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Nous arrivons ainsi à la seule question intéressante ces notions plus ou moins fantaisistes sur la personne de Jésus, telles qu'elles sont enregistrées dans le Talmud, sont-elles le résidu de traditions proprement juives remontant à l'époque de Jésus, traditions altérées, défigurées, caricaturales, ou la réfraction dans un milieu juif des récits chrétiens, réfraction allant jusqu'à la parodie et au contre-sens? Dans le second cas, l'étude de ces notions ressortit uniquement au folk-lore.

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M. T. H. essaie - et son essai semble une gageure de reconstituer une chaîne de la tradition dont le premier anneau serait cet Éliézer dont il a été déjà question, mais il est trop avisé pour affirmer que ce rabbin aurait recueilli l'écho de souvenirs uniquement juifs, et, avec une réserve qui fait honneur à sa probité scientifique, il retient seulement de toutes ces pseudo-traditions la confirmation de l'existence de Jésus. Mais si modeste et si inattendue que soit cette conclusion finale, elle me paraît encore aventureuse. On peut poser en fait que, si l'histoire de Jésus n'était qu'un mythe, étant donné les récits des Évangiles et le spectacle du christianisme triomphant, les Juifs auraient tout aussi bien dit ce que M. T. H. a relevé. Il ne faut pas oublier le prestige dont était investie pour les anciens la chose écrite. Croire à une invention de toutes pièces, eût dépassé les bornes mêmes de l'esprit de parti. Or les Juifs au Ie siècle n'ignoraient pas l'existence des Évangiles, encore qu'ils s'interdissent de les lire, et des bribes des récits qui y sont contenus étaient parvenues à leurs oreilles.

Nous abordons un terrain plus solide avec la seconde partie de l'ouvrage, consacrée aux Minim. Ce terme, à l'origine, s'appliquait aux Juifs hérétiques. Mais désignait-il une hérésie particulière? Par l'examen judicieux d'un passage parlant des apostats, des délateurs, des épicuriens et des Minim, M. T. H. découvre le sens précis du mot. Ce sont des hérétiques n'affichant pas leur apostasie; ce sont, par conséquent, au point de vue juif, les plus dangereux. Voilà pourquoi ils sont l'objet des méfiances des Israélites, pourquoi on introduit dans les prières des formules dirigées contre eux, etc. La remarque est très juste. Maintenant, sont-ce des gnostiques juifs ou des judéo-chrétiens? Ici M. T. H. rencontre sur sa route la thèse de M. M. Friedländer, qui voit dans ces Minim des gnostiques juifs antinomistes dont l'existence serait constatée avant l'ère chrétienne. Cette fantaisie, qui se donne de faux airs de science, M. T. H. en un tour de main la détruit. Il montre qu'elle repose sur des amputations et des altérations de textes ainsi que sur des contre-sens. M. T. H. ignorait les articles où M. Bacher et moi

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avions démonté cet échafaudage de propositions puériles (Revue des Études juives, t. XXXVIII, p. 38 et 204); ses conclusions n'ont donc que plus de force.

Les Minim, à n'en pas douter, sont le plus souvent des judéo-chrétiens, mais professant une christologie particulière. Il est remarquable, en effet, que jamais dans les polémiques entre Juifs et Minim, Jésus n'est considéré comme Messie, et M. T. H. aurait pu faire ressortir le contraste que, sous ce rapport, ces controverses offrent avec celles du moyen âge, où la discussion porte surtout sur la messianité de Jésus. Or telle est justement la christologie de l'Épître aux Hébreux. Que s'il restait le moindre doute sur le caractère de ces Minim, un témoignage de saint Jérôme le lèverait entièrement : « Usque hodie per totas Orientis synagogas inter Judæos hæresis est, inter Judæos hæresis est, quæ dicitur Minearum, et a Pharisæis nunc usque damnatur, quos vulgo Nazaræos nuncupant, qui credunt in Christum, filium Dei, natum de virgine Maria, et eum dicunt esse qui sub Pontio Pilato passus est et resurrexit; in quem et nos credemus, sed dum volunt et Judæi esse et Christiani, nec Judæi sunt nec Christiani» (Epist. 89 ad Augustin.).

La thèse est certainement juste en gros, mais il faut l'élargir et reconnaître que parfois le terme Minim a été étendu à des gnostiques peut-être judéo-chrétiens. Ainsi un de ces Minim oppose à un Juif que l'Écriture impute à Dieu une action honteuse en lui attribuant l'endurcissement du cœur de Pharaon. Or cet argument, comme l'atteste Tertullien, était un de ceux que faisaient valoir les Marcionites pour établir que le Dieu de l'Ancien Testament est le Dieu mauvais. Nous citons ce trait parce que M. T. H. l'a fait entrer dans son inventaire; on pourrait en ajouter d'autres.

M. T. H., avec raison, s'est contenté de réunir les textes relatifs aux Minim qui offrent quelque point d'attache avec le christianisme, et il a procédé à cette récolte avec beaucoup de soin et de discernement. Nous ne sommes donc que plus étonné de n'avoir pas vu citer un des passages les plus instructifs rentrant dans ce cadre. Il est vrai qu'il se trouve dans le traité Dérech Erèç Zouta, que n'a pas dépouillé, semble-t-il, M. 7. H. Peut-être ignorait-il que cet opuscule renferme sous des additions tardives un noyau très archaïque, antérieur à la rédaction du Talmud. Au chapitre 1er on y recommande de ne pas renoncer aux prescriptions rituéliques pour ne pas tomber dans le Minout (l'hérésie des Minim). Une telle recommandation ne suppose-t-elle pas la connaissance du Paulinisme?

Toutes ces critiques de détail montrent l'intérêt avec lequel nous avons lu l'excellent travail de M. T. H., qui restera surtout en raison du savant commentaire dont il a enrichi la traduction des nombreux textes qu'il a su grouper avec art. M. 7. H. a offert aux travailleurs un modèle de monographie érudite et instructive, et nous espérons qu'il fera école. Notre confrère mérite nos hommages aussi pour l'esprit de haute impartialité dont il fait preuve en touchant à des questions qui enlèvent trop souvent leur sérénité aux historiens du christianisme.

Israël LÉVI.

AD. HARNACK. Die Chronologie der altchristlichen Litteratur bis Eusebius, t. II: Die Chronologie der Litteratur von Irenaeus bis Eusebius. Leipzig, Hinrichs; 1904. 1 vol., gr. in-8 de xii et 564 p. Prix: 14 m. 40 (relié : 17 m. 40).

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Dans l'article consacré au premier volume de cet ouvrage (t. XXXVIII, p. 205 à 217; 1898), j'ai exposé à nos lecteurs le plan suivi par M. Harnack, sa méthode, l'abondance de sa documentation. Il est inutile de revenir là-dessus, sinon pour redire encore une fois l'admiration que doit inspirer à tout homme du métier une œuvre d'ensemble aussi considérable, où l'on sent d'un bout à l'autre une égale maîtrise. Si nombreux que soient les points où les solutions préconisées par M. Harnack paraissent contestables et quelles que soient les critiques de détail, auxquelles la discussion de questions aussi complexes et aussi délicates que la détermination chronologique d'une quantité d'écrits, non datés et souvent de provenance douteuse, peut donner naissance, la plus élémentaire justice commande d'établir son jugement sur la totalité de l'œuvre et de ne pas se laisser absorber par les griefs de détail jusqu'à perdre de vue la puissance incomparable de l'effort réalisé et la valeur du service rendu. Les recherches d'ordre chronologique sont presque toujours entreprises à propos d'un ouvrage spécial ou d'un écrivain déterminé, dans des monographies; quiconque s'y est essayé sait par expérience que c'est le plus souvent la partie la plus difficile de la tâche et, pour les mener à bien, il se fonde sur d'autres données chronologiques, puisées dans d'autres chapitres de l'histoire à la même époque et dont il admet tacitement l'exactitude. Mais ici c'est l'histoire

littéraire tout entière de la société chrétienne antique qu'il s'agit de situer dans les trois premiers siècles de notre ère, c'est-à-dire la date des sources mêmes de cette histoire qu'il faut déterminer, et cela d'après les seules données internes ou d'après quelques maigres points de repère fournis par l'histoire dite profane !

Le premier volume, on se le rappelle, s'arrêtait à Irénée. Le second débute par Clément d'Alexandrie et les écrivains alexandrins. Ensuite viennent les auteurs influencés par les Alexandrins chrétiens (Jules Africain, Alexandre de Jérusalem, Grégoire le thaumaturge, Firmilien, Pamphile, Eusèbe de Césarée), les écrivains chrétiens orientaux qui n'ont pas subi cette influence ou qui lui sont hostiles, et les écrits orientaux qui ne rentrent dans aucune de ces catégories (p. ex. les apocryphes de date tardive, les oracles sibyllins, etc.). Dans le IV. livre l'auteur aborde la littérature occidentale de la fin du 1e au commencement du ive siècle. Un appendice très considérable (p. 463 à 540) est consacré aux Actes de martyrs, à la littérature de droit ecclésiastique et à la littérature pseudo-clémentine. Le livre se termine par une quinzaine de pages d'addenda et corrigenda et par un index. M. Harnack a renoncé avec raison à dresser une table chronologique, à cause du grand nombre de déterminations approximatives ou douteuses qui, rivées à une date dans une table de ce genre, auraient pris un caractère de précision abusif.

La période étudiée dans ce second volume soulève moins de questions brûlantes que les deux premiers siècles. La date de la composition du IV. Évangile a évidemment une plus grande importance que celle des Homélies clémentines. En général, aussi, elle permet des déterminations mieux assurées que la toute première littérature chrétienne. D'autre part, l'étude critique des textes y est aussi dans la plupart des cas moins avancée et l'attribution de bon nombre d'entre eux reste douteuse. M. Harnack lui-même et plusieurs de ses disciples ou collabora teurs ont consacré des monographies à ces écrits de paternité incertaine dans les « Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Litteratur », dont les résultats sont enregistrés ici, mais aussi, il faut le dire, les conclusions parfois aventureuses.

C'est ainsi que l'on a reconstitué, avec des écrits faussement attribués à Cyprien dans les manuscrits, un bagage littéraire considérable à Novatien. En se fondant sur ce que les Epp. 30 et 36 de la correspondance de Cyprien ne peuvent être que de Novatien et que le petit traité De cibis judaicis est certainement de lui, on arrive à justifier, par comparaison, l'at

tribution du De Trinitate au même auteur. Saint Jérôme (De Vir. ill., 70) dit expressément qu'il composa sous ce titre un grand ouvrage, qui est comme un résumé d'une œuvre de Tertullien et que l'on attribue souvent à tort à Cyprien. Cette indication a de la valeur; il ne faut pas oublier cependant que le De Trinitate que nous possédons n'est en aucune façon un résumé d'un écrit de Tertullien. Le renseignement fourni par saint Jérôme est donc inexact au moins pour moitié. Cela ne laisse pas d'en affaiblir la portée. L'attribution à Novatien est vraisemblable, pas certaine. Partant dès lors de ce fait, considéré comme certain, qu'un ouvrage attribué à tort à Cyprien est en réalité l'œuvre de Novatien, on est encouragé à lui en passer cinq autres, qui ont été conservés sous le nom de Cyprien et qui ne sont certainement pas de lui. Ce sont d'abord les deux petits traités De spectaculis et De bono pudicitiae, où l'on remarque de frappantes ressemblances avec les écrits de Novatien, dans le vocabulaire, dans le style et dans le ton des exhortations morales. Les rapprochements signalés ont une certaine valeur; mais il ne faut pas oublier que nous ne connaissons les noms que d'un très petit nombre d'écrivains chrétiens au m° siècle, alors que la chrétienté commençait déjà à devenir nombreuse et qu'il a dû y avoir une quantité d'évêques ou de prédicateurs qui adressaient des exhortations à leurs ouailles ou même aux chrétiens en général. N'est-il pas téméraire, dans de pareilles conditions, de prétendre rapporter à Novatien, plutôt qu'à tout autre, des écrits, qui ont un certain air de famille avec ceux que l'on suppose avoir été composés par lui, sans qu'il y ait aucun témoignage historique à l'appui de cette thèse? Ne vaut-il pas mieux avouer que l'on n'en connaît pas l'auteur ?

Il en est de même du traité Adversus Judaeos et du panégyrique De laude martyrii. M. Harnack lui-même renonce à soutenir comme acquise l'attribution à Novatien du Quod idola dii non sint. Quant au petit livre Ad aleatores, que M. Harnack avait revendiqué jadis pour l'évêque de Rome Victor, à la fin du IIe siècle, il le reporte maintenant, après le grand débat provoqué par son initiative, à un évêque novatien de Rome, à la fin du 1° siècle, et le traité Ad Novatianum est attribué à l'évêque de Rome Sixtus. Par contre il se refuse à souscrire à l'hypothèse de M. Weyman, qui attribue à Novatien la paternité des 20 sermons De libris ss. scripturarum découverts par M. Batiffol.

Toute cette reconstitution du patrimoine littéraire de Novatien est originale et ingénieuse. C'est l'une des parties les plus neuves de cette chronologie de la littérature chrétienne au 11° siècle, par comparaison

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