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l'habitation. Mais ceci n'empêche pas leur organisation tribale et économique d'être réglée par des normes bien définies. Ils ont fait l'objet d'une enquête soignée et aussi complète que possible de la part de M. et de Mme Seligmann, qu'on doit regarder comme d'excellents ethnographes spécialisés. Toute la vie religieuse et sociale des Vedda vrais (c'est-à-dire non singhalisés) a été décrite par eux en détail et le résultat obtenu en ce qui nous intéresse se formule ainsi les Vedda sont répartis en clans (warunge) exogamiques à descendance utérine, qui vivent sur des territoires nettement délimités (souvent au moyen de bornes et de marques), et dont la contexture est très rigide; les explorateurs n'ont pas trouvé trace de totémisme, malgré leurs enquêtes contradictoires; les tabous alimentaires relevés ne concernent que les femmes enceintes ou d'autres individus, et sont magico-médicaux, mais jamais collectifs ni sociaux.

Les Toda, tribu dravidienne qui habite sur les hauts plateaux des Nilghirry Hills, dans l'Inde méridionale, ont été décrits dans le plus grand détail par le professeur Rivers, de Cambridge, qui se rendit chez eux tout exprès pour étudier leur organisation religieuse et sociale. Toutes deux sont très complexes et très élaborées. On peut donc regarder comme très important le fait que Rivers nie l'existence, soit du totémisme pur, soit même de survivances ou de germes totémiques chez les Toda; chaque clan exogamique est constitué sur la base territoriale et nommé d'après le village qui est regardé comme principal pour diverses raisons.

Il s'agit d'une population montagnarde qui, de plus, possède une industrie laitière régulière et même ritualisée. Les quelques tabous alimentaires et les quelques interdictions concernant

1) C. G. Seligmann et Brenda Z. Seligmann, The Vedda, Cambridge, Unisity-Press, 1911.

2) Loc. cit., p 70-80 et 101-102.

3) W. H. R. Rivers, The Toda, Londres, Macmillan, 1911, cf. p. 1-3. 4) Ibidem, p. 140-142.

des animaux et des plantes que Rivers a rencontrés sont en relation avec le rituel laitier ou avec diverses croyances, mais dont aucune n'est totémique. Pourtant Frazer a consacré plusieurs pages' à résumer certains chapitres de Rivers qui n'ont rien à voir avec le totémisme, et quoiqu'il n'affirme pas que les Toda soient totémistes, le fait qu'il en parle longuement trouble au moins les idées.

Deux autres ethnographes avertis sont arrivés à des résultats semblables en pays de haute montagne, l'un pour le grand conglomérat des tribus Naga3, l'autre pour celui, non moins étendu, des tribus Lushei: dans les deux cas, malgré la recherche locale et persévérante, il n'a pas été discerné d'organisation sur la base totémique, mais seulement une organisation sur la base territoriale de village; les interdictions magicoreligieuses sont nombreuses; elles aussi sont situées localement, mais non diffuses à travers les tribus d'après le totem. D'ailleurs dans l'Inde, sauf chez certains Dravidiens et tout au nord, dans les montagnes, l'enchevêtrement du système des clans, totémiques (gotras) ou non, et des castes réserve encore bien du travail aux chercheurs directs avant que les théoriciens puissent déterminer la répartition géographique du totémisme dans ce pays.

Dans l'Amérique du Sud l'existence non pas certaine, mais, du moins très probable, du totémisme n'a été reconnue que chez les Goajiro qui vivent dans la presqu'île limitant au nord le golfe de Maracaibo, chez les Arawak de la Guyane anglaise et chez les Uaupé du moyen Rio Negro, affluent de gauche de l'Amazone, alors que chez toutes les autres tribus de cet immense continent seules se rencontrent ce qu'on est convenu

1) Loc. cit., p. 428-436 et 452-457.

2) Totemism and Exogamy, t. II, p. 251-239.

3) T. C. Hodson, The Naga Tribes of Manipur, Londres, Macmillan, 1911, p. 70-80 et 199 a-c, Appendice II: Does totemism exist in Manipur.

4) J. Shakespear, The Lushei-Kuki Clans, Londres, Macmillan, 1912, p. 41-47.

de nommer « des traces de totémisme », c'est-à-dire des superstitions, des interdictions et des légendes qui se rapportent à des plantes mais qui ne sont pas systématisées en corps de doctrine comme dans le totémisme proprement dit'. Des missionnaires salésiens auraient discerné du totémisme vrai chez les Bororo qui vivent entre le rio Araguaya et son affluent de gauche, le rio dos Mortes, au Brésil, mais les documents annoncés ne semblent pas encore publiés, et d'ailleurs contrediraient l'enquête instituée précédemment chez ce même peuple et ses voisins par Ehrenreich et par von den Steinen. En tout cas le totémisme manque chez leurs voisins les Karaya, étudiés en détail par Fritz Krause, conservateur-adjoint du Musée ethnographique de Leipzig...

Les Arawak de la Guyane semblent seuls avoir connu le toté misme; leurs frères situés entre le rio Negro et le rio Yapura, affluents de gauche de l'Amazone, l'ignorent, tout autant que les tribus voisines qui appartiennent aux groupes linguistiques des Betoya, des Caraïbes, des Maku et des Uitoto, bien que chez toutes l'exogamie soit observée strictement. Quelques-unes de ces dernières tribus, et d'autres plus à l'ouest situées sur le rio Yapura et le rio Issa, notamment les Menimehe, les Boro et les Andoke, viennent d'être décrites avec soin par le capitaine Whiffen, bien au courant des problèmes et des méthodes de l'ethnographie moderne et dont la monographie compte parmi les publications spéciales récentes les meilleures3. Après avoir signalé la possibilité de l'existence du totémisme chez certaines tribus sud-américaines, il ajoute : « quoi qu'il en soit, chez les

1) Frazer, Totemism and Exogamy t. III, p. 556-563 pour les Goajiro, p. 564571 pour les Arawak, p. 573-576 pour les Uaupé.

2) W. Schmidt, Kulturkreise und Kulturschichten in Südamerika, Zeitschrift für Ethnologie, 1913, p. 1048.

3) Fritz Krause, In den Wildnissen Brasiliens, Leipzig 1911, p. 258 (tabous alimentaires), 324 (tabous matrimoniaux), 332.

4) Th. Koch-Gruenberg, Zwei Jahre unter den Indianern, Berlin, 1910, t. I, p. 70, 273; t. II, p. 145.

5) Thomas Whiffen, The North-West Amazons, Londres, Constable, 1915.

tribus des régions de l'Issa et du Yapura, il n'y a aucune trace de quelque forme que ce soit de système tolémique; sans doute, les garçons et les filles sont nommés d'après des animaux et des fleurs; selon le sexe; et des noms d'animaux sont parfois donnés mais comme impliquant le mépris et le ridicule. Ces Indiens regardent tous les animaux comme des ennemis; et supposer qu'ils puissent se croire descendus d'un animal serait les insulter gravement ». Quant à l'exogamie, elle y est basée sur la cohabitation dans une même maison familiale; tous les habitants d'une maison sont parents, ou apparentés par adoption; comme la femme va vivre avec son mari lors du mariage, on ne reconnaît pas de parenté en ligne féminine; par suite les enfants de deux sœurs peuvent s'épouser, mais non les enfants de deux frères. Ces familles ne forment pas à proprement parler des clans, mais leur réunion constitue une unité sociale qu'on peut appeler tribu, à l'intérieur de laquelle se font les mariages. Il y a donc endogamie de tribu et exogamie de famille paternelle, ce qui ne rappelle en rien le totémisme.

Au surplus l'existence de cette institution sera peut-être découverte chez d'autres groupements sud-américains lorsque des enquêtes plus approfondies seront possibles; en attendant, on peut constater que son inexistence chez les tribus déjà bien explorées du Brésil, du Vénézuela et de la Colombie coïncide avec la zone des forêts tropicales.

A cette liste il faut enfin ajouter tous les Hyperboréens (Lapons, Samoyèdes, Tchouktches, Koryak, Esquimaux, sauf ceux de l'Alaska qui ont fait quelques emprunts aux Indiens voisins, Fuégiens) qui possèdent cependant tous, surtout les Esquimaux, une organisation sociale véritable, puis les Hotten

1) Loc. cit., p. 244. 2) Ibidem, p. 66-67.

3) Par exemple chez les Araucans.

4) Cf. quelques bonnes remarques de A. Byhan, Die Polarvælker, no 63 de Wissenschaft und Bildung, Leipzig, 1909, p. 154.

tots et les Bushmen, la plupart des Malgaches et les Andamanais.

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Il est donc assez inexact de dire, comme le fait Frazer', que le totémisme est l'apanage des races noire et rouge et un peu de la race jaune, mais ne se rencontre pas chez les peuples de race blanche, car une moitié au moins des Noirs (dont les Negrito, les Papons et les Pygmées), et les deux tiers au moins des Jaunes (y compris les Mongoloïdes et les Américains du Sud) ignorent, et ont visiblement toujours ignoré le totémisme. Celui-ci doit-être considéré simplement comme l'un des systèmes d'organisation de la vie en société parmi plusieurs de même valeur culturelle et synchroniques. C'est un moyen de maintenir la cohésion et la durée sociales; mais ce n'est ni le seul moyen, ni le moyen le plus primitif, puisque, bien au contraire, là où existe la petite ou la grande famille sur la base de la cohabitation dans une même demeure et du parcours de cueillette, de chasse et de pêche sur un même territoire, le totémisme fait défaut. Et il est hors de doute que l'organisation en clans proprement dits, sans égard pour la maison (au sens étymologique du mot), est déjà un système d'organisation de la vie en commun très évolué et très complexe. Ceci pour rappeler, une fois de plus, combien grave est sur ce point l'erreur de Durkheim, qui a oublié que le système social par exemple des Indiens du Brésil ou des Papous, des Lapons ou des Esquimaux, des Indonésiens ou des Vedda, est aussi cohé rent, quoique construit sur d'autres bases, que le système des clans totémiques australiens ou nord-américains, et est aussi << primitif » que lui, sinon plus primitif encore.

1) Frazer, Totemism and Exogamy, t. IV, p. 14.

2) Le seul cas de totémisme vrai chez un peuple de race blanche et à langue aryenne serait celui des Ossètes do Caucase.

3) Malgré les « survivances » possibles signalées par Matsokine (cf. cidessus p. 344, note 1) et quelques cas indiscutables comme celui de certaines tribus du Yunnan et du Tonkin, le totémisme est très rare chez les Mongoloïdes.

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