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naire et normal, aussi bien que des saints et des grands initiateurs. Puis il faudrait insister sur la psychologie collective, en étudiant par exemple les réveils et les prières en commun. La psychologie des foules religieuses nous fera sans doute connaître des facteurs trop négligés par W. James, dont l'importance reste cependant primordiale pour le plus grand nombre. La thèse selon laquelle la religion est avant tout une force sociale conservatrice pourrait se justifier dans une certaine mesure et subsister à côté de la thèse adverse, qui voit l'essence de la religion dans le sentiment individuel. Les études qui paraissent sur ces diverses questions, quelle qu'en soit la tendance, peuvent être très utiles à l'historien des religions; et l'Expérience religieuse sera pour lui, croyons-nous, malgré toutes les réserves, le guide le plus intéressant et le plus sûr actuellement, pour pénétrer dans ce monde nouveau.

H. NORERO.

REVUE DES LIVRES

ANALYSES ET COMPTES
ET COMPTES RENDUS

J. RENDEL HARRIS. The Cult of the Heavenly Twins. Cambrige. University Press. 1906. 1 vol. in-8° de 160 pages, avec 7 planches.

Il n'est plus sérieusement contesté aujourd'hui que certains personnages du calendrier et même du martyrologe chrétiens ont repris la succession des dieux et des héros du paganisme expirant. Toute la question est de savoir dans quelle mesure se sont opérés ces emprunts ou plutôt ces substitutions. Parmi les dii minores, dont la vénération était la plus répandue dans les premiers siècles de notre ère, se trouvaient les Dioscures. Nés d'une mortelle, immortalisés, l'un par droit de naissance, l'autre grâce à un touchant sacrifice d'amour fraternel, dompteurs de chevaux, patrons des athlètes, secourables aux marins, restaurateurs de la virilité, gardiens des serments, guérisseurs des maladies, dispensateurs de la victoire et faiseurs de miracles en général, ils répondaient trop aux besoins religieux des masses pour que, à l'avènement du christianisme, la tentation ne fût pas forte de transformer ces thaumaturges de l'ancien culte en confesseurs de la nouvelle foi. M. Rendel Harris a naguère recherché « les traces des Dioscures parmi les légendes chrétiennes » dans un volume qui a été assez sévèrement apprécié par les spécialistes de l'hagiographie (voir la critique qui en a été publiée, ici même, par M. Dufourcq, livraison de juillet-août 1904). L'auteur reprend aujourd'hui la plume pour se défendre contre les réfutations qui ne lui ont pas été épargnées, et prenant ensuite la question de plus haut, il s'efforce, à l'aide de l'anthropologie comparée, de remonter au delà non seulement du christianisme, mais encore du paganisme classique et même de la formation du zodiaque, en vue d'établir les origines du culte accordé aux Célestes Jumeaux, jusque « dans un temps où nul ne songeait encore à l'astronomie chaldéenne ».

J'estime qu'il y a lieu d'examiner séparément la façon dont l'auteur a traité ces deux parties de son sujet.

Si répandu et si populaire qu'ait été le culte des Dioscures, on ne peut se défendre d'une certaine méfiance, quand on voit l'auteur retrouver ses Heavenly Twins:

1o Dans toutes les paires d'être surhumains auxquels la mythologie classique attribue des noms assonants: Phoebus et Phœbè, Philaios et Philake, Hékergos et Hékergè, Héraclès et Iphiclès, Cautes et Cautopatès, Axiéros, Axiokersos et Axiokersa, Picumnus et Pilumnus, etc.;

2o Dans presque tous les couples de héros qui passent pour avoir ensemble fondé ou secouru des cités : Romulus et Rémus à Rome, Hilaira et Phœbè à Sparte, Hyperochè et Laodikè à Délos, etc. ;

3o Dans les membres de certaines dyades et même triades sémitiques Monim et Azis à Edesse, les Cabires en Phénicie et à Samothrace, etc.;

4o Dans les personnages mythiques de la Bible qui sont donnés pour frères ou qui jouent un rôle collectif offrant quelque analogie, même lointaine, avec les exploits des Dioscures: Abel et Caïn; Jabal, Jubal et Tubal; les trois anges qui visitèrent Abraham et ceux qui avertirent Lot. «Esau et Jacob étaient une paire de Dioscures >> ;

5o Dans de nombreux saints, « la plupart mythiques », qui auraient été fabriqués pour remplacer les deux jumeaux du paganisme : SS. Cosmas et Damien ; Protais et Gervais; Florus et Laurus; Acius et Aceolus; Cantius, Cantianus et Cantianella; Crispin et Crispinien; Vitalis et Agricola, etc., etc. 1.

Il serait injuste de prétendre que l'auteur n'a point réussi, dans ces derniers cas, à améliorer ses thèses par la production d'arguments nouveaux. Il semble hors de doute qu'à Byzance SS. Cosmas et Damien ont succédé aux fonctions thérapeutiques et même enfourché les montures des Dioscures. De même en ce qui concerne les saints Protais et Gervais,

1) Je ne trouve pas, sur cette liste, les noms des « saints Praxitèle et saint Phidias » qu'on grava au moyen-âge sur deux statues colossales des Dioscures conservées au Quirinal (Journal des Savants, 1888, p. 163) ni ceux de saint Wittfred et saint Cuthbert, «< ces Dioscures chrétiens »>, suivant l'expression de Montalembert (Moines d'Occident, IV, p. 371) qu'on vit un jour accourir à toute bride pour secourir les malheureux habitants d'Hexham, menacés par le roi d'Ecosse Malcom. M. Harris ne parle pas non plus des sarcophages chrétiens où l'on a emprunté l'image des Dioscures pour symboliser la succession de la vie et de la mort. — Peut-être s'en est-il occupé dans son volume pré

cédent.

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que

il introduit des arguments archéologiques qui contribuent à rendre plus vraisemblable une de ses identifications fortement discutées. Mais il s'en faut qu'il soit partout aussi heureux. En dépit de quelques trop rares réserves, il perd souvent de vue la limite qui sépare le possible du certain et même les lecteurs les mieux disposés ne peuvent s'empêcher d'être quelque peu agacés par l'autorité avec laquelle il affirme sans cesse des conclusions qui dépassent de beaucoup leurs prémisses. Ainsi les légendes byzantines qui attribuent à saint Michel, d'avoir rempli dans l'expédition des Argonautes un rôle analogue à celui de Pollux dans sa lutte avec le roi de Bibryces, permettent, à la rigueur, de supposer qu'un Pollux local aurait été remplacé, à Byzance, par le saint Michel qui opérait des guérisons miraculeuses dans son sanctuaire du Bosphore. Mais est-ce une raison suffisante pour affirmer que << saint Michel fut un Dioscure » ? Parce saints Nabor et Felix sont parfois représentés avec un signe qui rappelle les dózzva ou symboles helléniques des Dioscures, est-il raisonnable de laisser entendre qu'ils sont des Dioscures déguisés » ? De ce que les Dioscures étaient vénérés à Edesse et qu'une tradition syriaque d'Antioche représente saint Thomas comme le frère jumeau de Jésus, y a-t-il lieu de déduire que Jésus et saint Thomas ont simplement pris la place de Castor et de Pollux? De ce qu'avant l'établissement du culte d'Apollon à Delphes, il y avait, dans cette ville, un sanctuaire dédié à deux héros, Phylakos et Antinoos, qui passaient pour l'avoir défendue dans un moment critique, est-il permis de conclure : « Nous ne devons pas douter que ceci fut une Dioscurophanie?». - Rien, absolument rien, ne justifie l'affirmation que Mithra ait jamais été un dieu du ciel; encore moins, qu'il faudrait le considérer comme le père de ses deux dadophores; guère davantage, qu'un culte collectif de Mithra, Cautès et Cautopatès aurait survécu dans la vénération des saints Nabor, Félix et Fortunatus, «< si bien que le culte de Mithra et des deux Jumeaux se retrouve encore dans l'Église ! Les deux piliers apparemment consacrés aux Dios» cures dans les ruines d'Edesse peuvent faire songer aux colonnes Jakin et Boaz du Temple de Jérusalem; mais que dire du raisonnement suivant auquel ce rapprochement sert de point de départ : Les colonnes de Salomon étaient l'œuvre d'ouvriers tyriens. A Tyr, on vénérait les Cabires << qui sont si intimement unis aux Dioscures ». A la vérité les Cabires étaient trois; mais il n'est pas certain que, dans quelques localités, les Dioscures ne fussent également au nombre de trois; donc «< ceci tend à confirmer que les Juifs, avant l'établissement du mono

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théisme ont connu un culte analogue à celui des Dioscures ». Il est exact que le cycle mythologique des Cabires s'est mélangé à une époque tardive avec celui des Dioscures. Est-ce suffisant pour ramener les Cabires au type des Divins Jumeaux, à plus forte raison pour retrouver ceux-ci dans les Corybantes et les Curètes? « Sur le grand autel de Pergame, écrit l'auteur, des Cabires sont occupés à immoler un géant à tête de taureau; l'un deux le frappe sur la tête avec un marteau, l'autre le perce d'une épée. Le marteau est le maillet de Thor ainsi que le marteau avec lequel les jumeaux de la légende lithuanienne délivrent le soleil emprisonné. Cela signifie que les Cabires sont les enfants du dieu du tonnerre. Mais, dans un autre mythe, ils sont les enfants d'Héphaistos et ceci nous montre que celui-ci est par là même un dieu du tonnerre, et non pas seulement l'esclave de Zeus, quand il forge les foudres. Sa position est bien plus celle de Zeus qu'on ne se l'imagine communément. Il n'y aucun doute que tous ces développements en reviennent aux deux assertions que les Jumeaux font la pluie, qu'ils produisent le tonnerre et l'éclair » (p. 144). Il serait cruel d'insister.

:

M. Harris perd constamment de vue, d'abord que le procédé mythique du dédoublement n'implique pas forcément que les personnages du doublet soient des jumeaux ou qu'ils l'aient été à l'origine; ensuite qu'une ou même plusieurs des fonctions généralement attribuées aux Dioscures ont pu très bien être transférées à d'autres personnages, sans cependant que ceux-ci doivent être regardés comme créés tout d'une pièce pour remplacer les Célestes Jumeaux. Lui-même nous cite le cas de saint Ambroise << qui devint un Dioscure », en ce sens qu'il fut substitué ou superposé à Protais et à Gervais comme protecteur de la cité de Milan. En confirmation de cette thèse, l'auteur fait valoir que saintAmbroise était représenté entre les deux saints « comme Jupiter Latialis entre les Dioscures »; qu'on le dépeignait comme ayant foudroyé ses adversaires; qu'on racontait enfin comment, en 1339, il était apparu dans les airs, monté sur un cheval blanc, un fouet à la main, pour chasser les Allemands qui assiégeaient la ville. Cependant M. Harris ne contestera pas qu'il s'agit d'un personnage en chair et en os, ayant fait bien autre chose que monter le cheval d'un Dioscure.

Il est fort à craindre que les exagérations de l'auteur ne nuisent non seulement aux applications fondées de ses recherches sur les survivances du culte des Dioscures dans l'hagiographie chrétienne, mais encore à la partie de l'ouvrage, bien plus importante et, ajouterai-je avec

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