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Ces paroles d'un homme qui avait embrassé d'un regard si pénétrant et si sur la plupart des langues et des civilisations de l'Asie orientale, prouvent qu'il avait bien compris aussi l'importance du livre du célèbre voyageur vénitien, et les difficultés nombreuses que l'on aurait à surmonter pour en donner une édition critique, accompagnée de toutes les annotations géographiques et historiques nécessaires pour placer ce livre au rang qu'il doit désormais occuper. « Reconstruire la géographie de l'empire Mongol, ajou«tait le savant orientaliste, serait le chef-d'œuvre d'une personne bien « versée dans la lecture des géographes chinois, et capable de s'aider de « tout ce que les auteurs chinois et tartares ont écrit sur les événements «< qui se sont passés dans la haute Asie depuis le treizième siècle (p. 393). » Sans prétendre avoir rempli de tous points le programme ainsi tracé par M. Abel Rémusat, nous croyons que le livre que nous présentons ici au public répond à une partie de ces conditions; du moins nous n'avons rien négligé pour le rendre digne et de Marc Pol, ce grand voyageur du moyen âge, et du pays favorisé dans la langue duquel il fit rédiger son livre.

Nous avons divisé notre Introduction en trois parties : dans la première nous exposons ce que nous avons pu découvrir sur la vie et les missions diverses remplies par Marc Pol pendant son séjour à la cour de KhoubilaïKhaân; dans la seconde nous donnons une analyse et une appréciation du Livre qu'il nous a laissé; et, dans la troisième, nous avons cherché à présenter l'état de l'Asie à l'époque où Marc Pol en visita la plus grande partie.

1° NOTICE SUR MARC POL.

Il arrive souvent que la vie des hommes célèbres, sur lesquels on aimerait à avoir les plus nombreux renseignements, est celle qui, en dehors des actes qui les ont recommandés à la postérité, est souvent la moins connue. Bien différents de ces coureurs de renommée qui, ayant la conscience de leur médiocrité, sont sans cesse occupés, de leur vivant, à se créer une célébrité éphémère, les hommes d'un véritable génie semblent, au contraire, oublier leur propre personnalité pour ne s'occuper que de ce qui doit rendre leur nom immortel. Aussi sommes-nous obligé de chercher, dans le livre de Marc Pol, les renseignements qui peuvent nous éclairer sur les événements de sa vie et sur sa famille.

MARCO POLO, nommé communément en français Marc Pol (ainsi qu'on

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le lit dans les manuscrits de la rédaction française originale de son Livre des Merveilles du monde), naquit à Venise en 1251, et mourut dans cette même ville en 1324, après avoir passé vingt-six ans hors de sa patrie, et seize comme attaché au service du célèbre Khoubilaï-Khaân, empereur mongol de Chine. Son père, Nicolò Polo, et son oncle Matteo Polo (ou Maffeo), dont il est souvent question dans ce livre, étaient fils d'Andrea Polo, patricien de Venise. Leur famille, originaire de Sebenico, en Dalmatie, était venue s'établir à Venise en 1033. Elle se livra au commerce, comme c'était l'usage dans la noble république. Le frère aîné de Nicolò et de Maffeo, Marco Polo (surnommé il Vecchio « le Vieux, pour ne pas le confondre avec son neveu le célèbre voyageur), s'était établi à Constantinople, et avait une maison de commerce à Soldaya ou Soudach, sur la mer Noire, en même temps que des intérêts dans la maison de commerce de Venise. Ces circonstances et les événements mémorables survenus en Orient; l'empire de Constantinople qui s'affaissait sur lui-même entre les mains faibles et débiles de Baudouin II, comte de Flandre; la défaite des Croisés à la bataille de Mansourah, le 5 avril 1250; les invasions des Mongols dans l'Occident de l'Asie, engagèrent sans doute les deux frères Polo à tenter la fortune près de l'un des chefs de ce peuple conquérant, qui s'était établi sur les bords du Volga.

§ I. Premier voyage du père et de l'oncle de Marc Pol en Tartarie, et leur retour en Europe comme envoyés du grand Khaán.

Les deux frères Polo partirent de Venise pour Constantinople l'année 1250, selon le récit de Marc Pol (1). Après avoir séjourné quelque temps dans cette ville pour y écouler leurs marchandises, ils résolurent de se rendre dans les ports de la mer Noire pour trafiquer avec les nouveaux venus. Ils achetèrent donc à Constantinople un grand nombre de joyaux, et se rendirent par mer à Soudach. Arrivés dans cette ville où leur frère aîné, Andrea Polo, avait une maison de commerce, ils se décidèrent à se rendre auprès de Barkaï-Khân, frère de Batou-Khân, qui régna dans le pays de Kiptchak,

(1) Ch. 1, p. 5. Plusieurs raisons nous ont fait penser que cette date (qui n'est pas la même dans tous les mss.) était inexacte, et qu'elle de

vait être celle de 1255. Voir la note 1, p. 5, et la note 5 (au lieu de 1 imprimé par erreur) de la page 17.

de 1256 à 1266, et qui séjournait alternativement dans les villes de Saraï et de Bolghara, sur le Volga. Les deux frères furent reçus avec honneur par le prince mongol, auquel, dit Marc Pol, « ils donnèrent tous les joyaux qu'ils avaient apportés », et qui leur furent payés deux fois leur valeur.

Après un an de séjour dans cette ville, une guerre étant survenue en 1262, entre Barkaï, Khân du Kiptchak, et Houlagou, qui avait soumis la Perse aux armes mongoles, les deux frères, craignant de retourner sur leurs pas, se rendirent à Bokhârâ, qui était alors au pouvoir de Borak-Khân, petit-fils de Djaghataï, où ils furent obligés de séjourner trois ans. Des envoyés de Houlagou au grand Khaan de Tartarie, les ayant rencontrés dans la ville de Bokhârâ, les emmenèrent avec eux, en leur qualité de Latins, c'est-à-dire d'Européens. Ils mirent un an pour faire le voyage de Bokhàrà à la résidence d'été de Khoubilaï-Khâan, dans la Mongolie, sur les frontières de la Chine, où ils furent très-favorablement accueillis.

Arrivés en présence du souverain, conquérant de la Chine, le grand Khâan les interrogea, dit Marc Pol (p. 10), « sur maintes choses: premièrement, « des empereurs, et comment ils maintiennent leur seigneurie et leur terre a en justice; et comment ils vont en bataille, et de tout leur afaires. Et après, leur demanda des Roys et des princes et des autres barons. Et puis « leur demanda du Pape et de l'Église, et tout le fait de Romme, et de toutes << les coustumes des Latins. Et les deux frères lui en dirent la vérité de chas«< cune chose par soy, bien et ordenéement et sagement, si comme sages « hommes que il estoient, car bien savoient la langue tartarese. »

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On voit par cette citation que le petit-fils de Dchinghis-Khaân, alors le chef suzerain de tous les Khâns mongols qui régnaient en Asie, connaissait déjà l'état de l'Europe à cette époque, et qu'il ne négligeait aucune occasion d'obtenir des informations exactes sur les souverains qui y régnaient alors, et sur la manière dont les peuples y étaient gouvernés. C'est un fait qui, selon nous, méritait d'être signalé.

Le récit que les frères Polo firent au grand Khaân lui inspira l'idée de les envoyer en mission, avec un des grands de sa cour, près du Pape. « Si << envoya querre devant soi un de ses barons qui avait nom Cogatal, et lui << dist qu'il s'appareillast, et qu'il vouloit qu'il alast avec les deux frères à l'Apostolle. Après ce, le seigneur fist faire ses chartres en langue tartoise

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(tartare, c'est-à-dire mongole) pour envoyer au Pape, et les bailla aus deux frères et à son baron, et leur enchargea ce que il voult que il deus<< sent dire à l'Apostolle (p. 12).

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