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les deux religions à se tolérer, et qui conçoit l'État comme placé au-dessus des deux et chargé de les protéger, que cet esprit, dis-je, procède directement du syncrétisme dont les demi-chrétiens réalisent un des aspects. Constantin n'est-il pas lui-même un demi-chrétien qui a fini par se convertir tout-à-fait, comme son père avait été un demi-chrétien indécis jusqu'au bout, comme Licinius fut un demi-chrétien que le paganisme reprit?

Au courant du ive siècle et au ve, les mêmes hommes sont peut-être pour beaucoup dans la mollesse avec laquelle les lois anti-païennes semblent avoir été appliquées bien souvent, notamment en ce qui regarde la destruction des temples1.

En ce temps-là, l'Église a certainement l'impression que les demi-chrétiens la gênent, et S. Augustin le leur dit rudement: Paganos reliquos colligi volumus, lapides estis in via; venire volentes offendunt et redeunt. Dicunt enim in cordibus suis; quare nos relinquamus deos, quos christiani ipsi nobiscum colunt? Du point de vue ecclésiastique et orthodoxe, Augustin a raison ces gens-là sont dans une position équivoque, mais n'ont-ils pas, cependant, rendu service au christianisme, en préparant, en réalisant les transitions, les adaptations et assimilations qui ont, finalement, amené à l'Église tout le monde antique, ou, si l'on préfère, qui ont installé victorieusement l'Église au cœur du monde antique3.

4. Nous touchons ici à la plus importante question que soulève l'existence des demi-chrétiens dans quelle mesure sont-ils responsables de ce que Ramsay nomme « la paganisation du christianisme,», qui commence, selon lui, avec la persécution de Dioclétien? En d'autres termes, dans quelle mesure ont-ils contribué à assurer, dans le christianisme, la survivance de tant de manières d'être, de penser, d'agir et

1. C'est l'impression de Dill, Roman Society, p. 38.

2. Sermo 62, 6.

3. Le problème des assimilations liturgiques et celui de l'origine du culte des saints sont des cas particuliers de celui que je viens d'indiquer. Ils sont jusqu'ici bien mieux étudiés que tout le reste; c'est pourquoi je n'en dis rien.

4. Ramsay, Studies, p. 284 et s.

surtout de croire, qui n'étaient pas vraiment chrétiennes, qui venaient du monde païen, qui excitaient l'inquiétude et la réprobation des chrétiens éclairés et l'indignation d'un Salvien1? J'ai l'impression que cette mesure a été très large; et c'est le point sur lequel je souhaiterais le plus vivement une enquête approfondie.

Je m'arrête. Cette note discursive n'a voulu que poser un problème, en montrer l'intérêt et l'importance. La documentation qu'il faudrait rassembler est très dispersée et tant qu'elle ne sera pas groupée, classée, critiquée de très près, aucune réponse d'ensemble, vraiment satisfaisante, ne pourra être donnée aux nombreuses questions que je viens d'effleurer. Je souhaiterais vivement qu'un chercheur patient et sagace s'intéressât à ces demi-chrétiens.

Ch. GUIGNEBERT.

1. De Gub, Dei, 3, 44.

REVUE DES LIVRES

ANALYSES ET COMPTES RENDUS

LEVY-BRUHL, membre de l'Institut.

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La mentalité primitive. Paris, Alcan, 1922. In-8° de 1-537 p. (Bibl. de philosophie contemporaine).

Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures (Ibid.), parues voilà douze ans, trouvent dans le présent travail du même auteur une confirmation et un complément. La corroboration mutuelle de ces deux ouvrages n'est pas seulement la consécration d'une grande œuvre elle implique l'avènement à la positivité d'un ordre de recherches relativement récent, dont l'exploration pourra s'étendre à l'infini, mais dont la méthode, jusqu'ici incertaine, s'affirme . désormais précise et sûre,

Dans son ouvrage antérieur M. Lévy-Bruhl s'était proposé « la détermination des lois les plus générales des représentations collectives (y compris leurs éléments affectifs et moteurs) dans les sociétés les plus basses qui nous soient connues ». Il avait constaté que les «< sauvages », peu sensibles à la contradiction, pensent beaucoup moins selon le principe d'identité que suivant une loi toute mystique de participation, caractéristique d'un stade « prélogique »> de la mentalité humaine. De nouvelles illustrations de cette thèse générale nous sont aujourd'hui fournies en abondance; mais la curiosité de l'investigateur se porte avec prédilection sur la notion que se font de la causalité les peuples inférieurs, notion non moins mystique, Aux yeux de ceux que l'on a supposés naguère plus

près de la nature, rien n'arrive par des causes naturelles : tout évènement résulte du caprice d'une force occulte, sur laquelle le magicien a d'autant mieux prise, qu'elle ne s'agrège pas à l'ordre objectif d'un déterminisme universel. Aucune mort, aucune naissance n'est naturelle : une maladie, comme une blessure, procède d'un maléfice; l'apparente procréation suppose la réincarnation d'un ancêtre. Un accident qui nous paraîtrait fortuit est tenu pour la preuve qu'un tabou a été violé. L'efficace des puissances mystérieuses fait tout le prix des rêves, plus véridiques que la veille, tout l'intérêt des présages, véritables causes et non simples symtômes. La conception d'un ordre fixe fait à ce point défaut, que le fait de mauvais augure s'interprète moins comme un indice défavorable que comme un « porte malheur » suceptible d'être esquivé, voire converti en principe propice: on va jusqu'à provoquer des rêves, jusqu'à mettre en œuvre des pratiques divinatoires non seulement pour s'informer sur les intentions de l'ambiance suspecte, mais pour susciter des événements conformes aux désirs humains. En ce monde où rien ne semble accidentel, tout paraît arbitraire ; le visible se révèle pénétré d'invisible, de sorte qu'on n'imagine point que l'événement se produise toujours par l'action des mêmes circonstances concrètes. Seule la question du pourquoi, non celle du comment, se pose au sujet de la production des choses; car on ne s'intéresse qu'aux causes premières, non aux causes secondes, et l'on ne soupçonne point la régularité des conditions causales. On ne conçoit pas davantage le temps et l'espace comme des cadres universels et nécessaires, puisque l'essentiel de la réalité les influences occultes transcende l'un et l'autre. Et si le milieu dans lequel vit le sauvage diffère à ce point de ce monde aux lois fixes, s'exerçant dans les cadres géométriques et mathématiques, qui est pour nous autres l'objectivité, c'est parce que les peuples inférieurs, insoucieux de raisonner, négligent d'induire, bornent leur réflexion à l'intuition immédiate, obsédée par la hantise des puissances mystiques. Après avoir découvert dans leur caractère non logique le propre des fonctions mentales dans les sociétés inférieures, M. Lévy-Bruhl reconnaît dans les singularités de l'«expérience« de ces peuples, l'effet de leur indifférence à la logique.

Nous regrettons de ne pouvoir ici montrer en quelque détail

comment ainsi s'étayent l'un l'autre les deux livres qui forment désormais la base de notre connaissance des primitifs. Des sujets presque entièrement neufs, tels que l'étude des rêves provoqués, des prestiges divinatoires, des ordalies se trouvent à la fois défrichés et intégrés à une interprétation générale qui ressort de la confrontation des faits, avec un recours minimum à l'hypothèse. L'auteur peut maintenant se dispenser de rompre des lances contre les postulats simplistes de Tylor ou contre l'animisme de Frazer; il a mieux à faire en laissant parler les documents. Il conserve certes la conviction que la pensée primitive présente un caractère collectif, mais il s'abstient de toute prénotion qui attesterait l'adhésion à un dogme de l'école sociologique. Une sorte de contreépreuve des résultats obtenus se trouve fournie par l'examen de la façon dont les sauvages réagissent en face des blancs : ces derniers leur font l'effet de sorciers; leurs armes à feu passent pour tuer non par l'envoi d'un projectile, mais par la seule détonation; leurs livres sont pris pour instruments de divination; leurs soins médicaux, tenus pour une épreuve indiscrète de la patience du malade, épreuve qui mérite plutôt un dédommagement que de la reconnaissance. L'incompréhension de la mentalité primitive éclate plus encore, si possible, chez le médecin, imbu d'idées positives, que chez le missionnaire, dont l'apostolat offense les croyances des indigènes, mais qui participe du moins, lui aussi, à un certain mysticisme. Les administrateurs coloniaux, en se pénétrant de l'enseignement que leur donne M. Lévy-Bruhl, éviteraient bien des mécomptes et deviendraient moins incapables d'adapter la justice des blancs à celle des autres races. La science même y trouverait profit, car l'information que certains d'entre eux nous fournissent -si précieusement sur des mœurs ou des idées en voie de disparition ou d'altération, pourrait se recueillir plus impartiale, moins entachée de préjugés européens, s'ils puisaient dans ces deux ouvrages une plus claire intelligence des peuples inférieurs.

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La Mentalité primitive, complétant les Fonctions mentales, marquera une phase décisive dans l'histoire de l'humanisme. Un pas important semble réalisé dans l'aptitude croissante de l'homme à se connaître lui-même. L'auteur sait se soustraire à la tentation, si spécieuse pour tant d'autres, d'expliquer prématurément les

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