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ses voyages, et jusqu'à Rome. Aux côtés de Paul il tient presque le même rôle que tient auprès de Jésus, dans le quatrième évangile, le disciple bien-aimé. Dans les deux cas l'anonymat semble répondre à un secret dessein de l'auteur.

La forme nous ne distingue pas, de façon absolue, le premier auteur, car le second l'emprunte quelquefois, pour enchaîner (par exemple xvi, 16; xx1, 12). D'autre part la troisième personne a pu être substituée par endroits à la première par le second auteur ou par les copistes (par exemple xvi, 8 xacéб7,52, où Irénée lit nos uenimus).

Bref le premier auteur se profile comme un homme de mer, qui a bourlingué en Méditerranée, qui est brouillé avec les Juifs et qui s'est attaché à faire revivre dans son milieu réel Paul, dont il embrasse passionnément la doctrine et dont il insinue, sans l'affirmer, qu'il est le principal disciple.

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Le second auteur donne la réplique au premier. Il est en contraste avec lui par la personnalité, les sentiments, les dogmes, le dessein.

Il apparaît comme un homme de bibliothèque et d'air confiné, plus façonné par le papyrus que par la vie, savant et crédule à la fois, copieur de Bible, dénicheur et rapiéceur de livres. Il a la haine et la crainte de la magie et des grimoires magiques. Mais il a le talent d'inventer les plus gros prodiges et de les croire.

C'est un scribe chrétien. Aucun rabbin juif ne lui en remontrerait, Il sait la Septante sur le bout du calame. Dès qu'il écrit, les citations, allusions, réminiscences bibliques coulent de source. Les histoires de la Bible grecque, le deuxième livre des Maccabées en particulier, lui fournissent des modèles de narration grave sans sécheresse, édifiante sans fadeur.

Il a butiné aussi le reste de la littérature juive. Il a lu la vie de Moïse, telle que Philon et Josèphe l'ont romancée. De l'emprisonnement de Joseph dans les Testaments des douze patriarches il

a fait l'emprisonnement de Paul et de Silas à Philippes. Il fait crever Judas par le milieu, à la façon de Nadad, dans l'histoire d'Ahikar (1).

L'Archéologie juive de Flavius Josèphe est son arsenal. Il y va querir des détails topiques sur Jérusalem et des précisions historiques parfois malheureuses. Il y prend, de mémoire, Theudas et Juda le Galiléen, dont il embrouille les dates (V, 36-37). Il y prend aussi la famine survenue sous Claude, la mort d'Hérode Agrippa qu'il agrémente avec la mort d'Antiochos, Ananias, le convertisseur d'Izate dont il fait celui de Paul, le magicien chypriote Atomos ("Eтo:pz; xш, 8, D) et cet Egyptien que le tribun de Jérusalem cite à Paul hors de propos.

Sa culture n'est pas toute juive. Il a pratiqué les poètes grecs. Il fait réciter par Paul à Athènes un vers du poème d'Epimenide, Minos, où il est question du prétendu tombeau de Zeus en Crête :

Ils t'ont fait un tombeau, ô toi le Saint et le Haut,

les Crétois toujours menteurs, méchantes bêtes, ventres voraces. Mais tu n'es pas mort; tu vis, tu es debout à jamais,

car en toi nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes ! (2)

I lui fait ajouter un demi-vers d'Aratos:

<< En tout nous

avons tous besoin de Zeus, car de sa race aussi nous sommes ». Tout le discours qu'il lui fait prononcer, à l'imitation peut-être d'Apollonios de Tyane, est un modèle irréprochable de rhétorique stoïcienne.

Ailleurs il lui fait dire: Tarse, ville non sans renom, comme Euripide dit Delphes, ville non sans renom. Aux Bacchantes d'Euripide il paraît emprunter le miracle de gens emprisonnés,

(1) W. K. L. Clarke dans The Beginnings of Christianity ed. by FoakesJackson and K. Lake, II, Londres 1922, p. 77-78.

(2) Ces vers n'ont été conservés qu'en traduction syriaque (Rendel Harris, St. Paul and greek litterature, Woodbrooke Essays no 7 Cambridge 1927, p. 7). Le second vers les Crétois toujours menteurs, méchantes bêtes, ventres voraces est cité dans l'Epître à Tite, 12, ce qui est une présomption d'identité entre l'auteur des Pastorales et le second auteur des Actes.

dont les chaînes se brisent (Pierre, XII, 7; Paul, XVI, 26; Bacch. 443).

Il est loin d'être seulement un arétalogue, naïf compilateur d'histoires merveilleuses. Avant tout il est homme d'église, prudent, pieux, profond, doué d'un génie politique juste, qui voit clair et loin. Sa librairie est au service du gouvernement des âmes. Ayant assumé la tâche de remanier à fond l'histoire de Paul, il a pris résolument de grands partis.

C'était l'histoire de la façon dont les chrétiens avaient rompu avec les Juifs. Entendu. Il fallait la compléter en montrant que les chrétiens avaient emporté tout l'héritage des Juifs.

Notre rabbin chrétien veut bien tourner le dos aux Juifs mais après les avoir entièrement dépouillés. Il défend l'ingénieux système d'après lequel le même Esprit saint qui a agité autrefois les prophètes hébreux a été transmis à Jésus puis aux Apôtres puis aux successeurs de ceux-ci. La parole de Dieu reprend. La continuité est établie entre l'ancienne et la nouvelle loi. Les chrétiens sont le véritable Israël. Et les Juifs sont laissés à la porte de leur propre religion.

Cet utile système permet aux chrétiens de s'emparer de toutes les écritures juives, à seule charge de les interpréter de façon nouvelle. Il leur permet encore de revendiquer, devant l'autorité romaine, les privilèges légaux des Juifs. Il leur procure, dans les conflits avec la police impériale, un spécieux moyen de défense.

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Aussi le néo-juif est-il préoccupé de montrer que Jésus a été prédit par les prophètes juifs, que Jésus, les Apôtres, Paul ont été de bons juifs, les meilleurs des Juifs. Ananias, qui a converti Paul était un homme « pieux selon la loi, εὐλαβὴς κατὰ νόμον XXII, 12. Scandalisé de ce que le premier auteur passait sous silence << la loi et les prophètes », le second s'y réfère le plus souvent qu'il peut. Il amène vingt-huit citations formelles de la Bible et des allusions sans nombre. Alors que le premier auteur ne parlait des Juifs qu'en mauvaise part, il emploie le mot Israël avec componction, comme un vrai juif.

A l'égard de Paul et des épitres de Paul, il sent qu'il y a un danger à conjurer.

Dans le livre dont il fait la revision la prépondérance donnée à Paul est en opposition avec le système de la tradition apostolique. Il importe donc de contrebalancer le personnage de Paul par un autre. C'est ce qui est réalisé dans la première partie du livre refait. Pierre prend autant d'importance fictive que Paul a eu d'importance réelle. Le livre de l'Apôtre devient le livre des Apôtres.

Qu'on sache bien que Paul a été dûment présenté aux Apôtres, qu'il a conféré à son tour l'Esprit sain, après l'avoir légitimement reçu. Il n'a jamais eu avec les Apôtres la moindre difficulté. Il a mis tout son zèle à faire appliquer leurs décrets. Il ne s'est écarté en rien de leur enseignement. S'il dit le contraire, qu'on ne l'écoute pas! Paul était de l'avis de Pierre, Pierre de l'avis de Paul. Par une opération de conciliation assez rude l'ordre est rétabli aux origines de la foi. Tout est remis au droit alignement.

Quant aux épitres, notre auteur y pique un détail à l'occasion (1) mais il reste étranger à leur doctrine propre. Loin de leur apporter sa caution, il leur administre un correctif. Il dément formellement l'épître aux Galates et le récit que Paul fait sous serment de sa conversion. C'est parce qu'il ne trouve pas Paul assez chaud pour la résurrection matérielle des morts, qu'il lui fait prêcher à tout propos ce dogme fondamental de l'orthodoxie.

Il n'admire Paul qu'avec restriction. Il se défie de sa théologie trop hardie, de sa gnose trop subtile. Il préfère une doctrine plus massive et plus commune « Tu délires, Paul; trop de savoir te tourne la tête. Ce sont les mots qu'il fait adresser à Paul par Festus et qu'il lui adresse en sourdine pour son propre compte.

(1) Par exemple l'évasion de Paul à Damas dans un panier (Ix, 24-25. Cf. II Cor x1, 32). Voir aussi plus haut p. 36.

En résumé, des deux auteurs, l'un tire à hue, l'autre tire à dia. Leur œuvre composite serait un monstre si les intimes contradictions qui sont l'achoppement logique des livres philosophiques n'augmentaient pas au contraire la valeur efficace des livres religieux.

XII. CONJECTURES.

Familiarisés avec les traits personnels des deux auteurs, pouvons-nous tenter une identification? Je donnerai une simple indication, sans appuyer.

Nous connaissons un capitaine de navire (vaus, nauclerus), génie religieux de premier rang, qui a voulu couper le christianisme du judaïsme, qui s'est fait le grand disciple de Paul et le premier éditeur des épitres de Paul. C'est Marcion. Ne répond-il pas au signalement du premier auteur?

L'histoire de Paul prendrait une place naturelle entre l'Evangile de Marcion dont elle est la suite et l'Apostolicon, recueil des épîtres pauliniennes, auquel elle servirait de notice préliminaire presque indispensable.

Nous connaissons d'autre part un fonctionnaire de la communauté de Rome, féru de Bible, homme pratique, secrétaire habile, qui, vers 140, avait pour charge ordinaire d'écrire aux autres communautés (1). C'est Clément, l'auteur à qui est attribué la lettre anonyme de la communauté romaine aux Corinthiens (2). L'épitre de Clément et la seconde rédaction du livre des Actes ont une saisissante identité de doctrine. Elles ont aussi de secrètes harmonies. Elles ont la même légende équilibrée de Pierre et de Paul : « Le livre des Actes présente les deux Apôtres dans le plan où les conçoit la tradition romaine... La même tradition se trouve en raccourci mais tout aussi nette pour qui

(1) Hermas. Vis. II, 4, 3.

(2) Sur la date de l'épître de Clément voir plus bas H. Delafosse. L'épître de Clément Romain aux Corinthiens.

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