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solution de toutes les difficultés que la vie journalière leur opposait. L'existence d'une semblable collection a été soupçonnée depuis longtemps et souvent, mais comme une vraisemblance, comme une nécessité logique de la propagande et de la controverse; M. R. Harris prétend l'établir comme un fait.

Et tout droit il va demander des preuves à des écrits qui, dès l'abord, font figure eux-mêmes de recueil des Testimonia, ou, du moins, semblent établis sur un semblable recueil, tels le Dialogue avec le juif Tryphon, de Justin, les Testimonia de Cyprien, l'Adversus Judaeos de Tertullien je suis l'ordre adopté par l'auteur les Εκλογαί μαρτυρίων πρός Ἰουδαίους, attribuées à Grégoire de Nysse, le traité contre les Juifs de Bar Salibi. Ces divers ouvrages mettraient en œuvre- M. R. Harris commence par dire probablement le même fonds de textes, peu à peu accru avec le temps et selon les nécessités de la polémique; en d'autres termes, ils nous représenteraient des états successifs, des éditions revues et augmentées du recueil primitif.

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Si on admet et l'existence de ce recueil et sa persistance, si on convient qu'il a laissé des traces d'un bout à l'autre de la littérature chrétienne, il paraît invraisemblable qu'il n'ait point exercé son action sur une foule d'autres écrits que ceux qui semblent évidemment en dépendre. Telle est bien l'opinion de M. R. Harris, qui se met en quête de preuves, ou, à tout le moins, d'arguments, en commençant par les écrits qui composent le Nouveau Testament et en poussant vers les temps modernes aussi avant qu'il peut. Les écrivains néo-testamentaires et, à leur suite, tous ceux que l'auteur a occasion de nommer, sont rangés sous l'autorité de ces Testimonies, qui nous apparaissent ainsi comme le livre de chevet de tous les Pères et comme la source constante de toute apologétique; plus même, de toute catéchèse, car il paraît qu'après avoir servi à polémiquer contre les Juifs, le recueil s'adapte promptement aux nécessités de l'instruction chrétienne. Il se répand partout; on le trouve attesté en Palestine, à Rome, en Asie-Mineure, à Alexandrie, dans le Sud de la Gaule, dans le Nord de l'Afrique; il s'annexe, si j'ose dire, Barnabé et Irénée, et Novatien, et Lactance et Athanase; il nourrit tous ces traités en forme de dialogue qu'on nomme la Dispute de Jason et de Papiscus, l'Altercatio Simonis et Theophili, etc.; il sert encore de fondement à la Didascalia Jacobi, qui date de 640

et part de la plume d'un juif converti, comme à un livre écrit au plein du moyen âge par un Arabe chrétien contre les musulmans et retrouvé naguère au Sinaï par Mrs Margaret Gibson. Enfin M. R. Harris le reconnaît encore dans un manuscrit du XVIe siècle, découvert au mont Athos, dans la bibliothèque du couvent d'Iveron, par Sporodion Lambros et attribué « au moine Matthieu ».

Or ce dernier manuscrit est précédé de quelques vers où nous lisons que Matthieu fut un personnage éminent qui, dans ces cinq livres, combattit victorieusement l'audace des Juifs :

Ματθαῖος εἴργει τῶν Ἰουδαίων θράσος,

dont l'erreur (λávy) implique toutes les hérésies, car l'ergotage de ces meurtriers de Dieu en est proprement la mère :

ἄρδην ἁπάσας συγκαθεῖλεν αἱρέσεις

μήτηρ γὰρ αὐτῶν ἡ θεοκτόνων ἔρις.

Ces vers, M. R. Harris juge qu'ils ne peuvent être du moyen âge et qu'ils ont un air de famille avec ceux que cite Irénée et qu'un ancien presbytre avait composés contre le há de Markos. S'ils remontent si haut, c'est que l'ouvrage qu'ils précèdent et annoncent est fort ancien, et ce Mathieu, dont les gens de l'Athos ont fait un moine tout naturellement, ne peut être qu'un chrétien des premiers âges. Est-ce qu'Hégesippe ne nous dit pas lui aussi, que le judaïsme est la mère de toutes les hérésies » et ne savons-nous pas que les apologistes ultérieurs incriminent surtout, du même point de vue, la philosophie grecque? Matthieu serait donc au moins du temps d'Hégésippe, soit du milieu du n° siècle. Et, en passant, M. R. Harris ajoute Hégésippe aux « clients » de ses Testimonies, car cet Hégésippe avait composé cinq livres tout comme le moine Matthieu cinq livres d'Hypomnemata, sorte de memento de textes et d'arguments contre les hérétiques, qui devait représenter une édition de Testimonies. - Mais nous connaissons un autre écrivain ancien qui a, lui aussi, composé un traité en cinq livres sur les Aóyta xupizzá, titre que R. Harris traduit par les Oracles du Seigneur; ce traité était sûrement un commentaire des Testimonies et son auteur c'est Papias, évêque d'Hiéropolis, plus vieux qu'Hégésippe d'au moins une génération. Et si Papias attachait cette importance au recueil en

cause, c'est qu'il lui voyait tenir, en effet, une grande place dans la vie chrétienne. Et alors, n'est-ce pas lui qu'il veut désigner quand il nous parle, au dire d'Eusèbe (HE, III, 39, 16), de ces Aóyiz redigés « en hébreu » par Matthieu et que chacun traduisit comme il put? M. R. Harris en est persuadé.

A son sens, Aóyta ne peut vouloir dire qu'Oracles, prophéties et les Testimonia étaient évidemment d'abord un recueil de texte prophétiques. Conclusion: le manuscrit de Lambros nous donne la dernière édition du recueil dont Matthieu, Matthieu l'apôtre, sans doute, a été le premier auteur, que Papias et Hégésippe ont commenté, en suivant l'ordre des livres et que toute l'antiquité chrétienne a exploité inlassablement.

En doute-t-on? M. R. Harris tient en réserve un argument qu'il juge irrésistible. Vous connaissez Victorin de Pettau, dont les ouvrages, réduits pour nous à quelques débris, prennent place vers la fin du me siècle? Sur le témoignage de saint Jérôme, M. R. Harris, admet d'abord que c'est un plagiaire, qu'il cite, sans y rien changer, des pages entières qu'il emprunte à autrui, et, ensuite, qu'il dépend étroitement de Papias. Or il nous reste de lui un fragment d'un traité sur la création du monde (Routh, Reliquae, 3, p. 458), où cette dépendance de Papias se marque par l'emploi des mots ut mens parva poterit, traduction évidente du vous quixpós d'Eusèbe (HE, III, 39, 13), qui l'applique à l'evêque d'Hierapolis, croit-on géneralement, pour marquer le peu de cas qu'il fait de son intelligence. Mais Dom Chapman, fort approuvé par M. R. Harris, propose d'interpréter la phrase d'Eusèbe comme s'il rapportait un trait de modestie de Papias lui-même. S'il en est ainsi, Victorin copie Papias n'est-il pas vrai? en arguant de sa mens parva. Tout justement, dans ce même fragment qui nous occupe, se trouve cette phrase étrange: Et apud Matthæum scriptum legimus: Esaias quoque et ceteri collegae ejus Sabbatum resolverunt. Il n'est pas question de cela dans notre Mt. Routh proposait de corriger Esaias en David et de se référer à Mt., 12, 3 (histoire des pains de proposition mangés par David en un jour de nécessité); mais M. R. Harris, n'accepte pas cette correction, sur ce que les versets d'Isaie 1, 13-14, où Dieu dit qu'il bait « les nouvelles lunes et les sabbats » des Juifs, sont pièces normales de la polémique anti-juive. Ainsi on lit en Tertullien, Adv, Jud. 4 : Dicit Esaias propheta: Sabbata vestra

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odit anima mea. C'est donc bien Esaias que Victorin a écrit et il ne l'a pas inventé: il l'a pris à Papias et l'erreur était dans les Testimonies. Et M. R. Harris de tirer parti de son affirmation pour proposer une correction au texte de Victorin et lire Esaias quoque et ceterae eclogae ejus, en rapportant ces autres extraits non pas à Isaïe, mais à Matthieu, auteur présumé des Testimonies. Il faudrait done entendre: Nous lisons écrit dans Matthieu : Isaïe aussi et les autres extraits (qui l'accompagnent dans l'ouvrage ont détruit le Sabbat. J'ai du mal à mettre la phrase en mot à mot, mais c'est là un détail et il me faut admettre que le titre du recueil de Matthieu ait été Témoignages choisis, puisqu'aussi bien l'édition attribuée à Grégoire de Nysse s'intitule, comme j'ai dit : 'Exλoyz! p.zptupiwv mpòg 'Icudzícus.

Plus d'hésitation et il ne reste plus qu'à restaurer le texte capital que M. R. Harris a repéré d'un bout à l'autre de la vie de l'Église ancienne; il nous promet, en effet, de nous le donner bientôt.

Voilà donc la thèse. Voici maintenant la méthode et les arguments mis en œuvre pour la fonder. L'auteur rapproche et compare des textes choisis dans les ouvrages que je viens de rappeler et il s'efforce de prouver qu'ils dépendent tous d'une source commune : ils citent inexactement et suivant la même altération, les mêmes. passages de l'Ecriture; ils avancent comme citation unique des combinaisons composites, les mêmes; ils commettent les mêmes erreurs d'attribution à tel ou tel écrivain sacré; ils interpolent de même sorte les leçons authentiques. Prenons quelques exemples: Nous lisons en Irénée Adv. omn. haer., 4, 55, 2 : Qui autem dicunt ADVENTU EJUS quemadmodum cervus claudus saliet. etc., et en Justin, 1 Apol., 48, 2 : τη παρουσιᾷ αὐτοῦ ἀλεῖται χωλὸς ὡς ἔλαφος, etc. Or les mots soulignés ne sont pas dans Is. 35, 5, d'où vient la citation, et il faut les considérer comme une sorte de résumé de ce qui précède, spécialement des mots de 35, 4: ὁ θεὸς ἡμῶν..... ἥξει καὶ σώσει ἡμᾶς. Conclusion Justin et Irénée ont emprunté leur addition à la source même où il ont puisé la citation, soit aux Testimonies.

La citation d'Irénée prise dans son ensemble est composite, puisque ls. 26, 19 : ἀναστήσονται οἱ νεκροί καί ἐγερθήσονται οἱ ἐν τοῖς pvqusicis, s'y ajoute à Is. 35, 5; la citation de Justin nous présente une combinaison analogue: elle n'est l'œuvre ni de l'un ni l'autre, mais de l'auteur des Testimonies.

Irénée, en 3, 9, citant Nombres 24, 17: vtéke: doтpov è 'Ixxú6,

attribue le passage à Isaïe et Justin, 1 Apol. 32, 12, commet la même erreur; elle vient de la source commune.

Justin, Dial. 73, 1 accuse les Juifs d'avoir supprimé de Ps. 95, 10: εἴπατε ἐν τοῖς ἔθνεσιν · Ὁ κύριος ἐβασίλευσε, les mots ἀπὸ τοῦ ξύλου, qui, d'ailleurs, ne se trouvent ni dans la Septante ni dans l'hébreu. Or Tertullien, Adv. Jud. 10, fait, lui aussi, état de ce Deus regnavit in ligno, qu'il attribue au Psalmiste: Si legisti penes prophetum in Psalmis, et, au surplus, les mots interpolés connaissent une extraordinaire fortune dans toute la littérature patristique latine; c'est, M. R. Harris n'en saurait douter, l'auteur des Testimonies qui les a introduits dans sa citation et c'est lui qui les a répandus dans les écrits anti-juifs partis de plumes chrétiennes.

On entend bien que je ne donne qu'un exemple là où M. R. Harris en avance d'ordinaire plusieurs; il n'importe, puisque je ne cherche qu'à faire comprendre sa méthode de démonstration: Il l'applique, toujours la même, aux cas particuliers qu'il considère. Ainsi, lorsqu'il entreprend d'établir que son recueil est antérieur à tous les écrits du Nouveau Testament, il avance que la citation d'Is. 54, 1, qui se trouve en Gal. 4, 27, n'y vient pas directement du prophète, parce qu'elle se retrouve en 2 Clem., et qu'elle se reflète au moins chez Justin et Cyprien il faut qu'elle procède des Testimonies. Il en va de même de l'erreur de Mc. 1, 2: xa0dg yéɣрzπtz, ἐν τῷ Ησαΐᾳ τῷ προφήτῃ, οὐ Isare est mis au lieu de Malachie, et de celle de Mt. 27, 9, qui nomme Jérémie pour Zacharie! M. R. Harris tient spécialement à reporter sur l'auteur de ses Testimonies la responsabilité d'une confusion que les bonnes âmes ne supportent pas sans peine dans le Livre inspiré.

On a déjà remarqué sans que je la souligne la fragilité de plus d'une des parties de cette construction, dont je n'ai sans doute pas considéré tous les aspects, mais dont j'ai, je pense, fidèlement retracé les lignes fondamentales. Je me contenterai de présenter brièvement les principales objections que j'y fais.

D'abord je ne crois pas légitime de confondre, comme M. R. Harris le fait continuellement, possibilité, probabilité, certitude et évidence; il passe d'un terme à l'autre avec une facilité quelque peu déconcertante; c'est comme un continuel glissement qui l'entraine irrésistiblement, tant sa thèse le domine, de la constatation la plus prudente à la conclusion la plus compromettante. Cette tendance

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