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pour Boehme Dieu se révèle dans chaque âme pure (rechte Scele) parce que Dieu est réellement au fond de l'âme. Et c'est là la véritable 'raison pourquoi l'Ecriture -- que Boehme honore et connaît par cœur ne joue à peu près aucun rôle dans sa conception religieuse. Que l'on soit chrétien ou non, juif, musulman ou païen peu importe! Pourvu que l'homme soit bon, pourvu qu'il soit réellement une image de Dieu, il sera sauvé même s'il ne sait rien du Christ et n'en a jamais entendu parler. Bien plus - et ceci est une contradiction formelle à la notion de la pureté doctrinale du lutheranisme il est non seulement

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non nécessaire que tous les hommes aient une même conception de Dieu, mais c'est encore une chose tout à fait impossible. Chaque peuple et, en définitive, chaque homme se forme sa propre conception; et l'une est aussi juste que l'autre, car Dieu se reflète et se révèle de manière différente dans et à chaque personne différente. L'unité et l'uniformité ne sont possibles que pour la raison discoursive (Vernunft); mais celle-ci n'est pas capable de se mettre d'accord avec elle-même et l'écriture; elle n'est qu'opinion et provoque des troubles parce qu'elle engendre les disputes et la haine. Or, les opinions sont toutes également inadéquates et, par conséquent, fausses autant qu'elles sont affirmées comme absolument vraies. L'uniformité des opinions ne serait donc ni une garantie de vérité, ni même du point de vue de la connaissance réelle un progrès par rapport à leur

multiplicité.

vrai

Dieu, pense Boehme « se donne » à tous et à chacun; et le croyant n'affirme jamais que seul il a reçu le « don» divin, ni ne jalouse les autres pour leurs « dons », pourvu que ce soient des dons véritables, des intuitions et non des opinions. La vérité divine est une, et c'est pourquoi les vérités humaines ne le sont pas. Rien n'est, évidemment, moins luthérien que ce relativisme mystique si large, si compréhensif et si tolérant: « les fleurs ne se jalousent point, dit Boehme, parce qu'elles exhalent des parfums différents ». N'est-ce pas déjà l'idée maîtresse de la métaphysique leibnizienne?

Il semble certain, après le travail de M. Bornkamm que l'idée du Dieu-courroux, Dieu-feu dévorant (Zorngolt) est, chez Jacob Boehme, de provenance luthérienne; la similitude des expressions est frappante comme elle l'est également en ce qui concerne la conception de la malédiction qui, à cause du péché d'Adam, frappa la nature toute entière. Et cependant, ce n'est nullement en cherchant à appuyer la conception de Luther par une théorie métaphysique que Boehme arrive à formuler sa doctrine: c'est, bien au contraire, en lutte contre la conception luthérienne qu'il le fait. Il suffit de comparer les deux doctrines en quelques points précis pour s'en convaincre.

D'abord et avant tout: toute la doctrine de Boehme se constitue autour de la lutte contre la conception immorale selon lui de la prédestination. M. Bornkamm ne l'étudie point; et pourtant, peut-on dans l'étude des conceptions religieuses du théosophe négliger ce point capital? On ne peut, en effet, lire une page de Boehme sans rencontrer une critique de la predestinatio qui, avec la imputativa justitia sont ses véritables bêtes noires. Aucune prédestination, répète-t-il inlassablement, car sans liberté absolue, le jugement serait inique; aucune prédestination, car Dieu ne peut vouloir le péché et ne peut ni vouloir condamner des innocents, ni désirer des coupables; Dieu ne serait pas Dieu, car il serait « divisé en lui-même » ; aucune prédestination, car il n'y a en Dieu ni délibération ni préméditation; c'est rabaisser Dieu que de supposer en lui des actes de volonté distincts et séparés. A fortiori on ne peut ramener la prédestination à la prescience car se serait abaisser Dieu et le rendre dépendant d'autre chose que lui. On peut ne pas estimer les objections de Boehme bien profondes il est néanmoins important de savoir qu'il les croyait décisives. Il avait, à vrai dire, une autre objection: c'est que pour lui l'être même de la créature était codéterminé par la créature elle-même; l'acte créateur de Dieu ne la déterminait pas absolument; c'est à ellemême qu'il déléguait le soin et le pouvoir de se donner à elle-même, avec une liberté absolue, cette touche finale qui lui

donnait en même temps et l'existence et la détermination définitive. Peut-on s'opposer plus violemment à la conception de Luther pour qui l'omnipotentia Dei supprimait, au fond, toute efficace et toute action de la créature?

de

Suivons Boehme dans son évolution et prenons pour terme comparaison les notions d'omnipuissance et d'omniscience. Que voyons-nous ? Dans l'Aurore Naissante Boehme, plutôt que de rendre Dieu responsable de la chute de Lucifer et d'Adam préfère lui en dénier la connaissance: son Dieu ne connaît point les futurs contingents!

Dans le De tribus principiis l'omnipotentia et l'omniscientia Dei triomphent en son premier principe, i. e. en tant qu'il est colère et courroux, Dieu a prévu et même voulu la chute; mais non en tant qu'il est Dieu-Amour, Dieu-lumière; non dans le second principe (celui du Fils). On est, semble-t-il, ramené à Luther. Mais ne nous trompons pas les œuvres postérieures, dès le De incarnatione Verbi affirment que dans le premier principe, en tant qu'il est feu dévorant, Dieu ne s'appelle pas encore Dieu. Or, il ne s'appelle pas Dieu parce qu'il n'est pas encore Dieu, et, ce qu'il y a en lui de divin n'apparait ou ne se révèle que dans et par le second principe de lumière et d'amour. Au Dieu courroucé de Luther Boehme dénie ainsi le droit de s'appeler Dieu.

On pourrait multiplier à volonté les points de comparaison : partout on verra Boehme s'opposer énergiquement à la doctrine officielle du luthéranisme, et, presque toujours, à la pensée de Luther lui-même. Prenons un exemple encore: c'est le désespoir du pécheur qui est, pour Luther, le signe de la grâce qui l'a touchée. Pour Boehme il est une tentation diabolique. La confiance joyeuse du chrétien est, pour Luther, fondée dans sa croyance à la parole divine, à la révélation. Dieu pardonne au pécheur et l'accepte en vertu des mérites du Christ. Doctrine abominable, dit Boehme; l'homme n'est pas l'esclave (Knecht) implorant le pardon, mais le fils qui revient à la maison paternelle.

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Boehme et Luther et c'est là le point commun de leurs expériences religieuses partent de la terreur (Furcht und Zittern). Mais Luther est accablé sous le poids du péché ; il désespère pour son propre salut à cause de son propre état; c'est en lui-même que se joue le drame de sa vie religieuse. Boehme a peur parce qu'il ne peut comprendre comment dans un monde, tel qu'il le voit le salut est possible. Ce qui l'effraie n'est pas son état de pécheur, mais le mal régnant dans l'Univers. Il s'agit pour lui de trouver une explication; de comprendre. Pour Luther il suffit d'être sûr. Comprendre est inutile; c'est même dangereux peut-être; c'est en tout cas une atteinte à la majesté divine.

Nous pourrions reprendre notre comparaison au sujet du terme Majesté le résultat serait le même, car le Dieu de Luther est avant tout le Maître qui ordonne (Gott der Herr); celui de Boehme, l'Amour qui se donne; mais nous avons déjà dépassé et de beaucoup le cadre d'un simple compte-rendu, sans avoir épuisé le contenu de beau travail de M. Bornkamm, sans avoir parlé notamment d'une analyse très instructive et très fine des rapports de Boehme avec Schwenkfeld et Weigel.

Les quelques critiques que nous avons adressées à M. Bornkamm nous laissent d'autant plus libre de louer, comme il convient, son très beau, très sérieux et très érudit travail, qui marquera une date dans l'histoire des études boehmistes et contribuera largement à la connaissance de la pensée philosophique et religieuse de cette époque si trouble, si importante, si intéressante et si peu étudiée.

A. KOYRÉ.

RÉCENTES CONTRIBUTIONS DE LANGUE ALLEMANDE

A L'HISTOIRE DES RELIGIONS

Après le compte-rendu détaillé que j'ai donné ici-même (1) de la 4e édition allemande du Manuel de Chantepie (1re moitié des livraisons sur lesquelles la souscription roulait), je suis aujourd'hui en mesure d'annoncer l'achèvement de cette importante entreprise. Ces deux magnifiques volumes, admirablement édités par les soins d'une maison célèbre, se trouvent dès à présent entre les mains des chercheurs qui, particulièrement nombreux en Allemagne, s'appliquent à l'histoire générale des religions. Il me sera permis de donner ici à tout le moins un bref aperçu des travaux dont je n'ai pas encore parlé. Nous en étions restés aux japonais, dans le tome premier. Dans ce' même tome, le docteur II. D. Lange, bibliothécaire à Copenhague, décrit la religion égyptienne. Il indique, comme résumant l'état actuel des connaissances, les ouvrages de Erman et Ranke, Maspero et Pietschmann, Budge et Steindorf, Jéquier et Wiedemann, et les grandes revues d'égyptologie. Son exposé se distingue par une concision extrême. Après avoir passé en revue les sources et les diverses théories en cours, il décrit d'abord les dieux de la croyance populaire, le culte des morts, puis les systèmes théologiques et cosmogoniques, le culte et la morale, et termine par une esquisse de l'évolution religieuse égyptienne.

(1) No 6 du tome XC, novembre-décembre 1924.

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