Slike strani
PDF
ePub

aussi ancrée et aussi universelle que je viens de l'admettre, et que, par conséquent, le primitif ait acquis, grâce au miroir préhistorique de l'eau, une idée assez précise de ses traits pour les reconnaître dans la pupille d'un autre homme, il n'aurait pu penser à identifier l'image de sa tête vue dans une eau et l'image de sa tête vue dans une pupille. La figure qu'il voyait dans l'eau était pour lui son âme image, un double exact de son corps, dont elle avait, ou à peu près, toutes les proportions. Le reflet de la tête d'un homme dans la pupille d'un autre homme étant environ cent fois plus petit que le reflet de la même tête dans l'eau, le primitif ne pouvait songer à reconnaître dans un si petit visage une forme de la tête de son âme image, laquelle était pour lui de grandeur naturelle. Au cas même où il aurait reconnu qu'il n'y avait dans les deux images que des proportions différentes de la même image, il ne lui serait pas venu à l'idée de comparer la pupille à une eau, puisque, pour lui, la pupille ne pouvait être qu'un petit trou noir, tandis que la surface d'une eau était, malgré sa transparence, une réalité aplatie sur laquelle son âme image pouvait s'étaler comme la feuille d'un nénuphar1. Si l'on tient compte de tous les aspects sous lesquels s'est présenté au primitif le phénomène, pour nous si simple, du miroir de la pupille, on comprendra combien inévitable était l'explication qu'il en a donnée. Pour lui, de même que pour tous les non-civilisés de notre époque, il y avait dans l'œil de l'homme un petit être humain de proportions très réduites qui

présumer que depuis fort longtemps, dans toute société non civilisée, les enfants seuls, parce qu'ignorant encore la croyance au mauvais œil, pensent à consulter le miroir de la pupille.

1) On ne doit pas oublier que la cause du pouvoir de réfraction de la surface d'une eau n'a pu être soupçonnée qu'à partir du jour où un artisan a vu son image dans la plaque de bronze qu'il venait de polir, d'où la possibilité de concevoir l'idée abstraite de surface polie, et je dis possibilité, parce que, pendant longtemps, l'homme, ne comprenant pas l'image se produisant dans le miroir, a reporté sur cette image toutes les superstitions relatives à l'image se formant sur la surface d'une eau, ainsi que je l'expliquerai dans un autre paragraphe de mon livre.

2) Sur l'idée que le primitif s'est faite de l'âme oculaire de l'animal, cp. la note 4 de la page 10.

venait parfois pousser sa tête dans le petit trou noir de la pupille. Le meilleur témoignage de cette ancienne croyance se trouve encore dans les langues des peuples civilisés où l'image vue dans la pupille, - puis, par extension, la pupille elle-même et parfois aussi la prunelle' -, s'appelle : « petit homme >>, << petit enfant >>, << petite fille »; il n'y a guère ici d'exception que dans la langue française qui a perdu la désignation spéciale, ce qui me force, pour la clarté de ce qui va suivre, à me servir d'un mot d'un nouveau, qui me paraît d'ailleurs

[ocr errors]

- pupilline

4

13, 4, 2, 4, distingue soidit-il, trois parties dans l'œil : le

1) Voir fin de la note de la page 2. Il est remarquable qu'un texte sanscrit au moins, Catapatha Brahmana 12, 8, 2, 26 gneusement la pupille de la prunelle : « il y a, blanc, le noir et la fillette ».

2) Voici une liste de ces désignations: «< petite fille » (kanînaká ou kanínikâ en sanscrit, pupula ou pupilla en latin), « fillette » (xópn en grec), «< petite fille de l'œil » (niña del ojo en espagnol, menina do olho en portugais), «< enfantelet » (kindlein en allemand), « petit garçon » (kanînakas en sanscrit), « petit homme >> (männlein en allemand), « petit homme de l'oeil » (en hébreu dans Deuteronome 32, 10 et dans Proverbes 7, 2), « petit homme de la fille de l'œil » (en hébreu dans Psaumes 17, 8), formule que je crois devoir expliquer comme il suit : Les ancêtres des Hébreux, ou certains de leurs ancêtres, ont attribué le sexe féminin à la petite figure apparaissant dans la pupille (= trou de l'iris); ils ont ensuite donné le nom de la petite figure à la pupille où elle apparaissait; l'expression fille de l'œil a pris alors le sens exclusif de pupille; c'est avec cette valeur qu'elle se trouve, isolée, dans Lamentations de Jérémie (2, 18), où les mots que la fille de ton œil n'ait point de repos veulent dire : ne cesse de pleurer, ce qui implique la croyance que les larmes viennent de l'intérieur de l'œil et s'échappent par le trou de l'iris, c'est-à-dire, par la pupille pour parler français, par la « fille de l'œil » pour parler hébreu. Ayant ainsi donné le sens précis de pupille à fille de l'œil, l'hébreu a pu attribuer le sexe masculin à la pupilline, d'où dans Psaumes 17,8 une expression équivalant à «< petit homme de la pupille ». Il n'est pas inutile de remarquer que la désignation << petite fille >> se rencontre spécialement dans des régions où depuis fort longtemps on attribue à l'âme le sexe féminin. La relation entre les deux faits me paraît la suivante la désignation petite fille doit venir de fillettes jouant à se regarder les yeux. Elle aura été préférée à cause du genre féminin qui, avec ou sans raison, était donné à l'âme souffle (vyń, anima).

3) Voir la note de la page 2.

4) Je forge ce mot en m'inspirant du sens premier du latin pupilla, voir note 2 de cette page, sens que ce mot n'a perdu que le jour où les médecins du moyen-âge l'ont introduit dans nos langues, - voir note de la page 2 —, en ne lui accordant plus que le sens second d'ouverture de l'iris. Ceux qui, à première vue, jugeraient mon néologisme intempestif, voudront bien essayer tout

résumer très bien les désignations des autres langues. Étant donné maintenant que le primitif devait inévitablement voir dans la pupilline un petit être appartenant à celui qu'il regardait, il est aisé de comprendre le rôle qu'il a attribué à cet habitant de l'œil. En premier lieu, sa tendance à expliquer tout mouvement, comme, par exemple, les battements du cœur1, par la présence d'un être vivant, pouvait, en ce qui concerne l'œil, se préciser comme il suit: c'est la pupilline logée dans l'œil, ou près de l'œil, qui est la cause des mouvements de l'œil; c'est grâce à elle que l'œil est tantôt abattu, tantôt brillant, tantôt doux, tantôt irrité'. En second lieu, comme l'œil d'un mort, et même parfois l'œil d'un moribond3, ne donne plus l'image de celui qui le regarde, le primitif devait attribuer le décès au départ de la pupilline. La croyance étant ainsi expliquée, je passe aux faits qui en montrent l'étendue et les diverses formes.

Le corps périt, disent les Indiens Macousis de la Guyane, mais << l'homme qui est dans nos yeux »> ne meurt pas; il erre çà et là *. Les Mongos du district de l'Équateur (Congo) croient qu'au moment de la mort, le petit être de l'œil droit, lequel est nommé nyango ou

6

au moins d'expliquer clairement, sans y recourir, les superstitions relatives au mauvais il (ci-dessous, p. 11 ss.).

1) Je renvoie pour ceci à la première note de l'article sur l'âme poucet qui paraîtra dans un prochain fascicule de la revue.

2) Cp. le chapitre de Pline (H. N. 11, 14), où, au surplus, apparaît ce fossile de la conception primitive: Profecto in oculis animus habitat, mais seulement à titre de figure, le contexte établissant, d'une part, que l'auteur ne voit plus dans l'œil qu'un organe de transmission, d'autre part, qu'il reconnaît (11, 55, 1) que l'œil constitue « un miroir si parfait que la pupille toute petite rend l'image entière d'un homme. »>

3) Un médecin de mes amis m'affirme que le pouvoir de réfraction de la pupille peut disparaître quelque temps avant l'arrêt du cœur. C'est à ce fait que Pline (H N 28, 64, cité par RHODE Psyche 2 1, 23, note 1) fait allusion en disant : Augurium non timendi mortem in aegritudine quamdiu oculorum pupillae imaginem reddant.

4) TYLOR Civilisation primitive, tr. fr., 1, 500.

5) Remarquer que dans la plupart des faits cités dans ce chapitre, il ne s'agit que d'une seule âme pupilline, comme si les hommes ne s'étaient jamais regardés entre quatre-z-yeux, mais seulement entre deux yeux, œil droit vis-à-vis d'œil droit, à en juger par le fait du présent alinéa.

6) Je remarque le passage qui suit dans Andree Ethnographisches Parallelen

nyango na disu la mère1 de l'œil », se rend au Lola, le séjour du dieu Djakomba. Il y est plus ou moins bien traité suivant qu'on a enfoui plus ou moins de richesses dans la tombe du défunt*.

Les âmes des mourants sont dans leurs yeux 3, dit Babrius, employant une expression parallèle à «< avoir l'âme (c'est-à-dire l'âme souffle) dans le nez*», ou « sur les lèvres », dans le sens de « être près de mourir », c'est-à-dire faisant allusion à une croyance qu'on peut restituer en ces termes au moment de la mort, l'âme pupilline se trouve dans la partie du corps par laquelle elle doit sortir.

La fermeture des yeux du mort par ses parents, le but premier du rite a été de boucher une ouverture par laquelle la pupilline du mort pouvait s'échapper pour exercer des ravages parmi les vivants'

a "

1, 91: Die Neger am Ogowe kennen unter dem Namen Njamba oder Nschango Kakodämonen, welche Nachts ihr Wesen treiben und besonders den Weibern gefährlich sind. Die Person, welche von ihnen heimgesucht wird, stirbt unfehlbar einige Tage nach dem Besuche. Andree considère avec raison que le nschango de l'Ogouwé est un vampire. Cela me paraît définitivement établi par le texte que j'ai relevé. Le mot nschango ne peut être qu'une notation germanisante, dure au lieu de douce comme dans la prononciation chicot pour gigot -, d'un mot *ndjango (dj comme dans anglais judje) correspondant à la désignation des Mongos: nyango « âme ». Il désignerait l'àme se détachant du corps d'un sorcier vivant ou mort pour nuire à un vivant.

1) Le mot mère serait-il ici employé avec la valeur d'ancêtre féminin, d'où âme, par une évolution de sens comparable à celle du sanscrit pitaras « les pères», d'où « les âmes des morts »? Ne devrait-on pas plutôt croire à une traduction peu exacte d'une expression femme (de l'œil) qui serait un équivalent de la désignation européenne petite fille (de l'œil)? Dans le second cas, nous aurions un bel exemple d'un mot du type pupilla aboutissant au sens

d'âme.

2) Bulletin de Folklore 3, 76-77 résumant Congo illustré 4 (1895), 94.

3) Ψυχαὶ δ' ἐν ὀφθαλμοῖσι τῶν τελευτώντων : BABRIUS 95, 35 cité par RHODE Psyche 1, 23 note 1.

2

4) PÉTRONE 62: mihi animam in naso esse, stabam tamquam mortuus, cité par FRAZER Golden Bough 1, 252, n. 5 (= trad. 188 n. 2) comme exemple de survivance verbale de la croyance qu'il relève 251 ss.

5) Cp. FRAZER Ibidem 1, 251 ss. et notamment, 252, n. 5, où l'on trouvera un texte qu'un de mes collègues a traduit en ces termes : « Écorche-moi celui-ci, et ne cesse pas que sa méchante âme ne lui soit venue aux lèvres >>> (HERONDAS, Les Mimiambes, trad. française par E. Boisacq. Paris-Liège 1893, p. 26).

6) Je dois renoncer à publier, à la fin du présent article, le long paragraphe où j'étudie cet usage en me plaçant au point de vue de la croyance au mauvais œil que je pense avoir élucidé dans les pages qui suivent (16 ss.).

été interprétée par certains Grecs comme un enlèvement au moyen des mains d'une âme pupilline invisible', c'est-à-dire comme un rite analogue au recueillement de l'âme souffle dans un baiser sur la bouche du mourant.

Suivant une croyance relevée dans un texte anglo-saxon et observée encore de nos jours en Écosse, si l'on ne voit plus le «< petit homme >> dans l'œil d'un malade, c'est qu'il doit mourir 2.

En Nouvelle-Zélande, où les chefs étaient considérés comme des dieux, le guerrier qui tuait un chef, lui arrachait les yeux et les mangeait, afin de s'incorporer l'âme divine que contenaient ces yeux *.

Suivant une superstition allemande, on peut reconnaître une sorcière au signe suivant : Quand on regarde sa pupille, le « petit homme >> y paraît la tête à l'envers, ce qui se ramène à cette croyance que, chez la sorcière, l'àme pupilline est faite autrement que chez les autres femmes, et ce que des barbares ont pu croire d'autant plus certain qu'il leur suffisait d'examiner la pupille de la sorcière, après lui avoir renversé la tête, pour constater que la pupilline, laquelle se trouvait pour eux à l'intérieur de l'oeil, avait une position anormale.

Dans la pupille de l'œil gauche d'une sorcière, croyait-on autrefois, tout au moins en Allemagne, en France et en Navarre, on voyait

7

1) ἄχρις ὅτου ψυχήν μου μητρὸς χέρες εἷλαν ἀπ' ὅσσων : Epigr., Kaib. 314, 24, cité par RHODE Psyche 1, 23 note.

2

4

2) GRIMM Deutsche Mythologie 988; on peut se demander toutefois si nous sommes ici en présence, ou bien de la croyance fausse que la mort est la conséquence du départ de la pupilline, ou bien d'une simple notation barbare d'un phénomène qui est un des signes d'une mort très prochaine (cp. note 3 de p. 7). 3) FRAZER Golden Bough 2 2, 360-361.

4) GRIMM Ibidem 903. La même croyance existait en France au 16° siècle; on y disait, en effet, que les sorciers et sorcières avaient « la prunelle des yeux renversée» (TUCHMANN dans Mélusine 4, 29 citant LE LOYER Quatre Livres de spectres Angers 1586), ce qui est une mauvaise notation (prunelle pour pupille pupilline) de la superstition.

=

5) Quelques-uns des textes auxquels je me réfère disent: sorciers; on peut voir dans ce masculin la suite d'une mésintelligence de la conception populaire. La métamorphose en crapaud est, en effet, spéciale à la sorcière (cp. note 2 de p. 10), ce que je crois devoir rapprocher de ce fait que le nom de cet animal est féminin dans plusieurs langues, le genre grammatical étant ici, semble-t-il, une conséquence de la croyance.

6) GRIMM Ibidem 898.

7) TUCHMANN dans Mélusine 4, 84 (citation de DE LANCRE), où l'analogie des autres textes permet de restituer pupille au lieu de blanc de l'œil.

8) TUCHMANN Ibidem 81 (cit. de LLORENTE).

« PrejšnjaNaprej »