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Le P. Lagrange ne sera pas surpris du ton de nos remarques. En publiant son livre, il savait qu'il provoquerait une opposition dont toute la courtoisie qui est de règle dans les discussions scientifiques ne parviendrait pas à atténuer la rigueur.

Le livre du P. Lagrange est une tentative pour exploiter contre l'exégèse scientifique et l'application au christianisme des méthodes générales de l'histoire des religions, l'aversion instinctive qu'éprouve actuellement chaque Français envers tout ce qui est allemand. Cette apologétique nous paraît manquer d'élévation et même il ne faut pas hésiter à écrire le mot de loyauté. Elle manque d'élévation car elle fait appel à des passions qui risquent d'égarer, en une matière où plus qu'en tout autre il est indispensable de ne se point départir de la sérénité qui convient à la science et de la rigoureuse impartialité du jugement. Quels que soient les crimes dont l'Allemagne s'est rendue coupable, ils ne modifient rien aux constatations scientifiques que des savants allemands ont faites depuis des siècles. Nous ne doutons pas des axiomes mathématiques parce qu'ils ne sont pas formulés seulement dans des traités rédigés par des savants alliés ou neutres, mais qu'on les trouve aussi sous la plume des mathématiciens allemands. Pourquoi n'en déplaise au P. Lagrange et à tel autre en serait-il autrement en matière de critique religieuse et d'exégèse?

Nous avons dit que la polémique du P. Lagrange manque de loyauté. Le reproche est grave, il doit être motivé. Le P. Lagrange oppose l'une à l'autre l'exégèse allemande et l'exégèse dogmatique catholique. Mais il y a une exégèse catholique allemande et une exégèse indépendante qui n'a rien d'allemand. De la première il dit seulement « L'exégèse des catholiques (allemands) ne figure pas dans notre programme; ce n'est qu'une dépendance de la grande exégèse catholique » (p. 1). La seconde est complètement passée sous silence par le P. Lagrange. Le titre choisi par lui tend à indiquer et la lecture de son livre confirme cette impression la critique scientifique du christianisme est l'œuvre de la seule exégèse allemande. Or, cela est faux. Si le nombre des critiques allemands peut, au premier abord faire illusion, il est souverainement injuste, pour ne pas dire plus, de passer sous silence le rôle de la critique biblique en dehors de l'Allemagne. C'est un Français, Richard Simon, qui en a été le créateur au xvII° siecle, c'est un autre

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que

français, Astruc qui au xvin siècle a posé les bases de la critique du Pentateuque et ne suffit-il pas d'écrire des noms comme ceux de Reuss et de l'école de Strasbourg, de Renan, d'Albert Réville, d'Ernest Havet, de Michel Nicolas, d'Auguste Sabatier, de Jean Réville pour montrer que la France du xix siècle n'a pas laissé à l'Allemagne le monopole de la science biblique. Et ce que nous disons à propos de la France, on pourrait le répéter à propos de la Hollande, de l'Angleterre, de la Suisse et dans une certaine mesure, au moins, des États-Unis. Ces faits, il n'est pas admissible que le P. Lagrange les ignore. S'il les passe sous silence parce qu'ils sont défavorables à sa thèse et s'opposent à l'équation: germanisme, protestantisme, exégèse indépendante, comment qualifier un semblable procédé ?

Enfin, et c'est là une dernière observation d'ordre général que nous avons à présenter, le livre du P. Lagrange ne repose pas sur une érudition personnelle; il dépend entièrement de l'« Histoire des Vies de Jésus » d'Albert Schweitzer et cela renforce l'impression du lecteur que le livre du P. Lagrange n'est pas le résultat d'études indépendantes, mais un réquisitoire contre les adversaires d'une thèse définie à l'avance. Cette thèse est celle des droits exclusifs de l'exégèse dogmatique de l'Église catholique.

Nous avons eu l'occasion à propos des derniers commentaires publiés par le P. Lagrange, de formuler les réserves de principe qu'appelle son exégèse'. Il est d'autant plus superflu d'y revenir que la divergence de vues qu'il y a entre lui et nous est telle qu'aucun rapprochement n'est possible et qu'une discussion est condamnée fatalement à rester stérile.

MAURICE GOGUEL.

F. MACLER. Histoire universelle par Etienne Asolik de Tarôn, traduite de l'arménien et annotée. Deuxième partie. Publications de l'Ecole des Langues orientales vivantes, 1" série, tome XVIII bis, in-8° de CLXII-209 p. avec 12 pl. hors texte, Paris, 1917.

C'est aux alentours de l'an mille qu'Etienne Asolik de Taron a 1) Voir Revue, t. LXXVII (1918), p. 292, 368 ss.

écrit son Histoire universelle, allant du commencement du monde jusqu'au milieu du règne de Gagik I, le septième roi de la branche bagratide résidant à Ani (989-1021). La première partie de la traduction en français avait été publiée à Paris, en 1883, par E. Dulaurier. M. Macler achève l'œuvre commencée et publie la traduction. de la deuxième partie de l'œuvre de l'historien arménien. Celle-ci revêt une importance capitale, parce qu'elle a été écrite par un contemporain d'une partie des événements qu'il rapporte.

M. Macler a fait précéder sa traduction d'une introduction, où il donne un aperçu de l'Arménie à l'époque où vivait et écrivait Etienne de Tarôn. Il replace ainsi l'auteur dans son milieu, afin de déterminer les éléments nouveaux que cet historien d'un peuple, qui fut en contact avec les grands empires des Byzantins, des Persans et des Arabes, apporte à l'histoire générale. M. Macler ne retrace pas seulement l'histoire des Bagratides d'Ani; il fait aussi une place à l'exposé historique des principautés et des royaumes arméniens, qui virent le jour et disparurent au x et au x1° siècle. Ces familles princières d'Arménie avaient fondé des royaumes, qui furent des centres de vie intellectuelle et artistique, mais qui devinrent bientôt des foyers de révolte et de désunion.

Après l'histoire, l'auteur étudie la littérature. Il énumère les écrivains arméniens, qui, de la deuxième moitié du Ixe siècle aux premières années du xe, ont laissé des ouvrages relatifs à l'époque décrite par Etienne de Tarôn. On trouvera des indications bibliographiques de leurs œuvres imprimées ou manuscrites, notamment une liste précieuse de manuscrits datés tétraévangiles, commentaires de la Bible.

Au point de vue archéologique, Etienne de Tarôn mentionne un certain nombre de monastères dont la fondation est antérieure à l'époque où il vivait, et d'autres couvents fondés de son vivant. En consacrant une notice à chacun d'eux, M. Macler apporte des données nouvelles à l'histoire de l'architecture arménienne. Les ruines de ces couvents sont des vestiges très précieux, notamment les restes importants de Zwarthnots, dont on trouvera des plans et des vues photographiques.

La théologie d'Etienne de Tarôn reflète le particularisme religieux de l'église d'Arménie, qui a eu longtemps une prévention marquée à l'égard du concile de Chalcédoine. Etienne de Tarôn expose

la foi monophysite. Il connaît bien les pères grecs du Ive siècle et les utilise pour appuyer sa thèse. En étudiant les sources historiques auxquelles il a puisé, M. Macler constate que comme source byzantine Etienne de Tarôn ne cite qu'Eusèbe et Socrate. « Parmi les Grecs il y a beaucoup d'autres historiens; mais ces deux sont comme les deux astres qui l'emportent en éclat sur tous les autres >> (p. cx1). L'historien arménien ne nomme, en effet, aucune autre Source byzantine. Il a dû cependant avoir entre les mains les œuvres des continuateurs de Théophane, de Constantin Porphyrogénète, d'autres encore. L'Arménie avait, en effet, des rapports constants avec Byzance. M. Macler signale plusieurs exemples intéressants de ces contacts. Le catholicos Zaqaria ler (855-877) échange une correspondance avec Photius, le patriarche de Constantinople. Isaak ou Sahak répond, en 863, à une lettre adressée par Photius au prince bagratide Achot. Gagik Ir, prince de Vaspourakan (C08-937), écrit des lettres à l'empereur et au patriarche de Constantinople. Comme indice d'influence byzantine on trouve à la cour arménienne le titre de curopalate dans un passage curieux d'Etienne de Tarôn. « Achot gouverna l'Arménie avec un esprit pacifique et surpassa tout le monde par l'humilité et la charité; il réunissait autour de lui les estropiés, les boiteux et les aveugles, et les faisait asseoir à sa table dans les banquets, se plaisant à donner à quelques-uns d'entre eux les qualificatifs de prince, de prince des princes, ou de curopalate, et se réjouissant avec eux », (p. 39).

La traduction est accompagnée de nombreuses références. Elle rend accessible à ceux qui ne lisent pas l'arménien un document important, qui jette une grande lumière sur les événements, qui se sont déroulés du 1x au début du x1° siècle dans le monde oriental. Les arménistes ne seront pas les seuls à remercier M. Macler d'avoir mené à bonne fin cette traduction française et de l'avoir si consciencieusement et si savamment annotée et commentée.

J. EBERSOLT.

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WACYF BOUTROS GHALI. Les perles éparpillées, légendes et contes arabes. - Paris, Plon-Nourrit s. d. (1919), 225 p., in-16.

Sous ce titre, M. Wacyf Boutros Ghali, connu par d'autres publications sur la littérature arabe' vient de faire paraître un recueil de légendes dont une seule, les Recommandations du Prophète, est véritablement musulmane. La dernière, le Palais des désenchantées, est une fiction de l'auteur. Les autres proviennent de diverses sources: en partie chrétiennes, mais dont quelques-unes remontent à des origines plus lointaines comme on le verra plus loin, jusque dans l'Inde.

L'auteur ne fournit aucun renseignement sur les documents qu'il a utilisés; une simple note d'une page en appendice n'aurait pas été inutile. Il est donc impossible de contrôler l'exactitude de la traduction. Il semble cependant qu'il s'agit plutôt d'une adaptation et que l'auteur a pris les plus grandes libertés avec les textes qu'il a eus sous les yeux. Toutefois, comme il s'agit d'une œuvre destinée au grand public, sans aucune prétention à la science, cette façon de procéder a bien moins d'inconvénients; mais nous avons cependant, dans la littérature française des ouvrages de ce genre qui auraient pu servir de modèles à des adaptations de la littérature étrangère Paulin Paris dans les Aventures de Maître Renart et dans Garin le Lorrain; G. Pâris dans les Poèmes et légendes du moyen age; J. Bédier dans le Roman de Tristan et Iseut, etc., ont fourni des exemples de ce qu'on peut faire d'analogue.

Comme je l'ai dit plus haut, il s'agit d'un recueil de légendes, chrétiennes pour la plupart, empruntées aux récits apocryphes. La première, Adam et Eve, est un composé de traditions bibliques qu'on retrouvera, comparées aux traditions rabbiniques dans Weil, Biblische Legenden der Muselmänner (Francfort-sur-le-Main, 1845, in-12, p. 18-43) 3.

1) Le jardin des fleurs, Paris, 1913, in-16°; La tradition chevaleresque des Arabes, Paris, 1919, in-16o.

2) Au point de vue de la documentation scientifique, je renvoie au chapitre de Grünbaum, Neue Beiträge zur semitischen Sagenkunde, Leiden, 1893, in-8, p. 54-79, Cf. aussi Migne, Dictionnaire des Apocryphes, Paris, 1856, 2 v. gr. in-8o, t. I, col. 1-392.

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