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thèse. J'en conviens, mais je prétends qu'elle est bien moins hasardée que leur pleïade d'auteurs absolument inconnus. Mon hypothèse, au moins, est conforme aux mœurs de l'époque et des nomades, elle rentre dans l'usage du temps.

La Genèse, à part les textes religieux du commencement, se compose de quatre biographies, l'histoire de quatre hommes se succédant de père en fils, Abraham, Isaac, Jacob et Joseph. Ce n'est donc qu'un livre de famille. Il n'est pas question d'événements historiques ayant une portée générale et des témoins en grand nombre, ce ne sont que des épisodes se déroulant dans un cercle étroit, et qui ne pouvaient et ne devaient pas être connus au dehors.

Sans doute, il était précieux pour Jacob et pour sa descendance de savoir que c'était sur lui qu'était descendue la bénédiction de son père. Par conséquent, c'est sa postérité et non celle d'Esau qui verrait l'accomplissement des promesses prophétiques qu'avait prononcées le vieillard. Mais ce n'était là qu'affaire de famille, sans intérêt même pour le peuple au milieu duquel vivait le patriarche. Et ce qui prouve bien que ce sont là des documents de famille, c'est qu'aussitôt qu'Israël cesse d'en être une, après la mort de Joseph, quand il devient une nation, lorsqu'il joue un rôle dans l'histoire d'un grand peuple, l'Egypte, les documents cessent complètement, et ceux qui paraissent alors ont un tout autre caractère. Comme Hammourapi, Moïse va être un législateur promulguant à son péuple une loi qui lui a été dictée par son Dieu, et cette loi forme un tout. Ici encore l'analogie avec la Mésopotamie, le pays d'origine des Hébreux, est complète.

Si, dans la famille d'Abraham, il n'y avait pas un souvenir écrit de ce qui s'y était passé, et surtout de tout ce qui tenait à la religion, comment Moïse, plusieurs siècles après, aurait-il pu rédiger cette histoire ? Et ces archives, je le répète, ne pouvaient être que semblables à celles de Tel el Amarna, une jarre ou une caisse contenant des tablettes cunéiformes, qui voyageait avec la tribu, car la famille d'Abraham ne s'était pas établie dans une ville. Elle habitait sous des tentes qu'elle dressait çà et là. Ce ne fut qu'au retour d'Egypte que les Hébreux, devenus un peuple, furent sédentaires, fondèrent des villes, s'y établirent et renoncèrent à la vie de nomades.

III

Une dernière catégorie de documents dont se servit Moïse, et qui lui était nécessaire pour la composition de son livre, ce sont tous ceux qui nous ont conservé l'histoire de Joseph. Et ici je n'hésite pas à revenir, sous une forme un peu différente, à une idée qui avait été mise en avant par Astruc 1. « Je soupçonne », dit le médecin français, a que l'histoire de Joseph (chapitre XL-XLV) a été écrite par Joseph lui-même, parce qu'elle contient des faits personnels, qui ne pouvaient être que de lui, et qu'elle est beaucoup mieux écrite que le reste, comme estant écrite par une personne qui avait passé une grande partie de sa vie à la cour d'Egypte, où régnaient la politesse et les sciences ».

D'après Astruc, l'histoire de Joseph est toute entière une partie de ce qu'il nomme le document A, l'Elohiste, sauf l'épisode de la femme de Potiphar qui doit être rapporté à un autre auteur, et que Joseph aurait supprimé par modestie. A cela près, toute l'histoire est Elohiste.

En affirmant l'unité d'auteur pour toute l'histoire de Joseph, Astruc paraît faire entendre la voix du bon sens. Cette histoire se déroule avec une logique parfaite, il n'y a rien d'inutile. On y reconnaît même un sens littéraire admirable. Ce récit est attrayant et nous fascine, non par des ornements artificiels ou la recherche du langage, mais parce que c'est la voix du cœur dans toute sa simplicité, qui trouve aussitôt de l'écho en nous.

Je ne reviens pas sur les résultats auxquels sont arrivés les critiques modernes par leur volonté bien arrêtée de retrouver, coûte que coûte, plusieurs auteurs, même dans l'histoire de Joseph. Cette partie de la Genèse présente de nombreux exemples où la dissection qu'ils ont faite du texte les a conduits, à ce que je caractériserai d'un mot que j'emprunte à leur dictionnaire des absurdités. Qu'on regarde dans la Genèse « arc-en-ciel » ou dans la Bible du Centenaire comment on hâche en morceaux la scène de la reconnaissance de Joseph par ses frères, ou la visite de Joseph au vieux Jacob.

La biographie de Joseph est aussi longue que celle d'Abraham; elle égale presque en importance celle de son aïeul. Elle se rapproche davantage de ce que nous entendons par biographie; elle a

1) Conjectures sur les mémoires originaux dont il parait que Moist se servi, p. 316.

caractère plus historique, et la chronologie y est absolument respectée. Puisqu'il faut l'attribuer à un auteur unique, quel est-il ? Je ne crois pas, comme Astruc, que ce soit Joseph lui-même, mais que c'est Joseph qui l'a fait écrire. Il voulait qu'il restât un souvenir des circonstances qui avaient amené les Hébreux en Egypte. Il a fait rédiger ce que nous appellerions ses mémoires par un écrivain, dont il avait probablement un grand nombre à sa disposition. C'est bien sa personnalité qui est mise en relief, ce n'est pas le tableau des événements de son temps, car le récit finit à sa mort et se tait absolument sur ce qui suivit en Egypte. C'est si bien de Joseph qu'il s'agit, que le nom même du Pharaon sous le règne duquel il arriva à sa position élevée n'est pas mentionné.

Il est possible que, lorsque Moïse fit usage de ces tablettes, il y ait introduit quelques modifications, qu'il ait développé certains épisoddes comme celui de la femme de Potiphar, qui ressemble absolu ment à ce que nous raconte un conte égyptien. Mais les changements doivent avoir été moindres que dans les documents de famille précédents. Il s'agit là d'un homme qui avait vécu dans des circonstances tout analogues à celles où se trouvait Moïse, dans le même pays, dans un milieu de moeurs toutes semblables.

En faisant écrire sa biographie, Joseph imitait, en quelque mesure, les usages des grands personnages égyptiens. Ceux-ci se faisaient creuser une tombe sur les murs de laquelle on gravait une description plus ou moins longue de leur vie et surtout des faveurs dont ils avaient été l'objet de la part du souverain. Pas très longtemps après Joseph, Ahmès le nautonnier, qui vivait sous le règne du roi du même nom, a laissé sur les murs de sa tombe des inscriptions qui sont de véritables mémoires. Il parle lui-même et il raconte sa jeunesse, les guerres auxquelles il prit part dans la suite du roi, ses exploits et les récompenses qu'ils lui valurent. C'est par ces inscriptions que nous connaissons non seulement le nom et la vie du personnage mais des événements très importants de l'histoire d'Egypte, en particulier la guerre qui conduisit à l'expulsion des Hyksos, ces étrangers qui dominèrent sur le pays pendant plusieurs siècles, et dont l'un des derniers fut le roi de Joseph.

Mais Joseph n'était pas un Egyptien; sans doute, comme son souverain, il avait dù se plier aux mœurs du pays, sa femme Asenath, était Egyptienne, fille du grand-prètre d'On; néanmoins, il était rest Hébreu, fidèle au culte de Yahveh. Il n'avait pas abandonné la foi de ses pères et de son enfance. Le séjour en Egypte qu'il avait procuré à sa famille n'était pas un établissement définitif; un jour, ils retour

neraient au pays de la promesse, dans lequel il voulait reposer luimême. Et il le donne clairement à entendre dans ses dernières volontés : « Et Joseph fit jurer aux enfants d'Israël : « Quand Dieu vous visitera, emportez d'ici mes os avec vous ». C'est ainsi qu'il fit son testament, en obligeant par serment un certain nombre de témoins à exécuter sa volonté bien arrêtée, et, en effet, nous voyons dans le récit de l'Exode (XIII. 19) que Moïse prit avec lui les os de Joseph, car Joseph avait fait jurer les fils d'Israël en disant : Dieu vous visifèra, et vous ferez remonter avec vous mes os loin d'ici ». Et, plus tard, Josué (XXIV. 32) enterra à Sichem les os de Joseph rapportés d'Egypte.

Joseph mort fut embaumé, sa momie fut conservée par sa famille, comme c'était l'usage chez les anciens Egyptiens, pour lesquels une momie était une valeur puisqu'on pouvait l'hypothéquer. On le déposa quelque part en lieu sûr, avec ses mémoires qui étaient des tablettes, et qui tenaient lieu des inscriptions biographiques gravées dans un tombeau qu'il n'avait pas voulu avoir.

On peut supposer que les Hébreux gardèrent précieusement ces reliques de Joseph, lequel devait être leur héros pendant qu'ils séjournérent ́en Egypte. C'est lui qui les avait amenés dans le pays, où ils prospéraient et augmentaient beaucoup en nombre. C'est à sa protection qu'ils devaient cette terre de Goscen où ils faisaient paltre leurs troupeaux. La haute position à laquelle Joseph était arrivé dans le royaume avait ébloui ses contemporains et frappé leurs imaginations; sa figure devait rester dans la tradition comme celle d'un grand homme qui avait été un des leurs, et duquel ils pouvaient se glo bien plus que d'Abraham.

A première vue, il semble que ce soit une hypothèse un peu aventureuse que d'imaginer que Joseph fit écrire sa biographie sous sa direction, et de son vivant. Mais en agissant ainsi, il imita de loin ce qu'on aurait fait pour lui s'il avait été un Egyptien. On aurait gravé ses hauts faits sur les murs de sa tombe ou sur une stéle funéraire, ou sur une statue, dans un langage qui devait avoir été composé de son vivant. Puis il tenait aussi à rappeler à ses compatroles qu'ils n'étaient que de passage en Egypte, et qu'ils devaient retourner au pays qui avait été promis en héritage à leurs péres. Ses dernières paroles à ses frères, par il faut entendre sa famille. Le sont-elles pas : « Je vais mourir, mais Dien vous visitera et vous fera remonter de ce pays-ci au pays qui a promis par serment à Abraham, à Isaac et à Jacob ».

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On se représente que Moise, lorsqu'il entreprit de faire sortir les Israelites d'Egypte, lorsqu'il s'efforça de les persuader, non sans

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peine, qu'ils devaient quitter an pays auquei îïs s'étaient attachés en dépit des persécutions, dut se prévaloir de ces paroles prononcées au moment de sa mort par l'homme, qui les avaît amenés Égypte. C'est peut-être une raison qui poussa Moïse à exécuter religieusement l'ordre donné par le mourant d'emporter ses os dans le pays de Canaan. Quand la promesse, s'accomplissait pour les Israëlites, celui qui y avait cru jusqu'à la fin devait voir son dernier vœu réalisé.

1

Si l'histoire de Joseph n'est pas une biographie écrite de son vivant. on se demande comment ces renseignements sur sa vie auraient été conservés. Tout ce qui concerne son enfance, qui l'aurait rapporté? Lorsqu'il mourut, à l'âge de 110 ans, ce qui, pour les anciens Egyptiens, veut dire la limite extrême de la vieillesse, ses frères l'avaient certainement précédé dans la tombe puisqu'il était un des plus jeunes; on ne pouvait donc pas faire appel à leurs souvenirs; de même aussi personne d'autre que lui ne pouvait raconter son séjour dans la prson ni les songes. S'il y avait une partie de sa carrière qui fùt connue du grand nombre, c'était sa vie publique, les années qu'il avait passées à administrer le pays, en vertu de la charge élevée que le roi lui avait confiée. Mais c'est là, précisément, ce qui est le plus abrégé, à part quelques traits nécessaires pour l'intelligence du récit. Ce n'est pas à dire que cette partie de la biographie ait été laissée de côté, mais Moïse ne l'a pas reproduite parce que cela ne concernait que l'Egypte, c'était en dehors des destinées des Israëlites et ne rentrait pas dans le plan qu'il s'était tracé.

Telle est donc la troisième des sources de la Genèse, la biographie de Joseph qui, à certains égards, est conforme aux habitudes des anciens Egyptiens, et aussi rentre dans la catégorie des documents de famille que nous avons considérés précédemment, car, en somme, c'est l'histoire de la famille de Jacob, et ce qui y tient la plus grande place, c'est ce que Joseph fait pour son père et ses frères, c'est là la partie importante, car sa vie publique, ses actes de ministre d'un roi dont le nom n'est pas pas donné, ne sont presque rien.

Ici encore, comme précédemment, nous nous sommes efforcés de nous en tenir aux usages du pays et du temps. Nous avons recherché quel genre d'écrivains il pouvait bien y avoir en Mésopotamie, dans les populations nomades de l'Ancien Orient, puis en Egypte. Et, chez les Sémites comme chez les Hébreux, nous n'avons rencontré que les scribes comme ceux de Mésopotamie, écrivant sur des tablettes cunéiformes.

Nulle part, nous n'avons trouvé ces écrivains de cabinet, pour ne

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