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ments chthoniens qui viennent des lointaines origines, et parfois elles tendent à retourner à la terre, après s'être élevées au-dessus d'elle. L'interprétation du christianisme, telle que la construirait Bachofen, en ferait un tel compromis; et jusque dans le protestantisme personnel de Bachofen, un Eros très étranger au Logos orthodoxe l'emporte et garde comme une ferveur dionysiaque du tellurisme primitif. C.-A. Bernoulli a retrouvé avec complaisance ces traces. Il faut attendre qu'il nous donne le grand ouvrage qu'il annonce sur Jésus, qui fera suite à son important volume sur Johannes der Täufer und die Urgemeinde (1920), pour nous prononcer sans risque de contre-sens. Dès maintenant on voit tout un système de psychologie religieuse prendre forme; et l'interprétation de la civilisation chrétienne tout entière devra peut-être subir des retouches, quand cette psychologie se dessinera devant nous dans son intégrité.

III

Mais, par-delà, c'est à une nouvelle métaphysique positive que tend cette psychologie religieuse. Elle a été esquissée dans de subtils et brillants essais de Ludwig Klages, et c'est de Klages que Bernoulli est ici le sectateur. Ce poète-philosophe, Ludwig Klages, qui fut autrefois du cénacle de Stephan George, est en passe de conquérir une renommée européenne. Peut-être n'y a-t-il que Henri Bergson qui ait aujourd'hui en Europe une action aussi profonde. Or, Ludwig Klages est arrivé à sa métaphysique par la méditation de Bachofen et de Nietzsche.

Pour Nietzsche, l'homme se composait d'un monde de la représentation et d'un monde de la perception. Plusieurs philosophes, dans le passé, avaient douté de la valeur de la perception humaine. Presque personne, ni même Kant, ne doutait de la vérité de la représentation. Kant la délimitait, mais la jugeait objective à l'intérieur de ces limites. Héraclite avait douté seul de la représentation, et Nietzsche le premier après lui. La perception, disait-il, est affaire d'instinct, comme le vouloir. La raison est au contraire

un tissu de représentations réfléchies. Nous ne sommes en contact avec la vie universelle que par nos perceptions et nos instincts. Ces perceptions et ces instincts préservent notre vie, et en font la partie précieuse, tandis que la pensée consciente et abstraite, la représentation, met notre vie en péril, la ronge et en cause le dépérissement.

Pour Bachofen, l'homme se compose d'une faculté de pensée et d'une faculté de vision. Quand la vision s'installe dans la pensée, la pensée est symbolique. C'est là un grave événement; c'est une descente de la pensée chez les morts. Les Enfers ont leur langage qui est imagé. Bachofen est venu déchiffrer ce langage. Quand ces images funèbres qu'il a découvertes seront libérées de tous les concepts qui en forment la gangue vulgaire, on pourra enseigner ce langage.

Cette expression « descente chez les morts » ne doit pas être tenue pour une métaphore. Il faut la prendre à la lettre. Bachofen a montré le chemin d'une ontologie nouvelle. L'ontologie commune, depuis Aristote, est construite avec les concepts les plus exsangues. Elle ne peut atteindre qu'à des chimères logiques. Seules les images ont une existence vivante. L'expérience religieuse en nous dépasse la perception, et même la science, qui n'est que le système cohérent des perceptions, parce que l'expérience intérieure atteint à une image symbolique de la vie universelle.

Cette déduction peut sembler surprenante. Car il paraît au bon sens que seules les choses existent, et non les images; que seule la perception atteint donc l'être, tandis que l'imagination n'atteint que des apparences. Mais songeons que dans toute perception il y a : une sensation; 2o une vision (Schauung). La sensation nous révèle la nature corporelle des images; la vision nous révèle la nature imagée de la réalité. La sensation est en effet une fonction du corps; la vision est une fonction de l'âme. Il n'y a pas d'êtres qui aient des sensations sans vision; mais il y en a qui ont des visions dénuées de sensation. Le rêve est une telle vision dont la sensation est absente.

S'il en est ainsi, les images sont bien plus réelles que les sensations, puisque la sensation peut disparaître alors que subsiste toujours la vision. Etre vivant, c'est être capable de cette vision intérieure, qui est la vraie fonction de l'âme. Donc les images seules sont animées, c'est-à-dire liées à la vie d'une âme. « Il n'y a pas d'âmes dans un monde de choses, de causes et de forces. La patrie des âmes, c'est la réalité des images. » » (L. Klages.) Ce qui vit, ce n'est donc jamais la matière; ce sont les images que recèlent les corps animés. Elles naissent, changent et meurent avec ces corps: Elles se transmettent à leur progéniture, se propagent dans toute la descendance de l'espèce et mènent tous ces vivants avec une force magique.

Pour une conscience ainsi faite, le monde ne se décompose plus en une infinité d'objets particuliers reliés par une causalité mécanique. Il se révèle, non comme un cosmos ordonné, mais comme un cosmos animé. Il n'apparaît qu'à une vision qui aperçoit l'archétype d'un événement, et qui met l'âme en contact direct avec l'existence universelle, actuelle et passée. Les signes qui subsistent de ces visions, ce sont les symboles imagés. Ils constituent un langage qui sert à réveiller la vision extatique, comme notre langage conceptuel sert à réveiller le souvenir des choses perçues. L'âme, dans cette vision, saisit le devenir qui, au moment même où il est aperçu, est déjà du passé. Donc, les archétypes où il est fixé sont « des âmes du passé réapparues >> (Klages.) C'est là le fond psychologique de toute religion; et c'est pourquoi toute religion repose sur le culte des ancêtres. Toute croyance au progrès est au contraire nettement une décadence et atteste la prédominance de la pure pensée organisatrice et du vouloir brutalement utilitaire.

On peut demander si cette métaphysique est aujourd'hui possible et compatible avec la science. Je répondrais qu'il faut attendre; mais qu'entre la science et la métaphysique les liens sont mobiles. Ce sera la tâche d'un nouveau livre de C. A. Bernoulli que d'exposer cette métaphysique; et on nous promet aussi que Ludwig Klages recueillera dans un livre systématique sa récolte

dispersée dans des essais épars. Cet exposé, chez l'un et chez l'autre, ne pourra être que d'une grande beauté littéraire. II convient dès maintenant de signaler cette métaphysique nouvelle qui monte à l'horizon et qui déjà trouve son expression poétique dans plus d'un poème du cénacle de Stephan George, dans l'Orpheus de C. A. Bernoulli, et dans la poésie autrichienne la plus mystique, celle de Leopold Andrian, de Beer-Hofmann, de Peter Altenberg, d'Hofmannsthal et de Rainer-Maria Rilke.

Charles ANDler.

LA PREMIÈRE ÉDITION DE SAINT PAUL

Dans son livre mémorable sur Marcion (1) Adolf von Harnack a reconstitué en partie l'Apostolicon c'est-à-dire l'édition marcionite des épitres de saint Paul.

Cette édition, établie par Marcion vers 140, comprenait dix épîtres, placées dans cet ordre: Galates, I et II Corinthiens, Romains, I et II Thessaloniciens, Laodicéens (c'est-à-dire nos Ephésiens), Colossiens, Philippiens, Philémon. Les deux épîtres à Timothée et l'épitre à Tite n'y figuraient pas. Elle n'existe plus. Seule l'édition catholique ou édition longue, qui comprend treize épîtres, nous a été conservée.

Mais l'Apostolicon a été lu, cité et combattu par plusieurs auteurs anciens. Tertullien en a eu sous les yeux une traduction latine très littérale dont il a copié une grande partie dans le Contre Marcion, vers 210. L'auteur des Dialogues d'Adamantios, vers 300, et Epiphane, dans le Panarion, en 377, donnent de nombreuses citations du grec. D'après ces trois sources et en utilisant aussi quelques allusions d'Irénée, d'Origène, d'Ephrem et de Chrysostome, Harnack est parvenu à rétablir, en entier ou en partie, environ quatre cent cinquante versets de l'Apostolicon.

Grâce à cette restauration il nous est permis de comparer l'Apostolicon à l'édition longue des épitres. Non seulement il

(1) Marcion. Das Evangelium vom fremden Gott. Leipzig, 1921. Beilage III. 2e éd. augmentée 1924. En 1891, Th. Zahn avait déjà ébauché une reconstitution de l'Apostolicon (Gesch. d. N. T. Kanons, II, p. 495-523).

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