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taire qui consiste à donner ses actes au Bhagavat. Donc, sans acte, pas de salut : « Les hommes qui, avec foi et sans regimber, se conforment constamment à mon enseignement, sont aussi affranchis par les actes» (III 31) (1).

Toute la discipline prescrite par le Bhagavat à Arjuna est résumée en un vers précis et plein : << Ta destination, c'est l'acte, et l'acte seul; elle n'est point dans les fruits de l'acte. N'aie pas pour mobile le fruit de tes actes; ne t'attache pas à l'abstention de l'acte » (II 47).

Jnana. Celui qui agit peut abolir pour lui-même la conséquence de son acte; il ne peut pas faire que cet acte soit sans conséquence. Son habileté consiste à en détourner l'effet sur autrui. A la base de la doctrine du phalatyaga, il y a, implicitement, la notion d'une reversibilité possible du karman.

Pour que son détachement ait lieu dans de bonnes conditions, il importe que l'homme discipliné sache à quoi il renonce et à qui il abandonne le fruit de ses actes. De là deux connaissances nécessaires, celle du « champ » (ksetra), qui concerne la prakrti, et celle du « connaisseur du champ (ksetrajna), le purusa.

Ce que je regarde comme la connaissance, c'est celle du ksetra et du ksetrajña. Apprends de moi en résumé ce qu'est ce champ, son aspect, ses changements, son origine, et quel est le connaisseur du champ, quelle est sa puissance » (XIII 2 b 3). « Apprends de moi », car, évidemment, l'individu n'acquiert pas ce savoir par ses sens, ni par son entendement. Ce jnâna est « une constance de savoir en relation avec l'âtman », une « vue immédiate de l'objet de la connaissance vraie >> (XIII 12). Seule une révélation du Bhagavat peut le communiquer à ses favoris. qui concerne la prakrti, l'enseignement de l'école Sankhya était alors le bien commun de la pensée hindoue, non sans des variations, qui n'en changeaient pas, il est vrai, le caractère fondamental. « Terre, eaux, feu, vent, espace, entendement, pen

(1) Mucyante te'pi karmabhih. Le verbe muc pouvant se construire avec l'instrumental de la chose dont on est délivré, on peut évidemment comprendre (avec L. Barnett): sont affranchis des actes. Mais tout le morceau recommande l'autre interprétation, qui est aussi celle de Deussen et de Garbe.

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sée, principe d'individualisation, telle est mon octuple prakrti (VII 4). Les manifestations de cette prakrti se ramènent à trois modes principaux, les gunas, qui sont les trois manières dont elle peut agir sur l'âme humaine le sattva, si elle l'exalte; le rajas, si, tout en l'affectant, elle la laisse telle qu'elle était; le tamas, si elle la déprime. Tout ce que perçoivent les sens et les perceptions sensibles elles-mêmes sont un jeu des gunas. Comprendre qu'il en est ainsi, c'est s'affranchir de toute contingence, externe ou interne : « Il se détache de l'acte celui qui connaît selon la vérité ce qu'il en est des différences d'actes et de gunas, et qui pense: ce ne sont que des gunas qui se meuvent dans les gunas (III 28; cf. XIV 23). Cet abandon est nécessaire, car le sattva lui-même lie l'âme : << Grâce à sa pureté, le sattva est lumineux et sans souffrance; il lie par l'attachement au bonheur et l'attachement à la connaissance (XIV 6). Seule, la connaissance du Bhagavat délie.

Cette seconde connaissance suffit à tout: « Je te dirai intégralement la connaissance discriminative (1); quand on l'a acquise, il ne reste aucune autre chose à savoir » (VII 2). Mais il faut connaître le Bhagavat dans sa plénitude. L'ogdoade énumérée tout à l'heure est bien sa prakrti, sa nature; mais elle est sa prakrti« « inférieure » (aparâ). (apara). « Il en est une autre, sache-le, qui se manifeste par la vie (2); le monde est entretenu par elle c'est la prakrti supérieure » (VII 5). Celui qui possède ce jnâna voit le Bhagavat en tous les êtres et tous les êtres dans le Bhagavat (VI 30); il sait qu'en cet être se trouve ce qui est en relation avec les créatures, en relation avec les dieux, en relation avec le sacrifice (VII 30). Il est périssable par ce qui, en lui, est en rapport avec les créatures; il est l'esprit, par ce qui concerne les dieux; dans son présent avatar de Krsna il est en fonction du sacrifice (VIII 4).

(1) Vijnâna, une connaissance qui distingue ce qui est de la prakriti de ce qui est du purusa.

(2) Jivabhûta. On comprend en général : « en qualité d'âme individuelle » ; mais les mots yayedam dharyate jagat rendent cette interprétation fort improbable. On l'acceptera plutôt XV 7, où il s'agit d'une parcelle éternelle émanant du Bhagavat.

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Son action est un yoga aiçvara (IX 5. XI 8); un yoga, car cette activité n'est pas seulement intense, elle est sans fruit sonnel; aiçvara, car elle est souveraine. Le Bhagavat est auteur de la vie et de la mort; il est la vie universelle en toutes ses manifestations (IX 18). Il est le signe caractéristique des choses ou, si l'on ose employer un terme aristotélicien, il est leur forme (VII 8. sqq.); il est l'intelligence de l'homme intelligent, la force de l'homme fort, l'énergie de quiconque a de l'énergie (VII 11. 12). Il est auteur de tout bien, source première de tout acte intellectuel (1). Réalisant l'idée de chaque classe d'êtres, il en est par excellence le représentant (X 21 sqq.). Il porte le nom de Vasudeva, en tant qu'incarné dans la personne du héros Vrsni. Il est toute œuvre faite en fonction de l'âme (VII 29). Il est centre et moteur de la forme religieuse de la vie. Pour obtenir l'affranchissement de la vieillesse et de la mort, on s'appuie sur lui, sachant qu'il est Ceci, le brahman, l'univers. Il est le sacrifice et tous les éléments de l'acte sacré (IX 16. 17). Puisque le sacrifice est l'acte originel de la création et l'acte perpétuellement répété qui conserve le monde, il est naturel que brahman soit dit la matrice dans laquelle le Mâle, purusa, c'est-à-dire le Bhagavat, dépose son germe (XIII 21, XIV 3. 4). A la différence des devas, il est par delà les gunas, par delà la contingence (XIV 19. XVIII 40).

Exempt de gunas, il jouit cependant des gunas (XIII 21), mais il en jouit sans en subir aucune atteinte. L'acte qu'on met en lui ne le souille, ni ne le lie IX 9). Il est par delà le bien et le mal que font les hommes (V 15).

Bhakti. On sait que la Bhakti est le signe par excellence des religions sectaires. Elle s'y manifeste par une grande ferveur de dévotion à l'égard du dieu ou du guru et, sinon en doctrine, tout au moins en pratique, tient lieu et dispense de toute autre obligation. C'est un amour qui jette le dévôt aux pieds de l'être adoré, celui-ci, payant de retour cette tendresse brûlante, sauve l'homme, si ignorant et si coupable qu'il soit d'ailleurs. Comme

et

(1) « De moi viennent mémoire, connaissance et réfutation (XV 15). Notons une bizarre < excellence du Bhagavat: ‹ Des manières de tromper, je suis le jeu de dés » (X 36).

on peut s'y attendre, les femmes surtout se montrent ardemment désireuses de s'abimer en ceux qu'elles aiment. Urvasi dit à Arjuna: « Je t'aime; aime-moi (bhaktȧm bhaja)

III 44, 60).

(MBh.

Bien qu'on doive, faute d'un meilleur équivalent, traduire bhakti par amour, nous ne percevons pas dans la Bhagavad-Gità les accents passionnés qui sont devenus si ordinaires dans la littérature vishnouite. On n'y trouve pas trace de la sensualité du Gitagovinda, ni des effusions presque fiévreuses qui remplissent une partie du Bhagavata-Purana. Tout en étant joyeux (1), l'amour de l'homme pour le dieu est essentiellement intellectuel. S'il n'en était pas ainsi, le poème n'aurait pas fait au jñâna une place aussi grande.

La bhakti est intellectuelle, mais elle est aussi ardemment mystique. Serait-elle une forme de l'amour, si elle n'intéressait pas la sensibilité à un haut degré? Elle est une fusion de l'âme individuelle et du dieu, une fusion qui se prépare dans la tête et qui s'opère dans le cœur du dévot.

Il est facile de se rendre compte du processus doctrinal par lequel la pensée hindoue est arrivée à cette remarquable conception des relations du divin et de l'humain.

On admettait communément dans les écoles et dans les sectes que l'organe de la pensée prend la forme de l'objet perçu ou pensé. De cette idée découle la théorie de la bhakti, telle qu'elle est exprimée par la Bhagavad-Gità. Celui qui connaît le Bhagavat sait qu'il est la source de tout ce qui est bon, qu'il veut non pas seulement le bonheur de l'homme, mais aussi son ascension spirituelle (2); bref, qu'il est « l'ami de toutes les créatures >> (V 29). Connaître Dieu, c'est donc apprendre à l'aimer, comme il doit être aimé. Certes, le Bhagavat a beaucoup d'adorateurs : Il est quatre catégories de braves gens qui m'aiment l'affligé, le désireux de savoir, le désireux de prospérité, le connaisseur.

(1) A ceux qui constamment m'aiment avec joie, je donne la forme spirituelle par laquelle ils arrivent jusqu'à moi (X 10).

(2) Une parole du dieu : « Qu'il se hausse lui-même par lui-même et qu'il ne s'abaisse pas ! » (VI 5).

D'entre les quatre se distingue par son amour unique le connaisseur, parce qu'il est constamment discipliné » (VII 16. 17) et, ajoutons-le, parce que, connaissant, il s'est fait semblable au dieu. Comme le Bhagavat rend amour pour amour, le connaisseur est l'objet privilégié de son affection : « En vérité, c'est au plus haut degré que je suis cher au connaisseur et qu'il m'est cher » (VII 17).

La connaissance éveille l'amour; réciproquement, l'amour favorise la connaissance : << Par l'amour, on arrive à savoir combien grand et quel je suis en réalité » (XVIII 55). On peut sans doute connaître le dieu en cherchant à le saisir dans son existence invisible et absolue, mais combien plus aisée est la voie qui mène à lui par l'amour! (XII 3-8). Et combien plus sûre, puisque, par la bhakti, on le contemple dans toute sa majesté (XI 54) !

Pénétrée d'amour, la connaissance est merveilleusement efficace. Quelle que soit la forme de la divinité à laquelle un adorateur adresse sa bhakti et son culte, il est par une dispensation du Bhagavat lui-même, assuré d'obtenir l'objet de ses désirs (VII 21. 22). Mais si cette dévotion concerne des êtres finis, elle ne lui procurera qu'un bonheur sans durée (VII 23). La vraie bhakti est celle qui a pour objet le Bhagavat et qui, le voyant dans tous les êtres, aspire à s'identifier avec lui. Ne faisant plus qu'un avec le brahman, le yogin goûte une félicité infinie (VI 27. 28). I n'a plus d'autre pensée, d'autre but suprême, d'autre assiette que le Bhagavat (VI 14). Qu'au moment de la mort il dirige son esprit vers le dieu, il s'assure sa fusion avec lui (VIII 6, 10), et c'est pour être certain de se trouver dans cet heureux état d'âme qu'il doit en tout instant penser au dieu (VIII 7).

L'amour qu'il a pour le Bhagavat le libère du péché et fait de lui un saint: « Fût-il un grand coupable, s'il m'aime exclusivement, il doit être considéré comme un homme de bien; car parfaitement juste est son propos (IX 30). Mais on n'est vraiment un bhakta qu'à condition d'avoir accumulé un trésor d'excellences (XII 13-20). « N'aime pas en vérité le dieu celui qui ne lui obéit pas, ou qui ne sait pas s'approprier à son service.

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