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Les Hellènes classiques donnèrent le nom d'Erythrée, « Mer Rouge, à la grande mer du Sud que nous appelons Océan Indien après les explorations et les conquêtes des successeurs d'Alexandre (1), ils fréquentèrent les deux vestibules de cette Mer Extérieure, notre Golfe Persique et notre Mer Rouge. Mais c'est alors seulement qu'ils connurent l'existence de cette double entrée : Hérodote ne fait jamais mention du Golfe Persique; trois fois, c'est de notre Mer Rouge seulement dont il parle, quand il nomme la Mer Erythrée (2); il faut arriver à Diodore de Sicile et à Strabon pour avoir, d'après Néarque et Androsthène, une description de cette Mer Persique, où les amiraux d'Antiochus Epiphane retrouvèrent « les deux îles de Tyr et d'Arad, dont les temples 'sont semblables à ceux de Phénicie et dont les habitants revendiquent les Phéniciens comme des colons de leur sang (3) ».

Au temps de Strabon, certains admettaient donc que les îles du Golfe Persique étaient la patrie des Rouges et que les Phéniciens étaient venus de cette Mer Erythrée. A première rencontre, l'idenlité des noms Tyr et Arad peut sembler un argument. Mais nous connaissons tels ports de Soloi, de Minoa et de Rhodos, qui passaient jadis et qui passent encore pour des colonies de Solon, de Minos ou de Rhodes.

Le nom de Tyr, Túpos ou Lúpos est un mot commun à toutes les langues sémitiques, sour ou tour: il signifie La Roche; nous l'avons trouvé dans notre Syros homérique. Les Instructions nauliques (no 762, p. 435) décrivent un port arabe du Golfe qui s'appelle Sour, mais qui n'a rien de commun avec la Tyros insulaire de Strabon; néanmoins, la description pourrait s'appliquer, mot par mot, à l'un des ports phéniciens de notre Mer Intérieure:

(1) Plin. XIV 80 2.

(2) Cf. Berger dans Pauly-Wissowa s. v. Erythra Thalassa p. 595 : « von einem Persischen Meerbusen, den alle Herodotkarten faelschlich andeuten, verraet der Halikarnassier keine Spur ».

(3) Strab. XVI 3 4 : νῆσοι Τύρος καὶ Αραδος εἰσίν, ἱερὰ ἔχουσαι τοῖς φοινι κικοῖς ὅμοια· καί φασί γε οἱ ἐν αὐταῖς οἰκοῦντες τὰς ὁμωνύμους τῶν Φοινίκων νήσους καὶ πόλεις αποίκους ἑαυτῶν.

Sour, à 15 milles dans l'O. de Ras-al-Hadd, est une grande ville ou, plutôt, on comprend sous le nom général de Sour deux villes, situées sur un khor où mouillent les bateaux du pays; deux forts entourés de cases se voient à l'ouest du khor. Le nombre total des habitants peut être de 10.000. La ville de la rive Est, appelée Heidjad, est la plus grande des deux; elle est habitée par des membres de la tribu des Beni-Bou-Ali; l'autre, appelée Umm Kareinatein, est habitée par les Beni-Djeneba; ces deux villes sont souvent en querelles....

Du large, on voit une très faible partie de la ville de Sour, et l'on aperçoit tout d'abord les deux forts qui sont sur les hauteurs..... Le mouillage n'est qu'une rade foraine, et l'on doit être prêt à y recevoir de brusques changements de vent du Sud au Nord. On peut se procurer à Sour des bestiaux et des légumes; mais il est très douteux qu'on puisse y faire de l'eau,

Il se fait un grand commerce entre Sour et l'Inde, Zanzibar et le Golfe Persique, au moyen des boutres, des nombreux bateaux de pêche, qui fréquentent toute la côte de l'Arabie, et des embarcations de pêche, qui appartiennent à la ville. On y fabrique une étoffe grossière, de plusieurs couleurs, qui sert à faire des turbans.

Cette Roche, cette Tyr du Golfe, pourrait donc être aussi une Pêcherie, une Sidon sémitique, car les Instructions nautiques (no 851 p. 251) ajoutent:

La mer est très poissonneuse le long de cette côte; le poisson qu'on y pêche est d'excellente qualité. Il constitue la principale nourriture des habitants du littoral et on peut, en général, s'en procurer à très bon marché; on en exporte également une grande quantité, une fois salé. On fait en grand l'élevage des chameaux, ainsi que des moutons et des chèvres, mais on ne fait pas l'exportation de ces animaux.

sur

Pour les lecteurs d'Homère aux temps alexandrins, tout pour les éditeurs « critiques », qui voulaient résoudre toutes les apories (difficultés) du texte (1) il fallait que cette Tyr et cette Sidon du Golfe existassent et fussent les premières patries

(1) Cf. mon Introduction à l'Odyssée, t. II, p. 326.

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des Phéniciens libanais; sans elles, en effet, le récit de Ménélas à Télémaque et Pisistrate dans le texte actuel de l'Odyssée (IV 78-85) devenait incompréhensible :

MÉNÉLAS. Chers enfants, Zeus n'a pas de rival ici-bas! Quant aux humains, comment savoir s'il en est un qui m'égale en richesses ?... Mais qu'il m'en a coûté de maux et d'aventures, [pour ramener mes vaisseaux pleins, après sept ans ! aventures en Chypre, en Phénicie, dans l'Egyptos et chez les Nègres ! chez les gens d'Ethiopie, d'Arabie, de Sidon, et dans cette Libye où c'est avec leurs cornes que naissent les agneaux.

J'ai démontré dans mon Introduction à l'Odyssée (I p. 275279) que certains vers interpolés se détachent sans peine de ce passage; ici, comme dans tous les autres vers homériques où il est question de Chypre, nous avons l'adjonction de quelque rhapsode chypriote: Chypre, aux temps homériques, n'était pas dans le domaine des Grecs. L'ile (depuis la conquête de TéglatPhalazar ?) appartenait aux empires asiatiques de ce côté, les monts Solymes étaient le dernier horizon des Poèmes; c'est du haut des monts Solymes, de ce seuil de la terre lycienne, Posidon, rentrant de sa visite chez les Nègres, découvre les mers achéennes et le radeau d'Ulysse (V 282-284).

Dans notre Odyssée, Chypre n'apparaît qu'en trois passages douteux; une première fois en VIII 362,

en

ἡ δ' ἄρα Κύπρον έκανε φιλομμειδής Αφροδίτη,

ces Amours d'Aphrodite et d'Arès, qui, pour tout lecteur attentif, ne peuvent être qu'une interpolation de date récente ; une seconde fois en IV 83 et une triple autre fois en XVII 442, 443 et 448. Or, en IV et en XVII, les quatre mentions de Chypre sont soudées au contexte par l'une de ces répétitions de vers ou de fin de vers que, depuis un siècle, nombre d'homérisants ont signalées comme l'indice d'interpolations ou de retouches.

La triple mention de Chypre en XVII 442, 443 et 448 fait partie d'un passage compris entre les deux vers similaires 409 et 462:

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Si l'on saute du premier hémistiche de 409 au second hémistiche de 462, on s'épargne la lecture non seulement d'un puéril bavardage, mais d'un invraisemblable et même incompréhensible galimatias. Le plus grand nombre des critiques modernes, ne voient en ces cinquante-trois vers qu'une grossière interpolation: au vers 409, en effet, le chef des prétendants Antinoos saisit le tabouret qu'il va brandir durant ces cinquante-trois vers et ne lancer qu'au vers 463..., à seule fin de permettre un discours d'Ulysse (415-444) et une réplique d'Antinoos lui-même (446461).

Dans son discours, Ulysse répète le récit, qu'il a déjà fait devant Eumée, de ses prétendues expédition et captivité en Egypte nos vers XVII 419-424 ne sont que la copie de XIX 75-80, et nos vers XVII 427-441, la copie de XIV 258-272. Jusqu'à ce dernier vers XVII 441, la répétition n'a rien de trop invraisemblable ni de trop contraire aux habitudes dites homériques. On connaît le gros de l'histoire: Ulysse le mendiant se dit un pirate crétois qui, à la tête d'une petite escadre, est allé croiser et piller dans les eaux de l'Egyptos; la chance a tourné contre lui; il a été attaqué et vaincu par les indigènes ses gens faits prisonniers ont été emmenés en servitude, XIV 271-272=XVII 440-441...

Ici, les deux textes se séparent. Dans les quatre-vingt-sept vers XIV 273-359, Ulysse achève posément le récit de sa captivité en Egypte, de son départ pour la Phénicie, de son embarquement pour la Libye, de son arrivée chez les Thesprotes et de son naufrage enfin à la côte d'Ithaque tout se suit et se tient en ce récit qui est l'une des merveilles de notre Odyssée... En XVII 442, au contraire, l'histoire tourne court: pendant que ses compagnons sont emmenés par les Egyptiens, le Crétois est donné à un roi de Chypre, de la famille des lasides, Dmétor, qui

se trouvait là, en Egypte,

on ne sait comment!

et c'est

de Chypre que le mendiant arrive en Ithaque... Les trois vers XVII 442-444 suffisent à bâcler cette fin:

αὐτὰρ ἔμ' ἐς Κύπρον ξείνῳ δόσαν ἀντιάσαντι,
Δμήτορι Ἰασίδη, ὃς Κύπρου ἴφι ἄνασσεν.
ἔνθεν δὴ νῦν δεῦρο τόδ' ἵκω πήματα πάσχων.

C'est pour introduire, en XVII 442 et 443 et en XVII 448, le nom de Chypre et louanger la famille de l'un de ses dynastes que cette maladroite adjonction fut faite au poème original. De même, dès l'antiquité, les Commentateurs s'arrêtaient devant IV 81-85:

........

ἡ γὰρ πολλὰ παθὼν καὶ πόλλ' ἐπαληθεὶς ἀγαγόμην ἐν νηυσὶ καὶ ὀγδοάτῳ ἔτει ἦλθον, Κύπρου Φοινίκην τε καὶ Αἰγυπτίους] ἐπαληθείς, Αιθίοπας θ' ἱκόμην καὶ Σιδονίους καὶ Ἐρεμβούς καὶ Λιβύην...

La répétition de maneis à deux vers d'intervalle paraissait étrange certains lisaient Alyumtious in « chez les véri70's diques Egyptiens », nous disent Eustathe et les Scholies, as dúo μέρη λόγου διαλύσαντες, et ils pensaient que le Poète voulait faire allusion aux véridiques prophètes d'Egypte, tel Protée.

Pourquoi, d'autre part, la Phénicie apparaît-elle au vers 83, devant les Sidoniens du vers 84? c'est une étrange tautologie que l'on croyait légitimer de deux façons. Le Poète, disaient les uns, a l'habitude de ces répétitions (1). Le Poète, disaient les autres, a voulu désigner deux peuples différents, deux régions séparées, fort éloignées l'une de l'autre sa Phénicie est le rivage syrien de la nouvelle Tyr et de la nouvelle Sidon; sa Sidonie était la vieille Tyr et la vieille Sidon, antérieures à l'émigration qui, de la Mer Rouge, amena les Phéniciens dans notre mer. Strabon (I 2 31-33), qu'allègue Eustathe, consacre de longues pages à ces deux explications qu'il copiait sans doute de quelque Commentaire homérique...

(1) Cf. Eustath. et Schol., IV, 80-85.

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