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ou moins raisonnée, était-elle dans l'esprit et dans la théologie propres au christianisme méridional. Le Franciscanisme se laissait aisément pénétrer, lorsqu'il revenait par instants, avec les Spirituels, à la spontanéité religieuse de ses débuts, par des éléments de provenances très diverses panthéisme des groupes flamands, morale sociale de certaines communautés vaudoises.

Mais c'est la synthèse thomiste qui rassemble le plus de forces disséminées, centralise la plus vaste somme de science. A la considérer en dehors des contingences historiques, elle apparaît comme un des plus puissants instruments d'assimilation que se soit jamais construit un organisme fermé. M. Picavet a exposé, en termes d'une précision telle qu'elle ne saurait offenser aucune susceptibilité, les phases de la restauration thomiste depuis l'encyclique Eterni Patris et même depuis l'Essai sur l'indifférence. Nous n'avons point à discuter ici la valeur de ce regain médiéval; tout au plus pouvons-nous exprimer le vœu qu'il fournisse à la science une contribution abondante et désintéressée. En tant que survivance historique la scolastique d'aujourd'hui ne présente qu'un intérêt tout relatif, et c'est seulement de l'histoire comparée des philosophies médiévales, des formes de pensée et d'argumentation en usage chez les Byzantins et les chrétiens d'Occident, chez les Juifs, chez les Arabes, que se dégage pour l'étude historique de la philosophie scolastique toute une série de documents précis qui permettent de redresser, dans la majeure partie de leurs termes, l'idée qu'on s'en fait et la définition qu'on en donne. La réduire comme on l'a fait trop souvent à une philosophie uniquement théologique, toute subordonnée à l'imitation servile de la logique péripatéticienne, surtout occupée du problème des universaux, c'est là une conception fragmentaire et injuste. Bien qu'à un degré moindre que chez les Arabes, les Byzantins et les Juifs, les sciences et la philophie ont, chez les chrétiens d'Occident, pénétré parfois dans le domaine théologique et se sont conciliées avec l'orthodoxie. Il y eut, au moyen âge, et même dans le moyen âge proprement latin, des conceptions d'un caractère uniquement philosophique, des recherches et des affirmations d'un caractère uniquement scientifique; les uns et les autres viennent de philosophes très hardis qui sont des chrétiens très fervents et très dociles; de raisonneurs intrépides, assurés comme Ramon Lulle d'enserrer la réalité dans leurs syllogismes; de savants comme Roger Bacon qui attendent de la science la possession absolue de la nature et qui font grand cas de la philosophie et de la théologie.

Si la scolastique à son déclin s'est engourdie et repliée sur ellemême, a vécu ou plutôt s'est survécu à l'aide de ses acquisitions passées, s'est indéfiniment répétée pendant de longs siècles de décadence, elle ne saurait en sa période d'activité, d'incessant accroissement, passer pour une philosophie de compilation, pour un centon tendancieux composé de lambeaux des sagesses antiques. Quels que soient les emprunts qu'elle ait faits, ils ne sauraient diminuer en rien son originalité : elle s'est, en usant, comme les autres philosophies médiévales, de l'interprétation allégorique, acquis des droits incontestables à la propriété de ces textes, puisque ce mode d'adaptation leur attribuait parfois un sens littéral ou une donnée positive diametralement opposés à ceux qu'ils présentaient originellement.

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Et d'ailleurs cette interprétation allégorique, si elle est trop souvent arbitraire et purement imaginative, repose parfois aussi sur des données provenant de la réflexion individuelle, de l'analyse psychologique, de l'observation plus ou moins directe des choses. Nombre de mystiques médiévaux en cela disciples heureux de Plotin ont édifié leurs théories de la procession sur des études de la vie intérieure » dont tous les résultats ne sont pas négligeables pour un psychologue critique. Comment enfin refuser son attention à l'entreprise sans précédent que tenta la scolastique et qu'elle mena à bien? En cette exceptionnelle période du x-x siècle, Aristote et ses commentateurs néo-platoniciens, les Arabes et les Juifs, les astronomes et les géomètres, les médecins et les alchimistes lui offrent l'immense trésor de leurs constructions théoriques, de leurs observations pratiques. Or, un Abélard et surtout un Alexandre de Halės instituent une méthode qui est assez vigoureuse et en même temps assez souple pour opérer parmi ces richesses une sélection préalable puis en faire absorber le plus possible par la dogmatique chrétienne. Par ce labeur puissamment systématisé, la scolastique chrétienne s'est intimement mêlée à la vie collective, à l'effort commun des philosophies médiévales; et, comme elles toutes, elle est comprise, pour bon nombre d'éléments, sous le beau jugement d'ensemble porté par M. Picavet sur l'activité spéculative du moyen âge : « Si celte période a réalisé tant d'abstractions et créé des êtres de raison qu'elle plaçait souvent au-dessus des êtres véritables, si elle a multiplié infiniment plus qu'il ne convient les hypothèses sans s'occuper de les vérifier, elle a poussé, jusqu'à ses dernières limites, l'analyse des idées que lui fournissait dans le passé et dans le présent, l'observation interne ou externe; elle a fait des éléments ultimes de cette analyse, une infinité de com

binaisons, systématiques ou non, logiques ou imaginatives, qui, considérées en elles-mêmes et indépendamment de leur valeur objective, montrent plus encore, sinon mieux que les œuvres d'art de toute la période médiévale, quelle fut alors la puissance créatrice de l'esprit humain, quelle fut la richesse et la variété des conceptions par lesquelles il essaya de s'instruire et de s'éclairer ou parfois même de se consoler et de s'enchanter » (p. 70).

D

La bataille des doctrines ne reprend que trop souvent autour des questions médiévales; il est à souhaiter que des paroles aussi élevées et aussi sereines donnent à beaucoup cette « bonne volonté » quelle ne saurait être nulle recherche du vrai.

sans la

P. ALPHANDÉRY.

BALDWIN SPENCER and F. J. GILLEN.

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The Northern Tribes of Central Australia. xxv-784 pages, 315 ill., 2 pl. en couleurs, 1 carte. Londres, Macmillan, 1904, 8°, 21 sh.

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A. W. HowITT. The Native Tribes of South-East Australia. XIX-819 pages, 58 ill., 10 cartes. Londres, Macmillan, 1904, 8, 21 sh.

Le nouveau volume de MM. Spencer et Gillen est le digne complément de celui qu'ils publièrent en 1899 sur les tribus de l'Australie centrale'. Pour la clarté de l'exposition les auteurs ont dans chaque chapitre de Northern Tribes résumé ce qu'ils avaient dit des Arunta et des Urabunna étudiés spécialement dans Native Tribes, de manière qu'on puisse voir par quoi se différencient les tribus, en allant du Sud au Nord.

Au cours de la deuxième expédition, facilitée par la générosité de M. Syme, de Melbourne, ont été étudiées les nations Warramunga, Binbinga et Mara constituées chacune par un assez grand nombre de tribus d'importance variable.

Dans toutes, les coutumes fondamentales, par exemple celle de l'initiation, concordent; partout se retrouve la croyance à une époque mythique (l'’Alcheringa des Arunta) pendant laquelle vivaient des êtres

1) Cf. le compte-rendu de ce volume, R. H. R., t. XLV (1902), pp. 403

semi-humains qui, doués d'une grande puissance, créèrent le pays et laissèrent en divers endroits des esprits qu'on se représente d'ordinaire comme des hommes-poupées et qui depuis lors se réincarnent sans cesse. De même, dans toutes les tribus on procède à des cérémonies compliquées qui se rapportent aux ancêtres totémiques et concordent partout dans leurs grandes lignes; dans toutes les tribus, sauf chez les Mara du golfe de Carpentarie, on célèbre des cérémonies du type. de l'intichiuma (Arunta); partout enfin, sauf dans les tribus du golfe de Carpentarie, l'organisation sociale et la réglementation matrimoniale concordent.

Si pourtant on tient compte des détails, on constate que toutes ces tribus se peuvent répartir en groupements, que MM. Spencer et Gillen proposent, en suivant M. Howitt, d'appeler nations.

C'est ainsi que la nation Arunta se caractérise par la forme spéciale des cérémonies de l'engwura et de l'intichiuma, et par leurs croyances concernant les churinga, objets sacrés qui datent de l'Alcheringa; le mariage avec la fille de la sœur du père y est interdit.

La nation Warramunga possède des noms de classe spéciaux pour les femmes, une forme propre d'intichiuma; une moitié de la tribu accomplit les cérémonies concernant l'autre moitié; le mariage avec la fille de la sœur du père y est permiş.

Dans la nation Bibinga, certaines coutumes sont identiques à celles des Warramunga, et d'autres à celles des Mara.

Enfin la nation Mara ne reconnaît que la descendance en ligne paternelle et ne célèbre pas d'intichiuma.

Ajoutons que chaque tribu parle un dialecte qui lui est propre et qui diffère assez de celui des autres tribus de la même nation.

:

Partout le totémisme a un but nettement économique les membres du groupe totémique sont responsables de la multiplication de l'espèce animale et végétale à laquelle ils se jugent apparentés et dont ils portent le nom; pour pouvoir manger d'un animal ou d'une plante, il faut en avoir reçu la permission des membres du groupe dont cet animal ou cette plante est le totem. Chez les Arunta, cette règle n'est exprimée qu'à la fin des cérémonies de l'intichiuma (qui sont les cérémonies ayant pour but la multiplication du totem): on pouvait donc la regarder comme un phénomène isolé, sinon aberrant. Mais dans les tribus plus septentrinales, comme les Kaitish et les Unmatjera, la règle est absolue et constante : elle influe directement sur la vie quotidienne. Si par exemple chez les Kaitish et les Unmatjera un individu ayant pour totem

l'émou arrive dans une région habitée par des gens ayant pour totem l'herbe, il arrache un peu d'herbe, l'apporte au chef du groupe de l'herbe en disant : « Vois, j'ai pris de l'herbe chez vous »; le chef rẻpond << Fort bien, tu peux en manger ». Jamais l'homme-émou ne se risquerait à manger de cette herbe sans la permission des hommesherbe; il tomberait malade ou mourrait. Ce même homme-émou étant seul à la chasse ne blessera ou ne tuera pas un émou; mais s'il se trouve en compagnie d'individus appartenant à un autre groupe totėmique, il tuera lui-même l'émou, mais pour le donner à ses compagnons (pp. 159-160; cf. encore pp. 325-327).

Voilà qui établit définitivement l'une des caractéristiques du totémisme des Australiens centraux.

La multiplication du totem est obtenue par des cérémonies qui varient beaucoup dans le détail (cf. le chap. VI) mais qui comprennent presque toutes comme élément central la représentation mimée des légendes concernant la naissance et les voyages des totems pendant l'âge mythique de l'Alcheringa; un certain nombre de ces légendes constituent le chap. XIII. Cérémonies et légendes sont de moins en moins caractérisées et de moins en moins compliquées à mesure qu'on va du centre de l'Australie vers le nord (golfe de Carpentarie). De même la croyance aux objets sacrés appelés churinga, dont fait partie le rhombe (bullroarer des écrivains anglais) joue un rôle très important chez les Arunta mais n'existe qu'à peine chez les Bibinga et les Mara. D'où les auteurs concluent (p. 281-282) que les Arunta ont conservé des coutumes et des croyances plus primitives, qui se sont oblitérées, parfois même totalement effacées chez les tribus du Nord; pour citer leur formule : « La série des modifications a rampé lentement du Nord au Sud » (p. 20). Or c'est également du Nord au Sud, mais suivant trois directions divergentes que se serait faite l'immigration des noirs Australiens; et cette opinion de MM. Spencer et Gillen est également celle de M. Howitt dans le chap. I de Native Tribes of S. E. Australia.

Mais ceci porte précisément à penser que les Arunta sont, non pas les plus primitifs mais les plus développés de cette branche d'Australiens qui a peuplé les régions centrales. De nos jours, au Centre, les Arunta sont arrivés au golfe, ou en quelque point du Nord, avant les Kaitish; ceux-ci sont arrivés avant les Warramunga; ceux-ci avant les Bibinga et les Mara. En admettant que les diverses nations soient les rejets d'un même tronc, c'est chez les dernières venues, chez les tribus côtières, que nous devons trouver dans leur état plus primitif les croyances et

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