Slike strani
PDF
ePub

la substance de courts récits oraux antérieurs aux versions de Spies et de Widman; et dans ces deux versions il a élagué et mis en ordre de façon à y introduire une harmonie et une unité. Il a groupé sous trois chefs: Ciel, Terre et Enfer, les données didactiques, croyances et connaissances de l'époque dispersées dans l'ouvrage ; il a, à propos du voyage de Faust dans les astres et sur la terre, développé les notions météorologiques, astrologiques et géographiques assez pauvrement énoncées dans les deux textes primitifs... Travail d'artiste et de folkloriste émérites, réalisé avec un tact parfait. Le livre garde sa physionomie un peu turbulente et encyclopédique, reste bien du xvre siècle, et ne porte trace ni de pédanterie, ni d'occultisme de pacotille. Nous attendons de M. Saintyves une étude d'ensemble sur les légendes de pacte qui, du diacre Théophile au Faust de Goethe, ont eu leur physionomie si caractérisée dans l'hagiographie et la démonologie médiévales et modernes. C'est un beau et copieux chapitre à écrire de l'histoire du manichéisme en Occident.

P. A.

URIEL DA COSTA. Une vie humaine, traduit du latin avec une introduction sur l'auteur par A. B. Duff et Pierre Kaan. Paris, F. Rieder et Cie, 1926. Un volume de la collection « Judaïsme », in-12 de 138 pages.

Philippe van Limborch, surtout connu pour avoir écrit avec une probité vigoureuse la première histoire de l'Inquisition (Amsterdam, 1692), publia en 1687 un De veritate Religionis Christianae amica collatio cum erudito Judæo, livre d'apologétique sans grande originalité, mais auquel donne tout son prix une copieuse annexe : l'Exemplar humanæ vitæ, autobiographie d'un juif d'Amsterdam, Uriel Da Costa, mort suicidé en 1640. Il est peu de destinées aussi tragiques que celle de ce « déraciné »: le récit en dut à la fois attirer et effrayer le digne Limborh. Da Costa, né de parents marranes à Oporto vers 1585, était revenu au judaïsme, avait fui le Portugal et, établi à Amsterdam, s'était bientôt senti aussi isolé dans la communauté juive de cette ville que parmi ses anciens coréligionnaires. Il est excommunié, perd sa foi au judaïsme traditionnel. Incapable d'accepter la solitude matérielle, il tente, au prix d'une lourde humiliation rituelle, de se réconcilier avec le Kahal d'Amsterdam : l'épreuve est trop forte, cette volonté avait trop présumé d'elle-même: elle se brise, et Uriel Da Costa se tue comme un Werther amoureux d'une image religieuse qui n'a jamais pris corps.

Ce destin douloureux vaut bien qu'on fasse à Da Costa l'aumône d'un peu de renom. Mais il y a une juste limite; reconnaissons que MM. A. B. Duff et P. Kaan ne l'ont pas dépassée. Ils nous donnent, en prolégomènes à leur excellente traduction de l'Exemplar, une

étude sur la « pensée » de Da Costa et, tout en la confrontant avec celles de Spinoza et de Pascal, ils ne paraissent guère se dissimuler qu'elle reste bien inconsistante et se réduit à quelques formules inquiètes. Sachons gré aussi à MM. D. et K. de n'avoir pas posé ce pauvre homme, flottant et douloureux, en champion romantique de la liberté de conscience. Le philosophisme anglais du XVIIIe siècle en faisait déjà un eminent freethinker (v. Remarkable Life of U. A., Londres, 1740). Le drame de Gutzkow (Uriel Acosta, 1846) enthousiasma la Jeune Allemagne » républicaine et anticléricale. On trouvera dans l'Exemplar un personnage plus humain, mais pour le moins aussi poignant.

« >>

P. A.

P. VULLIAUD. Joseph de Maistre franc-maçon, suivi de pièces inédites. Paris, E. Nourry, 1926. Un vol. de la Bibliothèque des Initiations Modernes. I. 260 p. in-8°.

La Franc-Maçonnerie, mémoire au Duc de Brunswick par JOSEPH DE MAISTRE, publié avec une introduction par EMILE DERMENGHEM. Paris, 1926. F. Rieder et Cie. Un vol. in-12 de 127 pages de la Collection « Christianisme ».

Une saine application de la méthode étiologique, et voici que nous connaissons déjà mieux Joseph de Maistre, ce « catholique effrayant ». Il y a quelques années, le seul titre du livre de M. Vulliaud eût mis en défiance: on eût crié au paradoxe tapageur. Or, le livre se fonde sur des documents des plus sérieux, des procès-verbaux inédits de la Loge Martiniste de Lyon, le « Mémoire » sur la Franc-Maçonnerie adressé par De Maistre au Duc de Brunswick, une explication nullement conjecturale d'une grande partie des Soirées d'un point de vue martiniste, etc., surtout une psychologie très serrée de l'évolution de la pensée maistrienne avant, pendant et après la Révolution. En 1782, il écrit spontanément << avec la flamme d'un apôtre de vingt-neuf ans, un mémoire au Duc de Brunswick-Lunebourg, Grand Maître de la Maçonnerie écossaise de la Stricte-Observance, le même prince auquel Lessing, de son côté, dédiait ses Dialogues pour les Francs-Maçons » (p. 124). A cette date, Joseph de Maistre n'est pas « un franc-maçon pour rire il prend très au sérieux non-seulement la doctrine martiniste, mais aussi ses fonctions de « Grand-Profès » qu'il regarde comme une sorte de « haute magistrature intellectuelle et spirituelle ». Au surplus, il tient la Maçonnerie pour orthodoxe, conciliable même avec le respect du pontificalisme catholique.

M. E. Dermenghem nous a donné, dans la Collection Christianisme une excellente édition, annotée et précédée d'une étude concise sur Joseph de Maistre franc-maçon, de ce « Mémoire » qui est un plan de moralisation de l'humanité conçu et exposé avec cette faculté

lyrique de s'abstraire magnifiquement in divinis qui a toujours été dans le caractère de l'« Aigle savoisien »; M. Vulliaud dit justement: « Il est curieux de voir que Maistre, réputé esprit clairvoyant, s'est engoué de la littérature brumeuse du Martinisme, et que Ballanche, qui passe pour un cerveau nuageux, a observé une attitude prudente» (p. 123. n.). Mais, tout vaticinateur qu'il fût et affligé tout au long de sa vie du <«<tic du conseil », de Maistre ne s'entêta jamais dans ses conceptions, on le sait aujourd'hui: au surplus, ces variations, dit M. V., ne découragent pas ses disciples d'admirer la justesse de son coup d'œil ». Certes, mais en tenant compte des dates! Après la Révolution, le Grand-Profès, le chevalier de Jérusalem, le « Josephus a Floribus » de 1782 devient l'adversaire déterminé de la Maçonnerie; il « répète à tout moment les formules énoncées par les Barruel, Lefranc, Robinson, Starck, Cadet de Gassicourt, par tous les dénonciateurs des conjurations maçonniques ». Pourtant il continue à avoir une instinctive faiblesse à l'égard du Martinisme. En 1815, il tient que << chez les nations catholiques, les sociétés secrètes sont néfastes, et infiniment utiles pour les nations protestantes qu'elles protègent contre le Riénisme » (p. 202).

Le livre de M. Vulliaud, riche d'une documentation très neuve et constamment animée par des rapprochements originaux et lucides, se lit avec beaucoup d'intérêt. Sur l'ensemble de la pensée maistrienne, il reprend, en concluant, le mot si juste de Frédéric Morin : << Dans le système autoritaire, Maistre jette une quantité énorme d'illuminisme... »

JULES DE GAULTIER.

P. A.

Nietzsche, tome XIV de la Collection Les Maistres de la Pensée antichrétienne, Paris, Editions du Siècle, 1926. Un volume de xvI-308 pages. Pet. in-8° carré.

[ocr errors]

« Qu'est-ce qui est bon ? Tout ce qui exalte en l'homme le sentiment de puissance, la volonté de puissance, la puissance elle-même. Qu'est-ce qui est mauvais ? Tout ce qui a sa racine dans la faiblesse ». Or, l'on sait que cette faiblesse, « ces petites vertus de bêtes de troupeau sont pour Nietzsche, la marque morale que dis-je ? l'invention exclusive du judéo-christianisme, judaïsme et christ tianisme sans nuances, sans évolution historique, sans trace, ou presque, des tempéraments individuels qui les ont vécus ou repensés au cours des âges. Il y a, aux yeux de Nietzsche, le Païen, le Juif, le Chrétien, comme il y a le Pape, l'Empereur, l'Abbé, le Marchand pour un peintre de Danse Macabre. Avouerons-nous que la très remarquable étude qui forme ce second volume de la collection Rougier nous paraît faire honneur à Nietzsche de plus de psychologie historique que n'en comporte sa conception surtout esthétique du passé,

du présent et de l'avenir religieux? Le pénétrant découvreur et analyste du « Bovarysme» a organisé en un système cohérent les intuitions éparses du prodigieux artiste du Zarathustra. Aux premières pages de son admirable ouvrage, si malheureusement interrompu, sur le Nietzschéisme, M. Ch. Andler écrivait: << La philosophie de Nietzsche est construite comme s'il y avait eu dans tout le passé humain trois plans naturels et étagés que la pensée a gravis l'un après l'autre, et qu'il faut dépasser pour en atteindre un quatrième, d'un immense coup d'aile» (Les Précurseurs de Nietzsche, p. 9). Peut-on assurer qu'il y ait dans cette construction plus de consistance historique que dans la théorie des «< empires », avec leur architecture toute en arètes vives, avec leur succession automatique ? Si l'on parlait de « messianisme nietzchéen », le paradoxe ne serait peut-être que dans les mots.

P. A.

Julien WEILL. La Foi d'Israël. Éssai sur la doctrine du Judaïsme. Paris, 1926, Les Presses Universitaires de France. Un volume in-12 de 178 pages.

Ce n'est point ici le lieu de discuter le bien-fondé des conclusions auxquelles aboutit M. Julien Weill, car son livre, s'il comporte des éléments historiques discernés et mis en valeur avec une scrupuleuse objectivité qui ne saurait surprendre de la part du savant éditeur de Josèphe, est dans son essence un exposé apologétique, et par ses fins échappe au jugement de cette Revue. En voici tout au moins l'économie, qui est fort claire: Le chap. I donne des aperçus généraux sur la doctrine du Judaïsme, pose la question des « éléments permanents de la conscience juive ». Les chap. I et m (dont M. J. Weill avait donné la substance dans une importante communication au Congrès d'Histoire des Religions de 1923) étudient les sources du Judaïsme et surtout l'existence d'une dogmatique juive : y a-t-il, dans l'Israël ancien et moderne, un credo, un << symbole », un catéchisme (le Schéma, l'Emouna biblique, le cathéchisme de Philon, les treize articles de Maïmonide)? Les chapitres suivants. envisagent les notions fondamentales de la théologie juive: Dieu — la Révélation (et connexement le prophétisme) la Rémunération. Le chapitre vi forme une conclusion très nourrie où les espérances et l'avenir d'Israël et même de l'humanité en fonction d'Israël sont méditées avec une foi sans ceillères. C'est d'ailleurs un éloge qui peut s'étendre à tout le livre outre son agrément et sa limpidité de style, cet ouvrage d'un penseur religieux qui est aussi un historien et un philosophe de mérite, se signale par une sincérité foncière à l'égard des problèmes de la conscience moderne. M. J. W. reconnait « qu'on peut juger diversement le Talmud » (p. 25), que la Tora traditionnelle a été parfois mettons que ces temps soient loin de

[ocr errors]

nous

comme une

<< entourée d'un certain fétichisme » (p. 35). Et s'il admet << armature conservatrice » (p. 113) le ritualisme juif, et le défend (cela est plus spécieux) comme une discipline librement acceptée par le croyant pour son perfectionnement moral, du moins M. J. W. se garde-t-il de lancer l'anathème sur les « dirigeants du judaïsme », surtout séfardi, qui ont en plein Moyen âge senti le besoin de réagir contre ce système d'observances minutieuses « en accordant ou en restituant plus de place à l'idée et au sentiment» (pp. 55-56).

D. L.

« PrejšnjaNaprej »