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puisque les deux auteurs juifs ne parlent pas plus de l'un que de l'autre. Et je suppose que le christianisme existait bien au temps où Josèphe écrivait. Alors? M. Couchoud s'attendait à trouver une tradition particulière sur Jésus dans le Talmud. Je n'ai jamais partagé cette illusion; les rabbins contemporains de Jésus n'avaient pas plus de raison de garder son souvenir que Josèphe et Juste. Les talmudistes, n'ont pris intérêt, comme il était naturel, qu'à la polémique avec les chrétiens; c'est-à-dire que leurs préoccupations ne commencent qu'à un stade de l'histoire chrétienne assez éloigné de la vie du Christ. Il est pourtant fort digne de remarquer que, s'ils ont raconté sur « le fils de la parfumeuse » des histoires saugrenues, pour le tourner en ridicule ou l'avilir, ils n'ont jamais nié son existence. C'eût été cependant, à ce qu'il semble, une manière commode et radicale d'en finir avec leurs adversaires. Assurément M. Couchoud a cru trouver chez un des plus anciens témoins de la polémique, au Dialogue de Justin avec le Juif Tryphon (8, 4), un texte qui supposerait chez le Juif au moins le soupçon de l'inexistence de Jésus: « c'est un vain on-dit (parziav axonv) que vous avez accepté. Vous vous êtes façonnés à vous-mêmes un certain Christ (Xplotov Tiva) ». Oui; mais prenez la peine de replacer ce passage dans son contexte et vous connaîtrez tout de suite qu'il signifie simplement que le Christ chrétien n'est pas celui de la tradition juive; c'est pourquoi Justin en appelle sans tarder aux Ecritures pour réfuter Tryphon et prouver qu'elles ont prévu le Christ chrétien, et non à l'histoire qui serait, en l'espèce, inopérante. Rien de plus; et, vraiment, il serait temps de renoncer à cette méthode chère à Drews. Smith, ou Robertson, qui consiste à tirer l'impossible d'un texte isolé. Les théologiens ont le droit de se permettre des écarts de ce genre parce qu'ils peuvent légitimement invoquer la Not kein Gebot; M. Couchoud ne saurait jouir du même privilège, et l'usage qu'il fait de Dial., 8, 4, m'afflige vraiment beaucoup.

Je conviens très volontiers que plusieurs écrits de N. T. ne nous apportent aucun renseignement digne de foi, ni même aucun renseignement tout court sur le Jésus historique. M. Goguel s'est efforcé de prouver qu'ils n'excluent pas son existence: c'est tout ce qu'on peut accorder. Mais qui s'étonnera de pareille carence, sachant que ces écrits sont de date tardive et qu'ils marquent une étape de l'évolution de la christologie ce n'est plus l'humanité de Jésus qui inté

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resse leurs auteurs. S'en trouve-t-on autorisé à soutenir qu'ils l'ignorent et même témoignent contre elle? Je ne le crois pas.

Il est tout aussi abusif de tirer le moindre argument dans le même sens du silence des Pères Apostoliques sur la personne de Jésus et sa vie commune (p. 96). Je me demande en quoi elles les intéressent l'une et l'autre et pourquoi ils en parleraient, sinon en vertu de circonstances de hasard qu'ils n'ont point rencontrées. Dans la même ligne, le silence des auteurs païens du rer siècle n'a pas plus d'importance. Les premières mentions du christianisme sous des plumes païennes ne paraissent que lorsque la religion nouvelle a pris un développement suffisant dans l'Empire pour attirer et retenir l'attention des profanes. Il n'est possible de trouver ce retard surprenant que si on se représente les obscures origines de l'Eglise dans la clarté

relative qui nous révèle sa vie au temps des Antonins. Je m'étonne que M. Goguel ait apporté tant de minutie, voire de subtilité, à lever ce scrupule qui s'évanouit de lui-même dès qu'on le replace dans le plan de l'histoire. Du reste, quand M. Couchoud affirme (p. 32) qu'« en tous cas » la mention du Christ chez Suétone (impulsore Chresto) « ne se rapporte pas à Jésus historique, mais à la représentation du MESSIE dans les têtes », il remplace par le contenu de son propre intellect la connaissance qu'il n'a pas plus que moi des intentions du texte. Et quand il ajoute qu'il s'agit de « l'Idée qui commençait déjà à bouleverser Rome et l'Emprie », il fonde une opinion toute personnelle sur l'appui ruineux d'un insoutenable anachronisme.

Il va de soi que M. Couchoud dénie toute valeur historique aux récits évangéliques. Il professe qu'ils sont marqués tous les quatre, profondément, de l'empreinte doctrinale et tout orientés vers l'usage liturgique. Et encore : « Ils sont les derniers fruits de la prophétie chrétienne et ils annoncent un âge nouveau » (p. 163). Entendez qu'ils prennent place dans le plan de l'imagination religieuse et se sont non seulement organisés, mais aussi déterminés, et proprement inventés en relation stricte avec des nécessités de catéchèse, de doctrine et de liturgie. Plus spécialement, il convient de les subordonner de près au « poème théologique de Paul » (61). Je ne crois pas que tout soit faux dans ces affirmations-là; mais, outre qu'elles paraîtront désespérément excessives en elles-mêmes, elles s'appuient sur des vues d'exégèse encore à l'étude et sur lesquelles il paraît

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singulièrement téméraire de conclure dès maintenant. Je fais naturellement toutes réserves sur le poème théologique de Paul» et sur le sens de sa prétendue relation avec la tradition synoptique. Mais accordons, pour le moment, à M. Couchoud que la substance du récit évangélique soit bien telle qu'il la définit; est-ce que pareille concession implique la négation de l'existence de Jésus? A mon sens, non. L'aspect et le caractère de nos Evangiles, livres rédigés à un stade déjà assez avancé de la vie de la foi chrétienne, répondent aux nécessités religieuses de leur temps, mais s'appuient sur des traditions antérieures et, sinon de sens, au moins d'avancement différent ; d'esprit différent aussi. Le personnage autour duquel nos rédacteurs disposent à leur gré épisodes et discours, n'est certainement plus conforme à une réalité humaine positive; il ne s'en suit pas qu'il ne l'ait jamais été et ne soit qu'un produit de l'imagination des bons sectaires. S'il avait été inventé, son histoire serait plus complète, plus cohérente, mieux intégrée dans un enseignement plus évident et mieux ordonné. Nos Evangélistes ne s'intéressaient plus guère à la vie humaine de Jésus et, pour eux, le Christ avait déjà à peu près effacé le Galiléen; c'est pourquoi ils n'ont pris aucune précaution contre les négations de M. Couchoud et ne les ont point d'avance réfutées. Ils ont, tout simplement, raconté leurs histoires intéressées et tendancieuses en les empruntant à de tout autres sources qu'une bonne tradition historique, et ce n'est, à aucun degré, un dessein d'histoire qu'ils ont cherché à réaliser; tout dans la contexture même de leur construction me prouve pourtant qu'un résidu de souvenirs, peut être plus gênants qu'utiles à leur entreprise, s'imposait à leur fantaisie apologétique.

S'attaquant à Mc. avec une application particulière et qui, du reste, de son point de vue, se comprend, M. Couchoud, nous assure (p. 43) que, placé en face des thèmes isaïens, le petit génie de l'Evangéliste n'a pas osé se risquer à les développer dans le genre apocalyptique; c'est pourquoi il a cherché autre chose et s'est mis à « des histoires, ce qu'il avait entendu conter des premiers temps chrétiens ». Mon Dieu, je concède volontiers que Mc. manque de lyrisme et que son auteur n'est pas à confondre avec le Voyant de Patmos; mais là n'est pas la question : « des histoires qu'on a entendu raconter », ne serait-ce pas cela même qui se nomme communément la tradition? Elle est bonne ou mauvaise, exacte ou fan

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taisiste, mais, sous ses pires extravagances, elle a pu conserver des bribes de vérité. Est-ce que ces « histoires >>, recueillies par le << bonhomme » Marc se rapportaient toutes à un personnage imaginé pour les besoins d'une cause, ou illustraient, en les déformant plus ou moins, les souvenirs laissés par un homme véritable? Tout est là. Il ne s'agit nullement de se demander si l'Evangéliste s'est pris pour un historien et si ses « histoires » sont de l'histoire, car, alors même que pas une seule d'entre elles ne répondrait à un fait exact, le seul fait qui nous intéresse pour le moment, celui de l'existence de Jésus, ne s'en trouverait pas nécessairement infirmé. Nous n'aurions plus sur Charlemagne d'autres documents que les poèmes épiques qui le conduisent à Constantinople et à Jérusalem, qu'il n'en serait pas moins le fils authentique de Pépin-le-Bref. Plus près de Jésus, la Vie d'Apollonius de Tyane, par Philostrate, n'est qu'un roman calqué, plus ou moins, sur la légende de Pythagore: en peut-on légitimement conclure, en a-t-on conclu que cet Apollonius n'a jamais existé?

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C'est entendu si nos Evangélistes et pas seulement Mc. leurs lecteurs n'attachaient d'importance aux faits, sinon comme support d'idées, ils ont ramassé pêle-mêle mythes, rêveries, prophéties, anecdotes plus ou moins vraisemblables; mais, s'il faut conclure de leur incohérence comme de leur crédulité, qu'ils ne nous laissent point la possibilité de nous représenter la vie de Jésus, cette conclusion n'entraînerait légitimement la négation de l'existence même du personnage en cause que si les récits évangéliques eux-mêmes, je ne dis pas imposaient, mais seulement permettaient cette négation. Et je soutiens qu'il n'en est pas ainsi que leur effort visible pour hausser la maigre tradition au niveau d'une histoire opulente échoue, et que leur désir ardent de grandir démesurément Jésus n'arrive pas à l'arracher à l'humanité. En irait-il de même si cette tradition parlait de la représentation d'un dieu? J'en doute. Admettre que la substance de Mc. soit tout entière une suggestion de l'Esprit (p. 39), ce serait, je pense, singulièrement rogner les ailes de l'Esprit et empêtrer ses élans parmi de bien médiocres contingences, où il ne lui est pas ordinaire de s'embarrasser. M. Couchoud sait de science sûre (p. 37) que l'incipit de Mc. était Commencement de la Bonne Nouvelle sur Jésus Messie, FILS DE DIEU. Je n'ignore pas que tous les grands témoins, hormis le Sinaïticus grec, donnent les mots vioù fɛoù, qui,

du point de vue de M. Couchoud, constituent l'aveu ingénu de l'Evangéliste. Je les crois pourtant parasites et très tardifs, et je m'autorise de l'omission qu'en font Irénée, Origène, Basile, Jérôme, etc. Ils se sont, à mon sens, introduits en 1, 1 pour faire pendant à 15, 39 qui a peut-être marqué une des conclusions successives de Mc. la plus ancienne : En vérité cet homme était fils de Dieu. En tous cas, prendre ces mots au pied de la lettre et, si j'ose ainsi dire, au sens absolu, constitue un abus difficile à justifier.

Nous voici maintenant en face du réduit central de l'argumentation de M. Couchoud. Il est constitué par sa représentation de Paul et du paulinisme. Sous les replis de raisonnements astucieux, s'embusquent, pour le péril du lecteur innocent, quelques affirmations capitales. Je ne m'occuperai que d'elles Paul n'a aucune connaissance véritable d'un homme Jésus; il l'imagine d'après les Ecritures en conformité d'un plan doctrinal qui ne doit rien à la vie réelle; quand il rapporte de prétendues instructions ou paroles de ce Seigneur qui dépasse et domine l'humanité, voire la nature entière, il ne s'agit que d'oracles, de révélations « pneumatiques », d'inspirations personnelles. Ce n'est point sur les souvenirs d'une tradition où se reflèterait, en tout ou partie, une biographie qu'il appuie son enseignement, c'est sur un mythe, et c'est à un mythe qu'il coordonne son Evangile. Ce mythe développe et illustre une vue de foi, savoir que Iahwé est devenu une divinité du salut, car le Seigneur, le Kyrios paulinien, ce n'est rien de plus que Iahwé qui secourt et qui sauve. Voilà bien la forme la plus ancienne de la représentation chrétienne du Christ, et le travail d'humanisation du Seigneur dans l'intérêt d'une thèse doctrinale et en vue de la consolidation du mythe, travail dont les Epitres de Paul nous laissent voir déjà les débuts, va se poursuivre après lui jusqu'à un renversement total des valeurs premières jusqu'à l'histoire de la divinisation d'un homme. Voyons donc. Tout d'abord, je remarque que, nulle part plus que dans son étude du paulinisme, M. Couchoud n'use de l'affirmation péremptoire dépourvue de toute justification véritable. Quelques exemples: On n'a pas le droit de poser en principe (p. 31) que lorsque Paul s'autorise d'une parole du Seigneur, il s'agit d'un oracle inspiré reçu en extase. Que l'Apôtre ait connu des révélations de ce genre, je n'en disconviens pas; qu'il les ait mal distinguées, ou même pas distinguées du tout de ce qu'il avait pu recevoir de

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