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réelle des êtres auxquels s'appliquent les croyances. J'ose dire que depuis longtemps tous les historiens autorisés de la religion, qu'ils soient par ailleurs théologiens ou non, ne traitent pas l'histoire des religions autrement. Je n'en connais pas qui professent la réalité objective de tous les êtres divins auxquels ont cru les sociétés religieuses successives qu'ils décrivent. En dehors et au-dessus du terrain proprement historique, libre à eux de croire à la réalité d'un Pouvoir divin ou de Pouvoirs divins, comme il est loisible pour d'autres de n'y voir que des illusions. Tout ce que l'on a le droit de réclamer des uns comme des autres, c'est que leurs convictions philosophiques ou dogmatiques n'altèrent pas la complète sincérité de leur exposition historique, ayant pour objet les croyances des hommes religieux du passé. Nous savons tous, que ce n'est pas seulement parmi les théologiens que l'on trouve des historiens qui oublient ces exigences d'une bonne méthode.

Prétendre déterminer les faits religieux, en laissant complètement de côté l'objet auquel s'appliquent croyances ou représentations religieuses, rites ou actes religieux, c'est une entreprise à tel point irréalisable, que M. Hubert lui-même, après avoir recherché laborieusement les caractères du fait religieux, finit par nous dire (p. XLII) que « c'est par ses représentations que le système religieux se distingue tout particulièrement des autres », qu'« il superpose aux idées, choses, actes et pensées qu'il englobe, une sorte de surcroît, qui est, après tout, une manière de les voir » et que « tout ce qui peut être objet de représentation religieuse paraît se doubler naturellement d'une contre-partie idéale ».

Voilà donc une fois de plus la croyance religieuse déterminée par son objet, seulement de telle façon que cette détermination peut s'appliquer aussi bien aux abstractions de la métaphysique, aux symboles de l'art,¦ c'est-à-dire à es faits qui n'ont aucun caractère religieux, parce que l'on a complètement laissé de côté ce qui donne justement à une représentation de l'esprit sa valeur religieuse, soit la conscience d'une relative entre le sujet qui conçoit la représentation et le Pouvoir (être personnel, puissance abstraite, etc.) qui fait l'objet de la représentation.

La thèse qui probablement tient le plus à cœur à M. Hubert et à ceux qui se rattachent avec lui à la nouvelle école sociologique, c'est que les faits religieux sont des faits sociaux. Tout le monde, je suppose, sera d'accord sur ce point. Quel est l'historien moderne qui ait jamais songé à étudier l'histoire de la religion en dehors de l'histoire sociale, à

prendre l'homme religieux «< en soi » pour objet de son étude ou à considérer l'individu religieux comme autonome? Ne sommes-nous pas tous également soucieux de rechercher les ancêtres, les origines, les antécédents des personnages que nous étudions, de connaître leur « milieu »>, leur éducation, leurs relations, leur entourage, leurs lectures, etc., etc. pour trouver dans ce bouillon de culture social l'explication des faits individuels dont la trame constitue l'histoire de ces personnages ? C'est l'a b c de la méthode historique. Aucun de ceux que l'on range parmi les adhérents de l'école psychologique ou de l'école anthropologique, tout court, n'agit' autrement. Quand M. Hubert nous dit (p. xxxviii) « que toute explication des phénomènes religieux doit être cherchée dans la série même des phénomènes », nous sommes entièrement d'accord avec lui. Mais en quoi est-ce là une méthode nouvelle?

La notion que professe mon honorable collègue sur l'évolution historique de la religion, partant de l'état social pour achever sa course à l'état individuel, suffit cependant à nous mettre en garde contre les exagérations des sociologues pour lesquels la vision de la forêt finit par devenir tellement obsédante qu'ils ne voient plus les arbres. On ne saurait étudier l'individu en dehors de son milieu social, qui le détermine par hérédité ou par suggestion; d'accord. Mais on ne saurait pas davantage étudier le milieu social sans tenir compte des individualités qui, à un degré quelconque, réagissent sur le milieu social et le modifient. Comme le dit fort bien M. Hubert, « les formes du raisonnement individuel se substituent progressivement aux formes de la pensée collective, à mesure que les individus sont plus enclins à prendre conscience de celle-ci » (p. XLV). On peut ajouter: dans bien d'autres cas encore. En religion, comme dans les autres domaines de la vie et plus peut-être que partout ailleurs, c'est l'individu qui est le facteur du progrès ou tout au moins du changement. Le milieu social est essentiellement conservateur; il n'a aucune initiative. Et comme en histoire ce qui importe, c'est de saisir la genèse et la nature des modifications qui seules constituent la succession et l'enchaînement des faits, il en résulte que malgré tout l'étude de l'individualité religieuse garde une importance de premier ordre pour l'historien. De plus, en histoire nous ne connaissons le plus souvent le fait social que par des témoignages individuels; la seule chose à faire c'est donc d'étudier ces témoignages individuels et de les comparer pour parvenir à en dégager des faits d'une valeur générale.

Une détermination du fait religieux doit s'appliquer à toutes les formes de la religion. Or, M. Hubert reconnaît lui-même que la religion,

à mesure qu'elle se développe, prend davantage un caractère individuel. Comment dès lors persévérer à nous présenter le caractère social >> comme inhérent au fait religieux? Il est tantôt individuel et tantôt social, ou plutôt il est toujours à la fois l'un et l'autre avec des proportions différentes dans chaque cas particulier. Je crois comme M. Hubert que la subordination de l'individu à la société est d'autant plus complète que l'individu est moins cultivé. Par conséquent le rôle de l'individualité est beaucoup plus faible dans les groupes sociaux non civilisés que dans les civilisations avancées. Aussi leur histoire est-elle beaucoup plus simple et plus uniforme. Mais cette observation s'applique à tous les domaines de l'activité humaine chez les non-civilisés. Elle n'a donc rien de spécifiquement propre aux phénomènes religieux. Enfin, mème chez les non-civilisés, il ne faut pas l'exagérer et se fonder sur un ordre de phénomènes aussi mal connu que le totémisme et dont le caractère spécifiquement religieux est très discutable, pour fonder une théorie, d'après laquelle ce n'est pas l'individu « qui projette son âme dans la société, c'est de la « société qu'il reçoit son àme» p. xxxv). C'est construire une cathédrale sur du sable mouvant.

Je ne parviens donc pas à saisir un principe nouveau dans la méthode préconisée par la jeune école dite sociologique. Nous devons déjà à quelques-uns de ses représentants des monographies d'une très sérieuse valeur et qui les classent au premier rang des travailleurs scientifiques dans l'ordre de nos études. Mais il n'y a pas là une methode nouvelle et quant à leur conception nouvelle de ce qui est religion » dans l'histoire, j'avoue ne pas la saisir. Elle s'évanouit quand on la serre de près. Après comme avant, c'est par l'analyse critique des témoignages et par la psychologie appliquée à l'individu étudie dans le milieu social dont il fait partie integrante, que nous pouvons reconstituer l'histoire religieuse du passé.

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JEAN REVILLE.

LB P. MARIE-JOSEPH LAGRANGE. Etudes sur les Religions sémitiques. Paris, Lecoffre, Tre édition, 1903, -430 pages:

2e édition, 1905, xv-527 pages.

Nous annonçons à la fois la première et la seconde édition de ce beau volume. Les deux tirages, en eilet, se sont succede à moins d'un an et demi d'intervalle. Le succès du livre nous a rejoui sans nous étonner; il est des plus mérites.

L'importance même de l'ouvrage servira d'excuse à l'étendue de notre analyse. C'est le travail le plus considérable qui ait été publié en France sur ces questions. Ce n'est pas encore l'histoire complète des religions sémitiques, que nous attendrons sans doute longtemps, mais une série d'« études » sur quelques-uns des traits les plus caractéristiques et les plus primitifs de ces religions. Par son plan comme par son point de vue général, l'ouvrage rappelle les Studien zur semitischen Religionsgeschichte du comte Baudissin. Le quart environ du volume a déjà paru, sous forme d'articles détachés, dans la Revue biblique internationale, dont le P. Lagrange est le directeur.

L'auteur se montre remarquablement bien informé; qu'il s'agisse de Babylone ou de la Phénicie, de l'Arabie ou de l'Ancien Testament, il est au courant des dernières découvertes et des publications les plus récentes.

Les faits collectionnés sont très nombreux; et, autant que nous avons pu le vérifier, ils sont rapportés avec autant d'exactitude que d'impartialité. Les réserves que nous aurons à faire portent presque exclusivement sur l'interprétation que l'auteur donne des faits. Aussi ne saurions-nous trop recommander cet ouvrage comme recueil de matériaux.

Dans la discussion des opinions qu'il croit devoir écarter, l'auteur se montre non seulement courtois et objectif, mais soucieux d'adopter la part de vérité qu'il est toujours disposé à admettre chez ses adversaires. C'est un esprit éclectique, modéré. Bien qu'il combatte en général les vues de Robertson Smith et de Wellhausen, il a beaucoup appris d'eux et, dans le grand débat soulevé par le panbabylonisme, c'est, en somme, leur point de vue qu'il adopte en général, malgré bien des déclarations contraires, plutôt que celui des assyriologues qui voient partout l'influence de Babylone; pour lui et nous estimons qu'il a raison - à la base des conceptions religieuses des divers peuples sémitiques, il y a des idées simples, convenant à des primitifs, et non des idées de civilisés que les Babyloniens auraient imposées à leur congénères moins développés qu'eux et que ceux-ci se seraient assimilées tant bien que mal, un peu comme les indigènes de nos colonies adoptent un vernis d'idées et d'habitudes européennes.

Ce bel ouvrage nous paraît toutefois présenter une grave lacune. L'auteur a systématiquement écarté de son étude la religion hébraïque, apparemment parce qu'il y voit, comme il dit, un « cas transcendant », c'est

1) Voir Revue de l'Hist. des Rel., t. XLV (1902), p. 242-249.

à-dire au nom d'une préoccupation étrangère à l'histoire, à la science pure. Il consulte sans doute l'Ancien Testament, mais c'est seulement, en théorie du moins, pour en tirer des données sur la religion des Cananéens. On ne voit pas bien dès lors, comment, ayant écarté l'une des religions sémitiques, il a le droit de donner, en terminant, une caractéristique générale de ces religions, ou de conclure une enquête sur leurs origines. Sans doute, même considérée à un point de vue purement historique, la religion hébraïque a pris un développement absolument exceptionnel au sein des religions antiques; mais, quelque opinion que l'on ait sur la cause première de ce développement unique, il faut reconnaître que ce qui, en Israël, a été ainsi développé, transformé, c'était une religion sémitique très semblable aux autres et de toutes les religions sémitiques celle que nous connaissons de beaucoup le mieux et qui peut le mieux nous aider à comprendre les autres.

Cette omission systématique a le sérieux inconvénient de faire douter de l'indépendance scientifique de l'auteur. Le lecteur se demande involontairement, quand il voit que la thèse générale du livre concorde avec l'apologétique traditionnelle de l'Église, si cette thèse est bien exclusivement le fruit de l'examen des documents; et cette préoccupation nuit à l'effet des preuves toutes scientifiques que l'auteur avance.

Dans l'analyse des différents chapitres nous n'insisterons que sur les points d'une portée générale.

Dans une introduction consacrée aux Origines de la religion et de la mythologie, l'auteur s'attache à combattre les partisans de ce qu'il appelle << l'animisme évolutif », et spécialement ceux qui, comme Renan, Wellhausen, R. Smith, pensent que le polythéisme et même le monothéisme sont issus par une lente évolution du polydémonisme.

L'humanité, d'après le P. Lagrange, a commencé par ce qu'il nomme le << monisme » ou « monothéisme latent ». Ce monothéisme latent, «< joint à l'animisme, est encore ce qui expliquerait le mieux les deux formes du polydémonisme et du polythéisme » (p. 20). « Ce sentiment plus ou moins confus de l'unité et de la transcendance du divin» lui paraît prouvé par l'existence des cosmogonies, par la diffusion chez les sauvages de la croyance en un grand être juste et bon, enfin par ce qu'on appelle l'hénothéisme: « lorsque l'âme se trouve en présence de son dieu, ce dieu fût-il innomé, ou quand bien même on indiquerait sa généalogie, elle lui prodigue toutes les épithètes qui conviennent à la divinité et le met sans hésiter au-dessus de tous les dieux » (p. 21).

Pour prouver que le polythéisme est né du monothéisme, et non le

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