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dans le totémisme; il cite les divers cas qu'il a pu recueillir; mais il conclut : « les animaux et les plantes qui sont considérés comme l'habitat d'esprits... ou comme l'habitat où l'on suppose que les morts ont élu domicile, sont regardés comme sacrés, et ne peuvent être tués ni mangés; mais on ne sait pas s'il existe une association de ces animaux sacrés avec des groupes sociaux, fait qui est nécessaire pour les rattacher au totémisme ». C'est exactement le point de vue classique et celui auquel on doit se tenir dans l'intérêt même de notre science. Si chaque théoricien s'amuse de nouveau à entendre par totémisme autre chose que ce qu'on a convenu avant lui en partant des faits', nous allons retomber dans la période des discussions verbales, alors que d'autre part rien n'empêche d'introduire des subdivisions auxquelles on donnera des noms spéciaux.

Dans ces conditions, il est inutile de discuter longuement cette autre erreur de Boas, quand il prétend que les théoriciens du totémisme, et surtout Wundt et Durkheim, ont uniquement considéré le totémisme comme un mode des relations entre l'Homme et la Nature. Pour Wundt, ce reproche est immérité, car dans ses volumes et dans son article cité de l'Anthropos, il tâche toujours de maintenir liés les deux problèmes et de les

1) Rivers, History of Melanesian Society, t. II, p. 361.

:

2) La définition classique et limitative est également adoptée par Ankermann, Verbreitung und Formen des Totemismus in Afrika, Zeitschrift fuer Ethnologie, 1915, p. 116 «le totémisme est la croyance qu'un groupe d'apparentés (clan) se trouve vis-à-vis d'une espèce animale, végétale, etc. dans une relation spécifique permanente et indissoluble, qui est d'ordinaire conçue comme une parenté par le sang, et impose aux deux parties certaines obligations », ce qui provoque la remarque suivante de Goldenweiser, analyse de ce mémoire, American Anthropologist, 1916, p. 575: « l'importance unilatérale accordée à un aspect particulier du totémisme considéré comme essentiel agit désastreusement chez Ankermann sur la discussion théorique du totémisme africain ». On peut dire, au contraire, que l'idée de Boas et de Goldenweiser de donner au mot totémisme un sens tout autre que celui qui est admis, agit désastreusement sur leurs théories générales, et que s'ils veulent désigner une série de phénomènes auxquels le mot totémisme pris dans son sens classique ne convient pas, ils n'ont qu'à inventer un terme nouveau.

considérer comme équivalents. De même Durkheim a sans doute commencé par l'étude des notions, des croyances et des rites, mais un deuxième volume, il le disait expressément, devait traiter de l'étude des relations sociales, notamment de l'exogamie, à laquelle il a d'ailleurs consacré de nombreuses pages dans l'Année Sociologique. De même Lang, Westermarck, Rivers, Thomas, Swanton et d'autres encore ont examiné en même temps les deux problèmes sans compter que Frazer, le titre même de son grand ouvrage l'indique, a autant étudié les relations de l'homme avec l'homme que celles de l'homme avec la nature.

Ceci dit, voici comment Boas situe le problème : « L'élément essentiel du totémisme m'apparaît comme étant l'association entre certains types d'activités ethniques et des groupes d'apparentés au sens le plus large, et dans d'autres cas aussi comme une association semblable avec des groupes qui comprennent les membres d'une même génération ou d'une même localité. Comme, en outre, l'exogamie est caractéristique des groupes d'apparentés et l'endogamie des groupes de génération ou des groupes locaux, le totémisme en arrive à être l'association de types variables d'activités ethniques avec l'exogamie ou avec l'endogamie »1.

Telle est la définition nouvelle que Boas donne du totémisme. Comme pour les formules de Goldenweiser, je ne puis que souhaiter au lecteur d'avoir compris. On nous apprend à l'école qu'une définition ne doit pas contenir d'alternatives ni ni d'ambiguités; or des expressions comme « types variables d'activités ethniques » ont à leur tour besoin d'une définition.

1) Boas, loc. cit. p. 323. Voici le texte anglo-américain : «Its essential feature appears to me the association between certain types of ethnic activities and kinship groups (in the widest sense of the term), in other cases also a similar association with groups embracing members of the same generation or of the same locality. Since, furthermore, exogamy is characteristic of kinship groups, endogamy of generation groups or local groups, it comes to be the association of varying types of ethnic activities with exogamy or endogamy ».

D'ailleurs, l'exogamie et l'endogamie étant les seules formes possibles de réglementation matrimoniale (l'alternative opposée étant que le mariage est entièrement libre), on peut au moins simplifier la définition de Boas en disant que «<le totémisme est l'association de types variables d'activités ethniques avec la réglementation matrimoniale. ».

Je suppose que ces «activités ethniques » sont le tabou alimentaire, l'imposition de l'emblême oral ou visuel, la cérémonie d'initiation, la cérémonie de multiplication, plus rarement la cérémonie du mariage et celle des funérailles. Le mot «< variable » concerne probablement le fait que les divers complexes totémiques australiens, mélanésien, néo-guinéen, nord ou sud-américains, africains, etc. ne sont pas constitués par les mêmes éléments, l'un d'entre eux ou plusieurs manquant ici, et d'autres là. C'est une remarque déjà ancienne que les formes locales du totémisme ne sont pas superposables; mais il aurait mieux valu que Boas s'expliquât plus clairement sur ce qu'il nomme « activités ethniques variables ».

Reste à déterminer le rapport génétique entre le totémisme ainsi compris et la réglementation matrimoniale. « La reconnaissance de groupes d'apparentés et de l'exogamie est un phénomène universel, dit Boas; le totémisme, lui, n'est pas universel. Or, on peut juger de l'antiquité d'un phénomène ethnique d'après son universalité. L'usage de la pierre, du feu, du language est extrêmement ancien, et il est maintenant universel. Sur cette base, on a le droit d'affirmer que l'exogamie aussi est très ancienne. En outre, on peut admettre qu'un phénomène qui est universel est dû à une nécessité psychique qui le conditionne régulièrement; cette supposition peut être faite pour le groupe d'apparentés, mais non pour d'autres cas. Nous pouvons, par conséquent, regarder l'exogamie comme la condition qui a donné naissance au totémisme. »'.

1) Boas, loc. cit., p. 323-324.

L'ethnographe américain rejoint ainsi l'indianiste Risley, qui dérivait lui aussi, mais en partant des faits de l'Inde, le totémisme de l'exogamie. Sans vouloir discuter la valeur réelle de la première affirmation, que l'antiquité d'un phénomène social ou culturel est en fonction de son universalité, nous pouvons au moins admettre cette vérité évidente que la notion de parenté par consanguinité étant une donnée naturelle dans tout le règne animal, date de la naissance même de l'humanité; et d'autre part, que la notion d'apparentement social (par descendance, par adoption, par initiation, par mariage) date aussi de la naissance des sociétés, puisqu'elle en est l'élément essentiel de cohésion. Sur ce point, ethnographes et sociologues sont nécessairement d'accord, et cette vérité reconnue ne s'oppose en rien à la définition que j'appelle classique du totémisme. Car dans cette définition, on donne comme essentielle une certaine notion de parenté, non pas à l'intérieur seulement d'un groupe, mais entre deux catégories de groupes, le clan et l'espèce, que dans nos civilisations modernes nous ne regardons comme liées que biologiquement et à distance. Encore cette parenté physique entre l'homme et les animaux n'est-elle assez proche que pour les mammifères, et à divers degrés selon les espèces. Donc la découverte de Boas, que le totémisme repose avant tout sur la notion d'une parenté, est une simple tautologie.

Mais pourquoi fait-il intervenir ensuite l'exogamie, qui interdit non pas l'union sexuelle, le coït animal, entre membres d'un même groupe, mais le mariage, c'est-à-dire un mode d'apparentement social opposé à la parenté physique naturelle ? C'est ce qu'on ne voit pas. Sans doute, il explique ensuite «< que l'interdiction de l'inceste (au sens large) et même la formation de la notion d'inceste (au sens large) n'a pu naître que dans une forme de famille unilatérale », c'est-à-dire où la parenté n'est comptée que par rapport à l'un des géniteurs seulement, soit la mère, soit le père. Et il conclut : « les éléments de l'organisation totémique sont donnés partout où une famille

unilatérale est désignée par un élément caractéristique » Mais ceci ne nous avance pas.

Car, en premier lieu: il est faux de dire que l'exogamie est universelle, ou l'est davantage que le totémisme. Bien mieux, le nombre des cas où le groupe totémique n'est pas exogame est si grand que l'association entre les deux institutions ne peut absolument pas être génétique. C'est ce qu'a bien vu Frazer, et les documents parus depuis n'ont fait qu'augmenter la force de sa constatation. Même Ankermann, dans son exposé des formes du totémisme africain, a été obligé d'admettre l'exactitude de ce point de vue'; et pour les Indiens de l'Amérique du Nord, Swanton est arrivé aux mêmes conclusions'. Si l'on se base sur l'argument d'universalité, les partisans de la théorie économique sont certes plus proches de la vérité, car « les activités ethniques » ayant pour but de procurer une nourriture suffisante au groupe entier des apparentés, tant positives comme la chasse, la pêche et les cérémonies de fécondation et de multiplication, que négatives comme les tabous de tuer et de manger le totem, sont à la fois plus universelles et plus nécessaires au maintien de « l'unité sociale ». A côté de ces activités, celle qui consiste à réglementer le mariage n'est qu'un phénomène secondaire, et le produit d'une civilisation déjà avancée. Aussi, ne tenant compte que des faits, a-t-on le droit de prétendre, contre Boas, que l'exogamie est récente, du moins plus récente que le totémisme, quand bien même elle serait géographiquement plus répandue, ce qui reste à prouver.

En deuxième lieu: comment peut-on faire dériver d'une interdiction tout un système complexe de relations à la fois cosmiques et sociales. Si déjà la théorie proposée par Salomon Reinach, et selon laquelle la religion proviendrait du scrupule

1) Boas, loc. cit., p. 324-326.

2) Ankermann, loc. cit., p. 161 et suiv. avec carte montrant la répartition géographique en Afrique tant du totémisme que de l'exogamie avec les zones considérables de non-coïncidence.

3) Cf. ci-dessus, R. H, R, t. LXXV, p. 317.

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