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le lit dans les manuscrits de la rédaction française originale de son Livre des Merveilles du monde), naquit à Venise en 1251, et mourut dans cette même ville en 1324, après avoir passé vingt-six ans hors de sa patrie, et seize comme attaché au service du célèbre Khoubilaï-Khaân, empereur mongol de Chine. Son père, Nicolò Polo, et son oncle Matteo Polo (ou Maffeo), dont il est souvent question dans ce livre, étaient fils d'Andrea Polo, patricien de Venise. Leur famille, originaire de Sebenico, en Dalmatie, était venue s'établir à Venise en 1033. Elle se livra au commerce, comme c'était l'usage dans la noble république. Le frère aîné de Nicolò et de Maffeo, Marco Polo (surnommé il Vecchio «le Vieux », pour ne pas le confondre avec son neveu le célèbre voyageur), s'était établi à Constantinople, et avait une maison de commerce à Soldaya ou Soudach, sur la mer Noire, en même temps que des intérêts dans la maison de commerce de Venise. Ces circonstances et les événements mémorables survenus en Orient; l'empire de Constantinople qui s'affaissait sur lui-même entre les mains faibles et débiles de Baudouin II, comte de Flandre; la défaite des Croisés à la bataille de Mansourah, le 5 avril 1250; les invasions des Mongols dans l'Occident de l'Asie, engagèrent sans doute les deux frères Polo à tenter la fortune près de l'un des chefs de ce peuple conquérant, qui s'était établi sur les bords du Volga.

§ I. Premier voyage du père et de l'oncle de Marc Pol en Tartarie, et leur retour en Europe comme envoyés du grand Khaán.

Les deux frères Polo partirent de Venise pour Constantinople l'année 1250, selon le récit de Marc Pol (1). Après avoir séjourné quelque temps dans cette ville pour y écouler leurs marchandises, ils résolurent de se rendre dans les ports de la mer Noire pour trafiquer avec les nouveaux venus. Ils achetèrent donc à Constantinople un grand nombre de joyaux, et se rendirent par mer à Soudach. Arrivés dans cette ville où leur frère aîné, Andrea Polo, avait une maison de commerce, ils se décidèrent à se rendre auprès de Barkaï-Khân, frère de Batou-Khân, qui régna dans le pays de Kiptchak,

(1) Ch. 1, p. 5. Plusieurs raisons nous ont fait penser que cette date (qui n'est pas la même dans tous les mss.) était inexacte, et qu'elle de

vait être celle de 1255. Voir la note 1, p. 5, et la note 5 (au lieu de 1 imprimé par erreur) de la page 17.

de 1256 à 1266, et qui séjournait alternativement dans les villes de Saraï et de Bolghâra, sur le Volga. Les deux frères furent reçus avec honneur par le prince mongol, auquel, dit Marc Pol, « ils donnèrent tous les joyaux qu'ils avaient apportés », et qui leur furent payés deux fois leur valeur.

Après un an de séjour dans cette ville, une guerre étant survenue en 1262, entre Barkaï, Khân du Kiptchak, et Houlagou, qui avait soumis la Perse aux armes mongoles, les deux frères, craignant de retourner sur leurs pas, se rendirent à Bokhârâ, qui était alors au pouvoir de Borak-Khân, petit-fils de Djaghataï, où ils furent obligés de séjourner trois ans. Des envoyés de Houlagou au grand Khaân de Tartarie, les ayant rencontrés dans la ville de Bokhârâ, les emmenèrent avec eux, en leur qualité de Latins, c'est-à-dire d'Européens. Ils mirent un an pour faire le voyage de Bokhàrà à la résidence d'été de Khoubilaï-Khâan, dans la Mongolie, sur les frontières de la Chine, où ils furent très-favorablement accueillis.

Arrivés en présence du souverain, conquérant de la Chine, le grand Khâan les interrogea, dit Marc Pol (p. 10), « sur maintes choses: premièrement, «< des empereurs, et comment ils maintiennent leur seigneurie et leur terre « en justice; et comment ils vont en bataille, et de tout leur afaires. Et après, leur demanda des Roys et des princes et des autres barons. Et puis « leur demanda du Pape et de l'Église, et tout le fait de Romme, et de toutes << les coustumes des Latins. Et les deux frères lui en dirent la vérité de chas«< cune chose par soy, bien et ordenéement et sagement, si comme sages

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⚫ hommes que il estoient, car bien savoient la langue tartarese. »

On voit par cette citation que le petit-fils de Dchinghis-Khaân, alors le chef suzerain de tous les Khans mongols qui régnaient en Asie, connaissait déjà l'état de l'Europe à cette époque, et qu'il ne négligeait aucune occasion d'obtenir des informations exactes sur les souverains qui y régnaient alors, et sur la manière dont les peuples y étaient gouvernés. C'est un fait qui, selon nous, méritait d'être signalé.

Le récit que les frères Polo firent au grand Khaân lui inspira l'idée de les envoyer en mission, avec un des grands de sa cour, près du Pape. « Si << envoya querre devant soi un de ses barons qui avait nom Cogatal, et lui << dist qu'il s'appareillast, et qu'il vouloit qu'il alast avec les deux frères à l'Apostolle. Après ce, le seigneur fist faire ses chartres en langue tartoise

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(tartare, c'est-à-dire mongole) pour envoyer au Pape, et les bailla aus e deux frères et à son baron, et leur enchargea ce que il voult que il deus<< sent dire à l'Apostolle (p. 12). »

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Les lettres missives que Khoubilaï-Khâan leur remit sont peut-être conservées dans les Archives du Vatican, comme ont été conservées aux Archives de France celles d'Arghoun et d'Oëldjaïtou-Khân à Philippe le Bel, que nous avons reproduites en mongol, dans notre Appendice (nos 5 et 6, pages 775-781), accompagnées d'une traduction française. « Il mandoit, << dit Marc Pol (chap. v11, p. 13), disant à l'Apostolle que se il lui vouloit envoyer jusques à cent sages hommes de nostre loi crestienne, et que il seus<< sent de tous les sept ars, et que bien seussent desputer et monstrer aper• tement aux ydolastres, et aux autres conversations de gens, par force de raysons, comment la loy de Crist estoit la meilleur, et que toutes les

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loys autres sont mauveses et fausses; et se il prouvoient ce, que il (lui, « le grand Khâan), et tout son povoir (tous les peuples placés sous sa dé

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pendance) devendroient crestien et hommes de l'Église. »

Les deux frères Polo, avec le baron mongol, se mirent en route, en 1266, pour accomplir leur mission près du chef de la chrétienté, en qualité d'ambassadeurs (ambusaors). Le baron mongol tomba malade en route, et ne put remplir sa mission, dont les deux frères Polo demeurèrent seuls chargés. Après être restés trois ans en voyage, ils arrivèrent à Layas en Arménie. De là ils se rendirent à Acre où ils arrivèrent en 1269. Ils allèrent trouver le légat du Pape qui y résidait, et qui se nommait Tebaldo, de la famille des Visconti de Plaisance, lequel, deux ans après, fut élu pape, et régna sous le nom de Grégoire X. Après l'avoir instruit de la mission dont ils étaient chargés de la part de Khoubilaï-Khâan, le légat apprit aux deux frères la mort du Pape Clément IV, décédé à Viterbe, le 29 novembre 1268, et il les engagea à attendre l'élection d'un nouveau pape, pour remplir auprès de lui cette mission. Les deux frères se mirent donc en route pour aller attendre l'élection dans leur patrie. « Et quant il furent venu en Venisse,

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<«< dit Marc Pol (chap. 1x, p. 16-17), si trouva Messires Nicolas, sa femme « morte; et lui estoit remes (resté) de sa femme, un filz de xv ans, lequel « avoit à nom Marc, de qui ce livre parolle. » C'est de lui aussi que désormais nous allons parler.

§ II. Second voyage des deux frères Polo, et départ de Marc Pol pour la Chine et la Mongolie.

Après avoir attendu deux ans à Venise l'élection d'un nouveau pape, les envoyés du grand Khâan, impatientés des délais inusités apportés à cette

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élection (le Sacré Collège, assemblé à Viterbe, ne pouvait parvenir à s'entendre sur le choix à faire), résolurent de retourner près de Khoubilaï pour lui rendre compte de l'impossibilité où ils avaient été de remplir la mission dont il les avait chargés. Ils partirent donc de Venise, emmenant avec eux le jeune Marc. Ils passèrent encore par la ville d'Acre, où ils prirent congé du légat, se rendirent à Jérusalem pour y chercher de l'huile de la lampe du Saint-Sépulcre, que le grand Khaân les avait chargés de lui rapporter. Ils repassèrent par la ville d'Acre, pour voir encore le légat, et lui demander ses lettres pour le grand Khaân, afin de pouvoir se justifier auprès de lui de la longue durée de leur absence et de l'insuccès de leur mission. Le légat les leur ayant remises, ils se rendirent à Layas, dans la petite Arménie, où ils apprirent que ledit légat avait été élu pape le 1er septembre 1271; ce qui leur causa beaucoup de joie. Ils y reçurent un message qui les engageait à retourner à Acre, pour s'entendre avec le nouvel élu (Grégoire X) concernant la mission dont ils étaient chargés. Le roi d'Arménie les fit transporter par une de ses galères à la ville d'Acre, et le nouveau pape leur ayant donné sa bénédiction (chap. XII, p. 19), leur adjoignit deux frères prêcheurs pour les accompagner près du grand Khaân. L'un s'appelait Nicolas de Vicence, et l'autre Guillaume de Tripoli, du couvent d'Acre, dont on possède une relation manuscrite intitulée : De l'estat des Sarrazins et de Mahomet (voir le ch. xII, p. 19, n. 1). Les missives du pape Grégoire X au grand Khaân des Tartares leur ayant été confiées, ils prirent tous congé de lui, et se mirent en route pour leur destination.

A peine furent-ils de retour à Layas que le Sultan Mamelouk Bibars, surnommé Bondokdari (« le porteur d'arbalète »), envahit l'Arménie avec une armée de Sarrazins. Les envoyés du pape près du grand Khaàn et les trois

Vénitiens faillirent être pris. Les deux frères prêcheurs n'osèrent continuer

leur route; il orent moult grant paour d'aler avant », dit Marc Pol (p. 20). Ils remirent donc aux deux frères Polo les lettres du pape Grégoire X au grand Khaan, « et s'en alèrent avec le maistre du Temple ». Voilà comment les cent docteurs en théologie que Khoubilaï-Khaân avait demandés au chef de la catholicité, pour « discuter devant lui les dogmes du christianisme et prouver la vérité de cette religion en même temps que la fausseté de toutes les autres » (voir ch. vii, p.13), manquèrent peut-être la conversion du plus puissant souverain du monde et des populations qui lui étaient soumises. Ainsi abandonnés de leurs compagnons de voyage, les trois Vénitiens continuèrent leur route pour la Chine. Ils éprouvèrent tant de contre-temps

pendant leur voyage qu'ils furent trois ans et demi en chemin (ch. xII). Le grand Khaan ayant enfin appris leur retour, envoya un exprès à quarante journées au-devant d'eux pour les conduire en sa présence.

§ III. Arrivée des deux frères Polo et du jeune Marc en Mongolie devant Khoubilai-Khoân.

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Lorsqu'ils furent arrivés (en 1275) près du grand Khaân, celui-ci les moult honnourablement, dit Marc Pol (p. 22), et leur fist moult <«< grant joie et grant feste, et leur demanda moult de leur estre, et com«<ment il avoient puis fait ? - Cil respondirent que il ont moult bien fait, puisque il l'ont trouvé sain et haitié (bien portant). Adonc li presenterent les privileges et les chartres que il avoient de par l'Apostolle, desqueles il ot grant leesce; puis li donnerent le saint huille du Sepulcre; et fu moult alegre ; et l'ot moult chier. Et quant il vit Marc qui estoit joenne bacheler, si demanda qui il estoit? —Sire, dist son pere Messire Nicolas, il est mon filz et vostre homme. Bien soit il venuz, dist le Seigneur. Et pourquoy vous en feroie je long compte? ajoute Marc Pol. Sachiez que il ot (il y eut) à la court du Seigneur moult grant feste de leur venue;

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<< et moult estoient servi et honorez de touz. Et demourerent à la court << avec les autres barons. »

Ce petit récit de l'arrivée des trois Vénitiens à la cour de Khoubilaï, de la manière dont ils furent accueillis par le souverain mongol, et en particulier le jeune Marc, est comme une peinture naïve qui en dit plus et laisse plus de traces dans l'esprit que tout ce que l'art et l'éloquence pourraient y ajouter.

Le jeune Marc Pol se fut bientôt mis au fait des usages et coutumes de la cour mongole au milieu de laquelle il se vit placé. « Il apprist si bien la «< coustume des Tartars et leur languages et leur lettres (leur écriture), et « leur archerie (leur manière de se battre, leur art militaire), que ce fu merveilles. Car sachiez vraiement : il sot en poi de temps plusieurs larguages, et sot de quatre lettres de leur escriptures (1). Il estoit sages et pourvéans en toutes choses; si que, pour ce, le Seigneur li vouloit moult grant bien. Si que, quant le Seigneur vit que il estoit si sages, et de si beau • et bon portement, si l'envoia en un message, en une terre où bien avoit six

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(1) Voir le chap. XV, p. 23, note 1.

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