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miner la place qui leur revient dans l'ensemble de l'histoire de la tradition. Une remarque de méthode doit être faite ici. Si, dans une tradition dont il s'agit de déterminer le caractère, on relève des éléments qui sont en contradiction avec la tradition évangélique dominante ou qui ne sont pas, d'une manière visible, le produit d'une élaboration ou d'une transformation de cette tradition, transformation dont on discernerait les causes, est-on, pour cela, en droit de considérer que cette tradition ne peut pas être le produit d'une création artificielle parce qu'elle n'a pas utilisé uniquement les matériaux évangéliques et ne se tient pas dans le même cadre narratif qu'eux? Il ne nous le semble pas parce que, ce principe étant admis, il faudrait, par exemple, estimer que les Acta Pilati ont conservé des faits un souvenir exact et, en tout cas, indépendant des évangiles en ce qu'ils font jouer un rôle dans le procès de Jésus à ses miracles ce que n'indiquent pas et ce que peut-être même contredisent les évangiles. En prenant le livre de Walter Bauer sur la Vie de Jésus à l'époque des apocryphes du Nouveau Testament il serait facile de trouver de multiples exemples de traditions qui, très certainement, sont apocryphes et secondaires et qui, cependant, ne se laissent pas strictement enfermer dans le cadre des récits évangéliques et ne peuvent pas être compris uniquement comme le développement plus ou moins libre de la tradition canonique. Nous ne serions donc pas en droit de conclure à l'authenticité des textes slaves si ces deux conditions étaient remplies pour eux.

Or il ne nous parait même pas qu'elles le soient. Tous les éléments originaux qu'ils contiennent ont leur origine première soit dans la tradition évangélique, soit dans des récits qui en dérivent. C'est ce que montre un rapide examen des éléments qui paraissent originaux dans notre fragment.

Ꭹ a d'abord l'idée que Jésus pourrait être Moïse ressuscité. On ne rencontre, sans doute, pas cette idée ailleurs. Mais dans l'épisode de la transfiguration (Mc., 9, 2-8 et par.). Moïse est directement associé à Jésus. Le sermon sur la montagne et la manière dont le « Moi je vous dis » de Jésus est mis en

opposition avec le « Il a été dit aux Anciens >> est manifestement construit de manière à évoquer l'idée d'un parallélisme entre la législation de l'ancienne alliance et celle de la nouvelle par conséquent entre Moïse et Jésus. L'idée de cette opposition, ou plus exactement de cette correspondance, se trouve aussi dans ce passage du prologue johannique: « La Loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ » (Jn., 1, 17). Enfin l'idée que Jésus pourrait bien être un personnage du passé revenant est indiquée dans deux péricopes évangéliques (Mc., 6, 14-16 et par. 8, 27-29 et par.). Dans ce que dit le fragment slave il n'y a qu'une combinaison, en partie nouvelle, de ces éléments qui se trouvent dans la tradition évangélique.

Une des idées essentielles contenues dans notre passage est que le peuple s'attend à ce que Jésus délivre Israël du joug des Romains. Divers indices donnent à penser que l'enseignement de Jésus et son action pourraient, en effet, avoir suscité des espérances de ce genre. On pourrait en trouver une preuve dans ce passage si curieux du quatrième évangile où il est dit que le peuple veut enlever Jésus pour le faire roi (Jn., 6, 15). Il n'est nullement surprenant que cet aspect de l'oeuvre de Jésus ait été atténué et même effacé dans la suite, à un moment où l'on donnait de son enseignement une interprétation nettement spiritualiste. Mais cela ne veut pas dire qu'il ait été complètement oublié et supprimé et qu'un texte comme celui du fragment slave ne puisse s'expliquer que par une tradition sur le ministère de Jésus complètement indépendante du Nouveau Testament. Un texte comme Actes, 1, 6 rapportant une question des disciples au Christ ressuscité : << Seigneur, sera-ce en ce temps là (c'est-à-dire au moment du baptême d'esprit lequel est présenté comme imminent) que tu restaureras la Royauté d'Israël ? » suffit à montrer que la tradition n'avait pas tout à fait oublié que le rôle du Messie avait un côté en partie politique et que si cet élément pas au premier plan dans ce que l'on croyait et disait de Jésus, il n'était pas éliminé mais plutôt réservé pour l'avenir et

n'était

mis ainsi à l'arrière-plan. Il n'est pas impossible que sur le terrain de la tradition chrétienne ait pu naître une idée comme celle que nous rencontrons dans notre texte, à savoir que le peuple méconnait le sens véritable de l'enseignement de Jésus et de son action en voulant faire de lui le chef d'un mouvement politique.

Le récit du fragment slave n'est-il pas d'ailleurs directement préparé par ce qu'on lit dans le quatrième évangile où ce qui déclanche le drame de la passion c'est un conciliabule des autorités juives? Elles expriment la crainte que les miracles faits par Jésus ne groupent beaucoup de gens autour de lui et qu'alors << les Romains ne viennent et ne détruisent nous, ce lieu et ce peuple» (Jn., 11, 47-48). Des deux côtés il y a la même idée fondamentale, celle d'une mesure préventive dont l'initiative appartient aux Juifs. Elle est prise, dans le quatrième évangile, par la condamnation de Jésus et dans le fragment slave, simplement par sa dénonciation à l'autorité romaine.

Notre texte donne comme théâtre de l'activité de Jésus le Mont des Oliviers et parait ignorer complètement la Galilée. Une semblable conception doit-elle être considérée comme entièrement indépendante des évangiles? C'est, croyons-nous, forcer l'interprétation du passage que de l'entendre comme s'il excluait tout ministère galiléen. Notre fragment ne prétend pas raconter tout le ministère de Jésus. Il dit seulement comment Pilate a été amené à le laisser crucifier. Si le fragment slave attribue à Jésus une activité jérusalémite plus importante que celle dont parlent les synoptiques, il subit nettement sur ce point l'influence de la tradition johannique.

L'idée que Jésus a autour de lui comme partisans, d'une part, cent cinquante esclaves et, de l'autre, une foule de gens du peuple suggère une image qui, au premier abord, est assez différente de celle que donnent les évangiles. Mais un trait important se trouve des deux côtés, c'est que les partisans de Jésus forment en quelque sorte deux cercles concentriques. Il y a d'abord un groupe de partisans décidés et, au delà, une masse plus

ou moins flottante de gens bien disposés, favorables à Jésus mais qui n'ont cependant pas pris nettement parti pour lui et qui ne reçoivent pas ses directions avec une entière docilité. La distinction entre les cent cinquante esclaves et la masse pourrait bien répondre à cette idée des évangélistes qui, dans une large mesure, doit refléter ce qui s'est passé en réalité.

Il reste cependant et c'est assez frappant que dans le texte slave il n'est pas question des apôtres. Comment un auteur familiarisé avec les évangiles pourrait-il avoir parlé de Jésus sans faire d'eux la moindre mention? Ce fait, étonnant au premier abord, s'explique par la manière dont l'auteur du fragment slave s'est représenté les choses. Comment aurait-il pu parler des apôtres alors qu'il ne pouvait leur faire jouer aucun rôle dans l'histoire telle qu'il se la représentait? Il nous montre les partisans de Jésus voulant déterminer leur maître à une action politique à laquelle il se refuse. Il ne pouvait faire intervenir ici les apôtres qui, loin de pousser leur maître en avant, s'étaient enfuis à l'heure du danger. Il était impossible, d'autre part, de les mettre en contradiction et en conflit avec Jésus. Une seule chose restait possible pour l'auteur de notre fragment, c'était de les passer sous silence. C'est ce qu'il a fait. L'omission des apôtres est donc en relation avec la manière dont l'auteur slave présente l'histoire de la passion.

L'idée fondamentale du texte, celle d'une dénonciation de Jésus aux autorités romaines par les chefs des Juifs, vient directement de la tradition évangélique sous sa forme johannique; elle est d'ailleurs inhérente à l'idée sur laquelle repose toute la tradition, à savoir celle d'une condamnation juive confirmée par une sentence romaine. Et le fait que cette idée paraît bien être une construction apologétique substituée à ce qui paraît s'être réellement passé, c'est-à-dire à la condamnation de Jésus par l'autorité romaine de sa propre initiative, met nettement le document slave sous la dépendance de tradition chrétienne.

Considéré en lui-même, le récit du fragment slave apparait donc comme ayant un caractère composite. Ce qu'il con

tient de plus original est l'idée d'une double étape dans l'histoire de la passion, c'est-à-dire d'un procès régulier qui se termine par l'acquittement de Jésus et qui est suivi, non pas à proprement parler d'un second procès, mais de manoeuvres souterraines des Juifs qui obtiennent, à prix d'argent, la permission de faire mourir Jésus. Pour commencer par ce qu'il y a de plus manifeste, une première raison de douter de l'exactitude de ce récit est qu'il donne simultanément deux explications de la mise en liberté de Jésus. Il est dit, à la fois, que Pilate le remet en liberté parce qu'il a reconnu que c'est un homme de bien dont l'action ne présente aucun danger et qu'il lui rend la liberté parce qu'il a guéri sa femme qui était à la mort. Ces deux explications qui sont simplement juxtaposées, sans même qu'il y ait un essai de combinaison entre elles, ne sont que la reprise et le développement d'indications très précises qui se trouvent déjà dans la tradition évangélique. La première explication, la mise en liberté de Jésus parce que innocence son été reconnue, a la n'est que conclusion logique des multiples proclamations de son innocence que les évangélistes se plaisent à mettre dans la bouche de Pilate et qui, à mesure qu'on avance dans l'histoire de la littérature évangélique, prennent une précision de plus en plus grande. La mise en liberté de Jésus n'est pas, dans le fragment slave, le souvenir d'un fait réel car il n'y a aucun indice qui permette de supposer une double étape dans les événements qui ont amené la mort de Jésus et qui autorise à conjecturer, avant la condamnation, un premier procès terminé par un acquittement. En outre cette libération ne sert à rien puisque, sans qu'aucun fait nouveau soit intervenu, les Juifs obtiennent, à prix d'argent, la permission de faire mourir Jésus.

Le second motif donné à la mise en liberté de Jésus, la guérison de la femme de Pilate n'est que le développement de l'épisode du songe de la femme de Pilate rapporté dans Matthieu (27, 19) (1), développement qui, on le sait, fait partie de l'éla

(1) Un développement analogue se trouve dans la Vita Beatae Virginis

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