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le monde. Aussi M. D. connaît-il toutes les intentions du Créateur et parle-il même à l'occasion, nous le verrons, de changements d'orientation dans la politique divine. Il sait et utilise, à sa façon, les plus récentes découvertes scientifiques, même le code d'Hammourabi (p. 8); et toutes, volens nolens se plient à la glorification de l'Église. Car « la vérité est immuable et une » (p. 745). Comment il concilie ces dispositions avec certaines thèses d'allure moderne, c'est ce que montrera un exemple: Vous dites que le dogme se transforme? Certainement, il suffit de savoir distinguer. « Il est ce qu'il est ; c'est ce que nous appelons son immutabilité: sit ut est, aut non sit. Mais, à aucun moment de l'histoire, nous ne savons tout ce qu'il est ; nous ne l'apprenons qu'à mesure; et c'est ce que nous appelons son développement » (p. 745, n. 1). Voilà un transformisme qui n'aurait pas fait peur à Bossuet.

La valeur objective du livre est fort inégale dans les différentes parties. Celles qui concernent le moyen âge peuvent être utilisées avec précaution; c'est l'âge héroïque du catholicisme; là l'inspiration est heureuse, le parti pris plus anodin; le récit y a parfois une allure sincèrement historique. Saint Augustin, Boniface, Charlemagne, Grégoire VII, saint Bernard, saint Thomas, apparaissent vivants et naturels dans leur milieu; ils sont bien compris en général. Puis, à partir du xv° siècle, l'intérêt baisse, le souffle devient court, le ton contenu, l'a-priori, de l'écrivain toujours plus visible et plus gênant; les figures de Luther et de Calvin sont ternes, à peine ébauchées, surtout incomprises, l'absence de psychologie historique se fait lourdement sentir. L'auteur se montre étranger aux temps modernes, il ne respire à l'aise qu'au moyen âge1.

Mais que dire des Origines? Passe encore pour le monde grec, si l'on peut faire abstraction des constantes préoccupations téléologiques de l'auteur. Pour l'histoire juive, il semble connaître les grands travaux du XIX® siècle, mais n'en pas mesurer la portée; il reste dans le traditionalisme le plus paisible: Abraham, affecte-t-il, de dire, « fait époque dans l'histoire. Pour la 1re fois, la tradition religieuse rapportée par la Bible s'éclaire d'une tradition historique nettement constatée par la science (!). Ce n'est pas tout: mieux certifiée, cette tradition religieuse devient plus féconde en enseignements; elle manifeste un développement décisif autant qu'apparent de l'action paternelle de Dieu. Depuis la création et depuis la chute, il semblait que l'humanité fùt scindée en deux camps confondus l'un avec l'autre ; amis et ennemis de Dieu seront

1) Cela est presque un compliment pour un médiéviste de profession.

séparés désormais ». C'est ici qu'« évolue la politique divine». Après ce bel échantillon, on devine aisément quelle figure fait l'histoire de Jésus et des origines du christianisme. Le sens critique y fait si complètement défaut qu'on est bien obligé de se demander si c'est par antiphrase que la notice bibliographique jointe au volume par l'éditeur dit : « C'est une synthèse de l'évolution religieuse, intellectuelle et morale de l'humanité, faite du point de vue chrétien, et conduite avec cette rigoureuse méthode critique qui est habituelle à l'auteur... Il présente, en un tableau d'une saisissante clarté, le développement d'Israël, l'ancien et le nouveau, à travers 40 siècles d'histoire, depuis la vocation d'Abraham jusqu'aux révolutions... qui ont marqué la fin du xvIII° siècle. » Le privilège et la primauté de Pierre, sa mort à Rome sont docilement relatés sans un mot de doute: « L'Église est définitivement fondée depuis ce jour où saint Pierre a été établi son chef pour avoir reconnu dans le Messie le fils de Dieu » (p. 109 et 133).

Cela suffira pour apprécier le livre dans son ensemble. Si l'on veut entrer dans le détail, on est arrêté à chaque pas par des affirmations, qui sont œuvres du croyant plutôt que de l'historien; le merveilleux, l'illogique, le surnaturel débordent partout. Il est impossible de relever toutes les affirmations... gratuites de M. D. Il faudrait pour cela refaire son livre. Voici quelques-unes de plus caractéristiques :

P. 20. On ne s'étonnera pas trop, s'il « n'aperçoit pas la cause » de l'histoire israélite, et s'il lui semble qu'elle « déroute la logique ordinaire de l'histoire », car il écrit à la page suivante : « L'espèce de confiscation du Dieu universel au profit d'Israël a ses racines dans l'histoire israélite », et p. 57: A partir de la vocation d'Abraham, Judaïsme et Paganisme ont développé dans l'histoire deux conceptions contradictoires de la vie; et ces conceptions s'exprimaient dans les faits plutôt qu'elles ne se définissaient dans leur idée ».

P. 71 et 87. « Au sein de la conscience païenne un vide s'est creusé: elle sent le besoin de la parole de Dieu; elle est prête à la recevoir... La synthèse alexandrine atteste le sourd travail qui s'accomplit dans les consciences. La matière est prête; l'Ouvrier divin peut venir. » P. 89, la naissance à Bethléem est relatée avec tout le décor traditionnel, sans que l'ombre d'un doute vienne effleurer la candeur apparente du récit. L'auteur ne semble pas soupçonner que la moindre objection puisse être formulée. Qu'il lise donc simplement le petit article de Salomon Reinach sur le livre de Ramsay (Revue Critique, 22 mai 1899, p. 398-401).

P. 241. L'abandon des espérances millénaires après le Montanisme et

l'effort des évêques pour opposer aux prophéties montanistes «< une Bible close », lui inspire cette réflexion stupéfiante: « Close est aussi dès lors la révolution religieuse humaine ». Toutes les évolutions lui semblent naturellement providentielles, ex. p. 336. Caractéristique aussi est son explication de ce fait que les mêmes empereurs qui ne reculaient jamais, afin de réduire les papes, devant les pires violences, n'aient jamais osé, afin de les asservir, transférer au siège de leur impériale cité les droits pontificaux de Rome » (p. 357). L'indépendance de Byzance est, cela va de soi, traitée de révolte contre la primauté de Rome, qui << abandonna la rebelle à sa révolte stérile et se retourne vers l'Occident » (p. 363).

P. 523. M. D. ne veut évidemment rien connaître des récents travaux sur François d'Assise; sans cela il n'aurait pas le courage de dire, p. 523: « La papauté protège ceux qui se proposent de vivifier la foi; elle bénit le plus illustre d'entre eux. Pour que le mouvement pénitentiel ne s'égare pas, il faut qu'il se régularise; Rome s'en occupe (demandez comment à M. Paul Sabatier), elle le protège, le dirige et la fraternité primitive se transforme », etc., p. 530. La suite du mouvement franciscain est indiqué p. 563 et 591. Ailleurs nous apprenons que « les prédicateurs qui répandent les bulles (d'indulgence) ne tiennent par malheur aucun compte des recommandations qu'on leur a faites », en insistant << beaucoup plus sur la question d'argent que sur la pénitence » (p. 640). Cependant M. D. nous rappelle lui-même dans la phrase précédente que ce n'est que «< afin de continuer les travaux de S.-Pierre, que Léon X renouvelle l'indulgence publiée par Jules II ». A la page suivante, il trouve << étrange » que Luther ait ignoré la Bible jusqu'en 1508, traite son exégèse de « fantaisiste » alors qu'il n'a pas un mot de critique pour celle de ses adversaires, et lui reproche d'avoir « exposé, touchant le mariage, une scandaleuse doctrine » (p. 643), alors qu'il ne trouve rien à redire au célibat ecclésiastique, tel qu'il se pratiquait. Le cas de bigamie de Philippe de Hesse (et non de Dessau, p. 645) autorise-t-elle honnêtement à affirmer que la polygamie, prêchée ouvertement par Carlstadt (pourquoi Carlostadt), fut « seulement tolérée par Luther »?

P. 650, on sera quelque peu surpris d'apprendre qu' « en 1560 enfin, après deux tentatives infructueuses, (les Huguenots) s'emparent du pouvoir »>! On est habitué, en France, à voir identifier catholicisme et christianisme; M. D. va plus loin et identifie catholicisme et religion, ex. p. 664. Il est peu... généreux envers les Jansénistes, dont il dit que «<leur tactique, toute de chicanes et de faux-fuyants, atteste le prestige

des décisions apostoliques » (p. 677); ce sont ces mêmes Jansénistes dont M. Molinier dit qu'« ils avaient pour eux le bon droit et... cette bonne fortune de compter parmi eux presque tout ce que la France renfermait alors d'esprits élevés et de caractères austères. Ils voulaient, en somme, donner à la religion un caractère sérieux que le catholicisme a rarement eu en France » (Revue Critique, 9 octobre 1899, p. 289). Quant à prétendre qu'aux XVIIe et XVIIIe siècles, « les curés de campagne n'ont pas de plus vif souci » que de combattre la sorcellerie, et que l'Église s'efforce de répandre une notion plus exacte de la religion (p. 688), cela ferait sourire si la question n'était si grave, et cela n'est pas plus fort que d'assurer que « les vexations auxquelles (le calvinisme) fut en butte au cours du XVIIIe siècle furent passagères et sans influence; le pouvoir était obligé de fermer les yeux. Un édit de 1787 reconnut même (!!) aux protestants les mêmes droits qu'aux catholiques » (p. 699). Les mêmes droits est évidemment faux, mais n'insistons pas. On voit assez que le livre de M. D. n'offre pas de l'histoire tout court, mais de l'histoire arrangée in usum delphini. Il ne reste qu'à signaler quelques

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P. 19 et 79 Staоρά (oxyton et non paroxyton). — P. 62, 1. 5 de Cynosarges. P. 82, n. 1, le 4o livre d'Esdras1. — P. 530, n. 1 de la p. 529, 1. 4, lire lorsque celui-ci le poussait (il se rapporterait à saint François). - P. 535, l. 8 et n. 1, 1. 9, Erigène.

P. 654, 1. 15 ὁμολογουμένως. P. 704, l. 14, Probst ne se traduit guère par prévôt dans le sens de 1er pasteur.

1) V. Revue Critique, 15 mai 1899, p. 381.

TH. SCHOELL.

NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES

V. HENRY.

Les Littératures de l'Inde Sanscrit, Pâli, Prâcrit.
Paris, Hachette, 1904, 1 vol. in-18.

M. V. Henry ne dédaigne point, au milieu de ses habituels travaux d'éru dition scientifique, d'écrire de temps à autre un article ou un livre de vulgarisation. Il rend ainsi au grand public un signalé service, car trop rarement les ouvrages de ce genre sont faits par des hommes vraiment compétents.

La tâche de résumer en 300 pages l'histoire littéraire de l'Inde offrait de réelles difficultés : il s'agissait de mettre un peu d'ordre dans la confusion presque inextricable de la littérature la plus touffue et la plus prolixe de monde. M. Henry y a parfaitement réussi, surtout pour la période archaïque, où précisément les indications chronologiques font à peu près défaut; et on emporte de la lecture de ce petit livre une impression à la fois vive et nette, grâce à la connaissance approfondie qu'a l'auteur de la langue et des textes, grâce surtout à son admiration éclairée et communicative pour les chefs-d'œuvre qu'il commente.

Après une courte préface où il résume clairement l'histoire linguistique de l'Inde et montre l'importance relative en même temps que le rôle littéraire du sanscrit et des principaux Prâcrits, M. H. passe successivement en revue, d'abord les œuvres directement inspirées par les religions les plus anciennes. Védas, Brahmanas et Çâstras, avec les différents systèmes philosophiques qui en sont sortis, puis les productions des religions postérieures, Bouddhisme et Néo-Brahmanisme, ensuite la littérature épique, toute mythologique encore, le Mahabharata, le Râmâyana et les Puranas, enfin la poésie lyrique et gnomique, l'histoire, le conte, le roman et le théâtre. L'auteur recherche l'origine de chacun de ces genres, en retrace brièvement l'évolution, en marque les rapports avec les provinces littéraires les plus voisines, enfin il juge les œuvres au point de vue de la forme et du style, avec de nombreuses citations d'une précision rigoureuse et élégante, dans lesquelles il essaie même de donner au lecteur, lorsqu'il s'agit de poètes, quelque idée de la prestigieuse versification des Hindous.

Ce compte-rendu rapide montre assez que le volume n'est guère de la compétence de cette Revue. Il touche pourtant à l'histoire des Religions, parce que dans l'Inde plus encore qu'ailleurs, la littérature est inséparable des différentes manifestations des phénomènes religieux, comme le fait remarquer

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