8°, p. 408 et suiv.

« PrejšnjaNaprej »