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Les Questions mycéniennes que nous discuterons tournent autour des conceptions religieuses du second millénaire avant notre ère. Il convient donc, au préalable, de fixer brièvement ce qu'on peut considérer comme établi touchant la religion mycénienne. Sous ce terme de mycénien, qu'on a souvent critiqué sans parvenir à le remplacer, il faut entendre la civilisation de l'âge du cuivre et du bronze en Grèce et dans les îles grecques. On peut distinguer le pré-mycénien sorti directement du néolithique, le proto-mycénien et le mycénien proprement dit qui disparaît, plus ou moins tôt suivant les régions, devant l'invasion dorienne et la civilisation du fer. En Crète, le prémycénien et le proto-mycénien forment l'âge de Minos ou âge minoen, divisé lui-même en trois périodes dont les deux dernières ont jeté un vif éclat et se caractérisent par la construction du premier et du second palais de Knosse, le fameux Labyrinthe. A l'époque mycénienne proprement dite (vers 1500-1100 av. J.-C.), l'hégémonie passe dans la Grèce continentale où, parmi les royaumes achéens, celui de Mycènes occupe la première place.

La religion mycénienne pourrait être qualifiée de préhellénique. Les fouilles poursuivies en Crète depuis 1900 ont fourni sur ce point des révélations inattendues. On en mesurera la portée en rappelant ce que Louis Couve, dont les lecteurs de cette Revue n'ont pas oublié les consciencieux et savants bulletins, écrivait en 1898 : « Il n'est pas douteux que les Mycéniens avaient des croyances religieuses, si vagues fussent-elles; en tout cas ils adoraient des dieux, car les figurines qu'on a trouvées en si grand nombre dans des tombes préhistoriques (à Mycènes, à Troie, dans les Cyclades, en Crète), ne peuvent être que des idoles. Mais quelles croyances? Et quels dieux? Nous ne le saurons peut-être jamais1».

Le culte de Zeus dans la grotte du mont Dicté, en Crète, remonte à l'époque minoenne; c'était déjà le dieu céleste portant la bipenne, symbolisé aussi par le bouclier

1) Louis Couve, Rev. Hist. des Relig., 1898, II, p. 203.

en forme de 8. Déjà, le taureau est son animal-attribut. Le palais de Knosse affirme également le culte du dieu à la bipenne ou labrys d'où vient probablement le nom de Labyrinthe. M. Evans l'avait conjecturé avant que la suite des fouilles ne vint apporter un argument irrécusable dans une petite pièce (fig. 4) cachée dans le palais, sorte de petite chapelle, l'heureux explorateur a trouvé la bipenne parmi les objets du culte. En somme, les fouilles récentes ont mis en bonne place les vieilles légendes crétoises.

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Au dieu qui tient le rôle du Zeus crétois ou Tον Κρηταγένης est associée une déesse qu'on est plus embarrassé de dénommer. Dans la chapelle du palais de Knosse (fig. 4, h), elle est représentée avec une colombe sur la tête; dans la chapelle de Gournia (fig. 5), elle a le corps enlacé d'un serpent. Si le caractère de dieu du ciel est certain pour le dieu, l'identification de la déesse avec la Terre-mère est peu douteuse. A ce titre, tous les animaux lui sont consacrés, particulièrement la colombe, le serpent, le lion; elle apparaît fréquemment sous des traits qui rappellent Rhéa-Cybèle. On lui donne la bipenne comme attribut; mais nous hésitons à l'admettre. Rien ne prouve que les femmes qui tiennent la bipenne figurent la divinité.

Chez tous les peuples, la Terre est la déesse-mère. Jusqu'ici on n'avait rencontré qu'au second plan la Terre-mère en Grèce, car la faveur s'était portée dès les temps homériques sur des divinités qui n'empruntent que certains traits à cette déesse. Les mythes d'Ouranos et Gaea, de Kronos et Rhéa, de Zeus et Héra sont des variations sur le même thème. Le dernier est plus riche, partant plus obscur. Les deux premiers nous conservent le mythe à peu près tel que les anciens Egéens pouvaient le concevoir. A l'époque grecque, les croyances primitives survivent dans certaines pratiques '; on les retrouve à la base des Mystères. Un fragment de for

1) Nous renvoyons à la pénétrante étude de A. Dieterich, Mutter Erde, in Archiv f. Religionwissenschaft, 1905, p. 1-50.

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mulaire orphique nous livre cette réplique : « Je suis le fils de la terre et du ciel étoilé ». On peut encore rappeler l'hymne des Péléiades à Dodone":

«< Zeus a été, Zeus est, Zeus sera, ô grand Zeus!

« La Terre fait sortir les fruits du sol, donnez donc à la Terre le nom de mère. >>

Le parallélisme avec les vieux cultes pélasgiques peut se prolonger. Le culte des arbres et des bétyles était fort développé en Crète. A Dodone, le Zeus «< pélasgique » rendait ses oracles par l'intermédiaire d'un chêne sacré3. Le fait que les fonctions sacerdotales, à Dodone, étaient dévolues à des femmes, nous incline à reconnaître des prêtresses dans les femmes minoennes qui tiennent ou brandissent la bipenne, attribut du Zeus crétois.

Il serait important de vérifier si la fonction sacerdotale était réservée aux femmes à une époque reculée en Crète. Un indice qui ne doit pas être négligé, étant donné la similitude du culte des morts avec le culte des dieux, a été fourni récemment par un sarcophage peint découvert à Haghia Triada, près Phaestos. Trois hommes qui apportent des présents au mort, sont habillés en femmes; également, un joueur de lyre derrière une femme qui fait une libation. Le sarcophage d'Haghia Triada paraît caractériser une époque de transition où l'homme n'est encore admis à jouer dans les rites funéraires qu'un rôle secondaire et où il est même obligé pour cela de se vêtir en femme. L'art en conservera longtemps le souvenir dans la représentation d'Apollon Citharède.

Au-dessous des divinités principales on devine un monde d'êtres divins affectant un aspect composite. Le plus célèbre est resté le Minotaure *.

1) Joubin, BCH, 1893, p. 121. 2) Pausanias, X, 12, 10.

3) Bouché-Leclercq, Histoire de la divination dans l'antiquité, II, p. 277-351. 4) Comme études d'ensemble sur la religion mycénienne, signalons A. Evans, The Mycenaean Tree and Pillar Cult, extr. de Journal of Hellenic Studies, 1901, et G. Karo, Altkretische Kultstätten, in Archiv für Religionwissenschaft, 1904, p. 117-156.

I. L'ENCEINTE DE DALLES DANS L'ACROPOLE DE MYCÈNES ET SA VALEUR RITUELLE.

Il semble qu'après la remarquable étude de M. Christian Belger', après l'abondante discussion que lui ont réservée MM. Perrot et Chipiez', l'intérêt des rites funéraires révélés par les tombes de l'acropole de Mycènes soit épuisé. Nous tâcherons de montrer que certains détails n'ont pas été exactement situés et que les rites mêmes ont été dénaturés.

Quand on entre dans l'acropole de Mycènes par la Porte aux lions, on arrive rapidement devant une aire presque circulaire, d'un diamètre moyen de 25 mètres, enclose dans une double rangée de dalles calcaires primitivement réunies deux à deux, à leur partie supérieure, par des plaques de même matière posées horizontalement. Une entrée est ménagée dans cette enceinte, du côté de la Porte aux lions. Cette esplanade circulaire est maintenue vers l'ouest par un mur de soutènement semi-circulaire qui, lui-même, n'est séparé du rempart que par un étroit passage. On sait quelles merveilleuses richesses Schliemann a retirées du fond des tombes restées inviolées dans l'enceinte de dalles.

Adler a démontré que le rempart, qui de la Porte aux lions se dirige vers le sud-ouest, modifie brusquement sa courbe pour épouser le demi-cercle décrit par le mur de soutènement de l'esplanade3. Il s'ensuit que le rempart et la Porte aux lions sont postérieurs à ces tombes. A l'époque où furent inhumés avec tant d'éclat les plus anciens maîtres de Mycènes que nous connaissions, leur forteresse, sans doute plus restreinte, laissait hors des murs la nécropole royale. Le style

1) Chr. Belger, Die mykeniscke Lokalsage von den Gräbern Agamemnons und der Seinen im Zusammenhange der griechischen Sagenentwickelung, Berlin, 1893.

2) Perrot et Chipiez, Hist. de l'Art., t. VI, p. 581-593.

3) Adler, Archaeol. Zeitung,11876, p. 197.

des stèles funéraires dressées sur ces tombes est nettement plus ancien que celui de la Porte aux lions.

M. Belger, suivi par MM. Perrot et Chipiez, suppose que, primitivement, les tombes étaient recouvertes d'un tumulus. (túpcs) maintenu vers l'ouest par un petit mur semi-circulaire il n'y avait pas alors d'enceinte de dalles. Lorsque, dans la suite, furent édifiés le rempart actuel et la Porte aux lions, on aurait procédé à un remaniement complet des vieilles tombes royales. On aurait égalisé la surface du tópos en surélevant le petit mur semi-circulaire de soutènement. Neuf des stèles les mieux conservées auraient été redressées et le tout disposé en une sorte de téménos par l'érection du cercle de dalles.

Pourquoi cette enceinte de dalles, si elle a été établie à une époque où la nécropole n'était plus en usage, occupet-elle inutilement un si grand espace dans un endroit aussi resserré? L'hypothèse d'un tumulus primitif n'est-elle pas arbitraire? Peut-on comparer les pratiques d'inhumation de la haute époque mycénienne aux rites funéraires, caractérisés par l'incinération, d'une époque très postérieure'? Il est certain qu'on ne rencontre aucun exemple de tumulus sur les tombes mycéniennes.

D'ailleurs, cette prétendue restauration eût été une véritable profanation: on fait disparaître le tumulus; on rejette certaines stèles au style archaïque; on ne conserve que celles en bon état et on les plante à la bonne place. Il est as

1) M. W. Vollgraff, BCH, 1904, p. 390 et s., croit, dans des cas très rares, à l'emploi de la crémation dans la Grèce continentale à l'époque mycénienne, mais postérieurement aux tombes de l'acropole de Mycènes. Il n'y a pas de difficulté à admettre ces exceptions; il faut cependant prendre garde que l'exemple nouveau apporté par les fouilles de M. Vollgraff à Argos est encore fourni par une tombe violée dès l'antiquité et que des tombeaux voisins ont certainement été réutilisés à l'époque géométrique; cf. ibid., p.367.

2) Belger, l. c., p. 33, attribue à la rudesse de style de certaines stèles le fait qu'elles aient été rejetées; cela n'est pas acceptable. Schliemann les a trouvées brisées, mais il a négligé de noter à quel niveau les fragments ont été relevés.

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