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constitué par les patriarches. Mais les patriarches ne sont point utilisés pour cet objet seul dans le pays conquis; de manière plus générale, ils fournissent la justification de la présence d'Israel en Palestine, le titre juridique de la possession de la Palestine par les Israélites.

Ces personnages, Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, sont avant toute chose, dans l'exposé israélite, des figures généalogiques, échelonnées sur le grand arbre des parentés sémitiques telles qu'en Israel on pensait les connaître. Aux degrés inférieurs, Jacob est Israel même, et père des éponymes des tribus, avec intervention de cette complication que deux des tribus, Ephraïm et Manassé, ne sont point filles de Jacob, directement. mais filles de Joseph, lui-même fils de Jacob, et que subséquemment seulement Jacob adopte ces petitsfils Ephraïm et Manassé et les met à égalité avec ses enfants propres. Cette espèce de régularisation, que J et E racontaient de la même manière, semble être une manière de fusionner deux traditions généalogiques primitivement différentes', l'une donnant Jacob pour père immédiat à la totalité des tribus, l'autre dans laquelle un groupe spécial de la nation, comprenant Ephraïm et Manassé, provenait d'un certain Joseph, dont il n'est point assuré qu'il était fils de Jacob dans la forme tout à fait première. On conçoit fort bien, au contraire, Jacob et Joseph au même étage généalogique, Joseph père des deux tribus que nous avons dites, Jacob père de toutes les autres, et l'hypothèse de cette équivalence fonctionnelle est bien intéressante lorsqu'on se rappelle le Jacob et le Joseph préisraélites, existant en Palestine vers l'an 1500, dont il a été question plusieurs fois plus haut. Nous aurons d'ailleurs à y revenir.

Jacob-Israel a pour frère jumeau, bien significativement, Esaü-Edom; leur père est Isaac, fils aîné d'Abraham, lequel engendre, par ailleurs, Ismael, la grande collectivité bédouine du sud-ouest, et subsidiairement les nomades du sud et du sud-est, ceux du groupe katouride. Notons encore, par

1. Cf. Meyer, Israelilen, p. 289.

parenthèse, qu'un autre groupe de tribus du désert, plus proches cousines d'Israel, est rattaché à Edom1.

Abraham, Isaac et Jacob situés de cette manière, sont envoyés, par la légende israélite, en Canaan, où ils voyagent et séjournent, prenant possession du pays et fondant les sanctuaires. Laissant de côté, pour un aperçu d'ensemble, la différenciation des sources et les faits de substitution de personnages à divers stades de la rédaction, on trouve qu'à Hebron, ou à Beer-sheba, ou à Bethel, ou à Sichem, voire à Gerar en Philistie, tous élèvent des autels ou plantent des arbres, «< invoquant le nom » de la divinité, et sont favorisés de l'apparition du dieu lui-même, qui en termes insistants leur promet le pays entier en propriété pour leur descendance2. Sous la tendance parfaitement nette et uniforme de ces récits on distingue, toutefois, deux manières d'imaginer et de raconter les choses, deux formes traditionnelles très dissemblables et qui constituèrent, peut-être, deux « cycles » indépendants avant d'être fondues en un corps légendaire unique. L'une d'elles est celle d'une légende d'immigration pastorale paisible, dans laquelle la population primitive du pays reste dans l'ombre, paraissant seulement pour reconnaître aux nouveaux venus, amicalement, des droits, ou leur consentir des acquisitions: très agréable et tranquillisante, cette version est de beaucoup la mieux conservée. L'autre forme est la légende d'une conquête à main armée, directement inspirée et transposée de la réalité historique; elle ne subsiste que dans l'épisode violent de Sichem3 et dans une brève allusion restée enchâssée en une autre place1.

1. Edom, dont les épouses sont cananéennes, donne naissance à douze éponymes de tribus, et en plus, par l'intermédiaire de son aîné Eliphaz, à un bâtard édomitehorite qui est cet Amalek particulièrement haï d'Israël. Un clan d'Amalek était, primitivement, Kaïn, dont Israeël se fit un allié au temps des guerres de Saül, et chez qui certaines formes légendaires allèrent chercher un personnage important de la légende de Moïse (voir Weill, loc. cit. dans Rev. des Ét. Juives, LVII, 1909, p. 200-205).

2. Gen., XII à XXXV; le détail sera étudié plus loin.

3. Gen. XXXIV.

4. Gen. XLVIII, 22.

Observons encore, touchant l'ordonnance générale du récit, qu'étant donné que les ancêtres, qui représentent le peuple, avaient séjourné en Palestine, et que par la suite s'accomplit la conquête historique réelle, il fallait bien que, dans l'intervalle, on eût à enregistrer une sortie de la Palestine et un séjour du peuple au dehors : à l'élaboration de quoi furent employées — de quelque manière qu'on explique leur formation primitive-les légendes du séjour en Egypte et de l'Exode, et, ajoute Ed. Meyer, l'histoire de Joseph, composée de toutes pièces pour servir à la combinaison1. Ceci n'inté resse que très indirectement notre sujet.

Arrivons à la composition du personnage des patriarches. Ces ancêtres, dans E comme dans J, sont des figures généalogiques, on l'a dit tout à l'heure, mais on est immédiatement arrêté par le fait que ce ne sont pas des éponymes de grandes collectivités, de nations ou de tribus, que leurs noms ne sont pas ceux des peuples qu'ils représentent. Au bas de l'échelle, Joseph n'est pas un nom de tribu, et il ne représente même pas une tribu, nous y avons donné attention, mais un groupe de tribus. Abraham et Isaac n'ont rien de commun, par le nom, avec les ensembles ethniques plus ou moins vastes qu'ils embrassent. Jacob équivaut à Israel, en son entier, de même qu'Esaü est Edom, et Laban, les Araméens ces équations sont forcément artificielles, et l'opération arbitraire qu'elles supposent a laissé sa trace dans l'histoire de Jacob, à qui le nom d'Israel est imposé, en remplacement du sien, par un décret spécial de la divinité, et dans l'histoire d'Esau, où l'appellation Edom est expliquée par un jeu de mots3. Mais avant le stade de ces identifications? Il faut bien que Jacob et Esaü, qu'’Isaac, qu’Abraham et Laban aient désigné autre chose que les entités ethniques auxquelles ils furent par la suite affectés. Et certes, comme l'observe excellemment

1. Meyer, Israeliten, p. 228-229.

2. Gen. XXXII, 28, XXXV, 10.

3. Gen. XXV, 29-30. Noter, à ce propos, la glose explicative : « Esau, c'est Edom », qui s'inscrit avec insistance en fin des tableaux ethnographiques d'Edom (Gen. XXXVI, 8, 19, 43).

Ed. Meyer', il y a des cas où les patriarches représentent le peuple, mais on en relève d'autres, et précisément dans les portions les plus authentiquement primitives de la légende -- le combat de Jacob avec le dieu, toute l'histoire d'Abraham, toute l'histoire de Jacob dans lesquels nul sens d'histoire de clan n'est possible à reconnaître. Il faut bien, répétons-le, que les figures intéressées soient primitivement autre chose que des représentations ethniques et généalogiques.

Quoi qu'elles aient été au juste, dans le principe, il est presque visible immédiatement que ces figures sont palestiniennes indigènes, cananéennes, et ont été empruntées par la légende israélite après la conquête; cette situation peut être considérée comme certaine depuis la révélation, en 1886, de Jacob-el et Joseph-el noms de peuples en Palestine vers l'an 1500. La difficulté commence seulement lorsqu'on aborde le problème de définir les lignes et les fonctions des personnages préisraélites. Cette difficulté provient de ce que Jacob, Joseph et autres étaient déjà arrivés au terme d'une longue et complexe évolution lorsque les combinateurs israélites s'emparèrent d'eux, et qu'en la figure de chacun se superposaient des figures de plusieurs stades, successivement déduites, peu compatibles entre elles et toutes plus ou moins complètement conservées. Indiquons immédiatement que Jacob, par exemple, avait été très anciennement, et sans doute simultanément, nom de tribu, nom d'un dieu, et nom de ce même dieu considéré comme l'ancêtre de la tribu, tout cela sans qu'on puisse voir certainement, entre ces représentations, quelles sont celles qui ont précédé les autres; que la signification divine du nom, en stade ultérieur, s'était oblitérée, l'ancien nom divin restreint à la désignation du peuple, et, dans une autre direction, le dieu réduit à la condition d'un héros légendaire, dont une fonction importante consistait à avoir «< découvert » un lieu sacré et fondé un culte ; qu'en fin de compte, le nom héroïque était arrivé à pouvoir appartenir à des hommes véritables. Tout cela subsistait, inextricable

1. Israeliten, p. 250.

ment mêlé, lorsqu'arrivèrent les Israélites, dont les emprunts, qui visaient surtout les légendes de fondations et de fondateurs de sanctuaires, englobèrent en même temps des éléments très divers de toute la tradition locale; et après qu'une version israélite des légendes eût été constituée, elle fut remaniée et amendée, en nombre de places, aux stades successifs de rédaction des livres. On comprend que pour retrouver l'histoire du Jacob et de l'Isaac qui nous sont transmis de la sorte, il fallut du temps et de la peine, et que le travail d'analyse ne soit pas complètement achevé, peut-être, à l'heure actuelle.

IV

ELABORATION DES FIGURES CANANÉENNES: LA TRIBU, L'ÉPONYME DIVIN ET HUMAIN, LE VIEUX DIEU Réduit A LA CONDITION HÉROÏQUE.

Ed. Meyer a résumé, en 1906, l'histoire de ses variations anciennes en la matière1, parallèlement au développement de divers travaux. Ayant cru d'abord, après Nöldeke et nombre d'autres, que Jacob, Isaac, etc., étaient d'anciens héros, dérivés de figures primitives de dieux, il fut conduit, par la considération du Jacob-el et du Joseph-el précités de la liste de Thoutmès III, noms de lieux ou de tribus, à admettre que les formes Jacob, Joseph, et aussi Isaac, provenaient de l'abréviation des formes complètes en -el, et ainsi représentaient également des noms de tribus ou de lieux; ce qui se rencontrait, à peu près, avec l'idée déjà proposée par Stade, que Jacob et Isaac étaient d'anciennes tribus éteintes. Meyer n'avait plus considéré comme figure divine, dès lors, que celle d'Abraham. Mais cette vue restreinte fut obstinément combattue par Bern. Luther, dont les travaux finirent par convaincre Meyer de la nature divine de Jacob et d'Isaac de la forme primitive. Ainsi revenu à la théorie antérieure à 1886, il devait s'y tenir désormais2.

1. Meyer. Israeliten, p. 249-250.

2. Voir Ed. Meyer, Gesch. des Altertums, I, 11, 3o éd. (1913), § 308.

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