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LE ROLE DE LA TRADITION ORALE

DANS LA

FORMATION DES RÉCITS DE L'ANCIEN TESTAMENT.

Ce n'est pas d'hier qu'on affirme le grand rôle joué par la tradition orale dans la transmission des récits consignés dans l'Ancien Testament. Tout un groupe de théologiens au XVIIe et au XVIIIe siècles estimait que Moïse avait appris par cette voie ce qu'il a su des origines du monde, et ils s'attachaient à prouver que ces traditions s'étaient perpétuées jusqu'à lui avec une fixité parfaite. Tel Pascal1 ou Bossuet. << La vie de trois ou quatre hommes, écrivait celui-ci, remontait (de Moïse) jusqu'à Noé, qui avait vu les enfants d'Adam et touchait, pour ainsi dire, à l'origine des choses. Ainsi les traditions anciennes du genre humain et celles de la famille d'Abraham, n'étaient pas malaisées à recueillir; la mémoire en était vive, et il ne faut pas s'étonner si Moïse, dans la Genèse, parle de choses arrivées dans les premiers siècles comme de choses constantes 2. »

Et plus d'un apologiste, persistant dans la même voie, a célébré l'étonnante fidélité de la mémoire chez les Orientaux et, en général, dans les milieux où l'on recourt systématiquement à l'enseignement oral.

Comme moyen d'apologie, la thèse était bien fragile il suffit de rappeler la pauvreté, la puérilité et la surprenante confusion des souvenirs que les rabbins de la Michna et du Talmud avaient conservés des tragiques événements que

1. Pensées, no 870, dans l'édition Michaut (Fribourg, 1896).

2. Discours sur l'Histoire universelle, 2o partie, chap. III (p. 207-208 dans l'édition Firmin Didot, 1855).

leur nation venait de traverser, faisant, par exemple, de Trajan un fonctionnaire romain exécuté sur l'ordre de l'empereur1; ou bien qu'on se souvienne du cas de ce bédouin de la tribu des Fouqarà qui, interrogé par les P.P. Jaussen et Savignac, leur donnait sa généalogie, c'està-dire ce qui, semble-t-il, devrait se fixer le plus solidement dans les souvenirs d'un primitif : cette liste remontait jusqu'à Adam en 18 générations. La mémoire humaine est chose bien faillible, en Orient comme ailleurs. Mais cela n'empêcherait pas, bien entendu, qu'elle ait eu son rôle dans la transmission des traditions chez les Hébreux comme chez les autres peuples.

D'autres admettaient que les écrivains bibliques, à commencer par l'auteur de la Genèse, avaient eu à leur disposition des documents écrits. Et depuis Astruc (1753) ou plus exactement depuis qu'Eichhorn eut popularisé les idées du médecin français (1775, 1779), c'est l'étude de ces sources écrites qui a passé au premier plan. On sait comment des générations de critiques ont, au prix de bien des tâtonnements sans doute, mais avec une sagacité pénétrante, reconstitué, souvent avec un haut degré de certitude, les sources de la Genèse d'abord, puis du Pentateuque tout entier, ensuite de l'ensemble des livres historiques.

Actuellement encore, bon nombre d'exégètes s'en tiennent à l'analyse et au classement de ces sources écrites utilisées dans les livres bibliques actuels. Ils affirment bien, en général, qu'il a dû y avoir, avant la rédaction de ces antiques documents, une période de transmission orale. Mais beaucoup d'entre eux ne s'en occupent pas autrement, estimant apparemment que l'on n'en peut rien dire que de vague et d'incertain. Il est significatif, par exemple, que M. Budde, dans sa remarquable Geschichte der althebraeischen Litteratur (1906), n'ait pas de chapitre consacré à la formation et à la transmission orale des traditions hébraïques, du moins de celles

1. Commentaire sur la Meguillat Taanit, § 29.

2. Mission archéologique en Arabie, suppl. au Volume II, Coutumes des Fuqarâ. Paris, Geuthner, 1914, p. 4.

qui n'avaient pas été formulées en vers. Aussitôt après les chapitres concernant l'ancienne poésie, vient celui qui traite de la littérature historique.

Cependant l'importance de ce facteur de la tradition orale et la nécessité de l'étudier de près s'imposent de plus en plus à l'attention du monde savant.

Pour ne citer qu'un fait, des études de détail, dont quelques-unes déjà relativement anciennes, ont mis en lumière l'étroite parenté de certains récits bibliques avec des contes populaires appartenant au folklore oriental, vcire au folklore universel; ainsi l'épisode de Samson et de Dalila présente des affinités, remarquées déjà par Voltaire et amplement confirmées par Wilcken et par Sir James Frazer, avec la légende de Ptérélaos, celle de Nisos et bien d'autres. L'histoire d'Esther est apparentée d'une part au conte qui sert de cadre aux Mille et une nuits, celui dont Schéhérazade est l'héroïne, de l'autre aux mythes babyloniens d'Ichtar et de Mardouk. Le thème très répandu racontant la visite d'un dieu dissimulé sous une forme humaine, thème dont la variante la plus connue est l'aventure classique de Philémon et de Baucis, se retrouve dans toute une série de récits bibliques insérés dans les histoires d'Abraham, de Gédéon, de Manoaḥ, sans parler de la parabole évangélique du jugement dernier (Matth. 25, 31-46). L'inauguration d'un sanctuaire par un feu divin était également un motif courant dans les traditions hiérologiques de la Palestine comme dans celles de la Grèce : ainsi, disait-on, avait commencé le culte sur le rocher-autel d'Ophra (Jug. 6, 21), à l'autel du Carmel (1 Rois 18, 38), à ceux du tabernacle (Lév. 9, 24), de l'aire d'Aravna à Jérusalem (1 Chron. 21, 26), du Temple (2 Chron. 7, 1). On pourrait faire des remarques analogues pour les thèmes du sacrifice humain, de la descente d'un héros isolé dans le camp ennemi, des dieux volés, etc...

Des recherches d'ensemble ont été instituées et se poursuivent dans la voie ainsi ouverte. De là toute une floraison de travaux dont quelques-uns de premier ordre. Il suffit de rappeler ceux de Sir James Frazer (The Folk-Lore in the Old

Testament), de MM. Gunkel, Gressmann, et de leurs collaborateurs, MM. Hans Schmidt, Staerk, Max Haller, celui de M. Jirku1 ou les ouvrages en français de M. Nourry et de M. Harari3.

Dans cette production, il y a de l'excellent et du moins bon. Comme il arrive d'ordinaire quand des points de vue nouveaux font leur apparition à l'horizon scientifique, certains enthousiastes croient tenir l'explication universelle ou à peu près universelle, capable de résoudre tous les problèmes. Ils découvrent partout des thèmes et des séquences. Des Allemands notamment ont érigé la méthode qu'ils appellent traditionsgeschichtlich en rivale et en ennemie de la Literarkritik, de la critique philologique et historique. Quelques esprits, M. Harari par exemple, semblent avoir vu dans le procédé nouveau un moyen de restaurer les conceptions traditionnelles. D'autres ont versé dans des fantaisies qu'il est bien permis de qualifier d'hypercritiques.

On a le sentiment que des impulsions fécondes ont été données, mais qu'il y a eu aussi des tentatives un peu désordonnées, des outrances dont il faudra revenir, comme or a dû en rabattre des hautaines prétentions qu'affichait, il y a quelque vingt ans, le panbabylonisme, cet impérialisme rétrospectif inspiré à certains assyriologues d'Outre-Rhin - et à quelques autres par les découvertes de l'archéologie combinées avec l'histoire comparée des religions.

L'intention très modeste de la présente communication est, d'une part, d'affirmer- en dépit des défiances fort explicables de certains esprits épris de mesure le bon droit et la possibilité d'une étude méthodique de la tradition orale hébraïque, d'autre part d'assigner à cette étude la place

1. Die älteste Geschichte Israels im Rahmen lehrhafter Darstellungen, Leipzig, Deichert, 1917,

2. P. Saintyves, Essais de foklore biblique, magie, mythes et miracles dans l'Ancien et le Nouveau Testament, Paris, Nourry.

3. Haïm Harari, Littérature et tradition, Paris (Leroux) et Genève (Georg),

légitime qu'elle peut revendiquer dans l'ensemble des recherches sur l'antiquité israélite.

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Au lieu d'opposer les uns aux autres nos divers moyens d'investigation, de prétendre, par exemple, condamner les résultats de la critique des textes au nom de l'histoire de la tradition ou de l'archéologie ou de l'histoire comparée des religions, quand donc nous efforcerons-nous de combiner les renseignements fournis par ces diverses méthodes? En vérité, nous sommes trop pauvrement informés sur quantité de points, voire sur des périodes entières de l'histoire d'Israël, pour nous permettre le luxe de rejeter une partie quelconque des données qu'on peut légitimement tirer des rares monuments épigraphiques ou littéraires qui nous sont parvenus.

Pour pouvoir utiliser concurremment nos divers moyens d'investigation, il suffit de les classer méthodiquement, en tenant compte, notamment, du degré de certitude auquel chacun d'eux peut prétendre.

Au premier rang, on placera les informations fournies par les textes épigraphiques et en général par les fouilles faites en Palestine et en Syrie, en Asie Mineure, en Égypte, en Assyrie et en Babylonie. Sur la valeur des données de l'archéologie nous sommes pleinement d'accord avec les panbabylonistes de toute tendance, ainsi qu'avec M. Naville. Les monuments sont des documents contemporains des événements: ils nous apportent des témoignages de premier ordre et qui doivent s'imposer à l'historien, pourvu, bien entendu, qu'on les lise avec les réserves nécessaires, que, par exemple, on ne croie pas toujours sans contrôle aux exploits dont se vantent les Pharaons, et pourvu surtout qu'on n'étende pas la confiance que méritent les données épigraphiques aux inductions et conjectures, souvent fort aventureuses, que certains archéologues croient pouvoir fonder sur ces textes. Plus d'un, soit dans l'école panbabyloniste, soit en dehors d'elle, a une fâcheuse propension à présenter ses hypothèses personnelles comme des données de «< l'archéologie ».

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