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christianisme. C'est une hypothèse plausible; ce n'est pas davantage, puisque les documents historiques manquent. Mais en quoi cette constatation avance-t-elle la solution du problème totémique?

L'exposé du mécanisme d'intégration et de diffusion tel que le comprend Goldenweiser appartient à la seconde catégorie. Nous savons par l'étude de la naissance et de la diffusion de nos religions méditerranéennes que tout apport d'une idée nouvelle dans un complexe déjà formé ne se traduit pas par l'adoption intégrale de cette idée mais par la modification d'une idée homologue appartenant au complexe constitué. Pour prendre un cas précis les divinités des sources existaient en grand nombre dans la civilisation dite celtique lors de l'introduction du christianisme et du culte des saints; certains saints n'ont pas été intégrés dans le « complexe » celtique sous leur forme primitive, mais ils ont exercé une action sur leurs homologues les divinités des sources, de sorte que ces divinités ont reçu la nuance chrétienne (qui correspond à la «nuance totémique » de Goldenweiser); mais ces mêmes saints de leur côté se sont localisés territorialement, par action en retour de la nuance celtique. On pourrait citer un grand nombre de cas du même ordre; bien mieux, l'étude des religions méditerranéennes n'est en somme que la recherche des actions et des réactions entre un corps de doctrine et d'autres, entre le complexe dit paganisme et le complexe dit christianisme, ou islamisme, principalement. Que Goldenweiser, qui ne semble pas s'être occupé d'histoire générale des religions, transpose au totémisme préhistorique le principe universel de l'action et de la réaction, je n'y vois aucun inconvénient. Mais au cas où cette attitude serait admise comme juste, en quoi, de nouveau, nous aide-t-elle à discerner les causes de la formation spéciale du totémisme?

De sorte qu'en traduisant le vocabulaire abstrait de Goldenweiser et en situant dans la science générale ses propositions, on est amené à leur refuser tout caractère rénovateur et toute utilité immédiate.

Or, il pense aussi que par cette théorie du modèle, il apporte un élément nouveau de force à une doctrine qui est née en Allemagne il y a quelques années, la doctrine de la convergence. Je dois en dire au moins quelques mots ici car c'est elle qui, selon certains auteurs, serait seule capable de nous faire comprendre la constitution des divers stades de Kultur, y compris celui de la Kultur totémique.

L'idée de transposer à l'histoire des religions, à l'ethnographie générale et à la sociologie les doctrines fondamentales des sciences naturelles, et surtout de la plus synthétique d'entre elles, de la biologie, n'est pas neuve. Depuis cinquante ans on a transposé de cette manière les principes de l'évolution, de la sélection naturelle ou artificielle, de la dégénérescence et même de la ségrégation; l'application particulière de ces procédés de classement et d'interprétation au totémisme a été indiquée cidessus à plusieurs reprises. Par contre, la transposition aux faits de civilisation humaine du principe de la convergence, d'ailleurs plus jeune que les autres, est récente. Elle a été élaborée d'abord par Paul Ehrenreich, qui en a surtout tenté l'application à l'étude des civilisations de l'Amérique du Sud. Il a cru y trouver un criterium capable de différencier les vraies analogies des fausses, et d'établir sur une base plus large l'interprétation de similitudes et d'identités jusque là expliquées par la doctrine de l'unité spécifique de l'esprit humain ou par la doctrine des migrations de peuples et des transmissions par emprunts élaborée par Ratzel et les anthropogéographes.

Étymologiquement, la convergence s'opposerait à la divergence, et désignerait la tendance de certains phénomènes d'abord indépendants et hétérogènes à fusionner pour former un nouveau tout homogène. Ainsi comprise, la convergence serait le mécanisme qui a précédé et déterminé le syncrétisme, phéno

1) Loc. cit., p. 603, note 1.

2) P. Ehrenreich, Zur Frage der Beurteilung und Bewertung ethnogra phischer Analogien, Congrès des Anthropologistes Allemands de Worms, 1903, p. 176 et suiv.

mène très visible dans le paganisme lors de son remplacement progressif par le christianisme. C'est dans ce sens étymologique que le terme de convergence a été employé d'abord par Boas en Amérique.

Dans sa note rectificative adressée à Frazer, qui le citait comme l'un des défenseurs de la théorie dite américaine du totémisme', M. Franz Boas disait : « En écrivant sur ce sujet, et dans plusieurs discussions générales de problèmes anthropologiques, j'ai eu soin de ne jamais utiliser les observations faites sur la côte septentrionale du Pacifique pour une théorie générale qui résoudrait le problème entier du totémisme. En fait, une telle attitude aurait été opposée à toutes mes opinions méthodologiques. J'ai insisté, chaque fois que l'occasion m'en a été donnée, sur la nécessité d'étudier le développement de chaque question ethnologique autant que possible sur la base historique, afin de réunir les matériaux au moyen desquels on pourrait déterminer si le cours du développement s'est fait chez les divers peuples suivant la même ligne, soit approximativement, soit dans le détail. Il m'a toujours semblé que des coutumes qui peuvent paraitre très semblables à l'observateur peuvent cependant tirer leur origine de sources différentes; autrement dit que, dans le cours de l'histoire, nous devons compter non pas seulement avec des développements parallèles partant de conditions psychiques semblables et suivant le même cours, mais davantage avec des développements divergents où des types différents sont sortis des mêmes sources, ainsi qu'avec des développements convergents où des phénomènes très ressemblants ont pu se développer en partant de sources entièrement différentes. C'est pourquoi j'ai toujours été d'avis qu'une formule unique ne saurait être trouvée qui pourrait expliquer les phénomènes que nous avons l'habitude d'appeler totémisme,

1) Théorie, on l'a vu, qui tend à dériver le totémisme collectif du totémisme individuel. La généralisation est en réalité due à Miss Alice Fletcher, qui est partie des faits Omaha, et à Hill-Tout, qui a pris pour base les faits de la Colombie britannique.

parce je ne crois pas un instant que tous les phénomènes du totémisme ont eu la même origine, ni même une origine semblable »'.

Cette position méthodologique du problème s'oppose aux interprétations simplistes de Frazer et de Durkheim; on ne saurait supprimer sans plus l'opinion de Boas, puisque c'est à tous égards l'un des savants qui connaissent le mieux au moins l'ensemble très complexe des phénomènes totémiques nordaméricains. Pour le moment, je n'en retiens que cette phrase où Boas oppose le phénomène de la convergence à celui de la divergence, et en termes tels, que la confusion n'est pas pos sible; le mot est bien pris dans son sens étymologique.

Or, les biologistes prennent ce mot dans un sens à la fois bien plus restreint et bien plus précis. Ils entendent par convergence « les ressemblances imprimées à des organismes d'origine phylétique très diverses par un genre de vie identique ». Ainsi : toutes les plantes des Alpes qui vivent audessus d'une certaine altitude tendent à se ressembler extérieurement, par atrophie de certaines fonctions et de certains organes; de même, tous les animaux qui vivent dans certains courants tièdes de la mer deviennent transparents et gélatineux quelle que soit leur espèce et leur famille; de même encore, l'existence parasitaire donne, tant aux plantes qu'aux animaux, un facies semblable. On nomme donc à proprement parler convergence uniquement un processsus de similiarisation morphologique, due à l'action constante d'un milieu particulier.

Reste à savoir quelle peut être l'utilité pour la science des civilisations en général, et pour l'étude des religions et du totémisme, de cette transposition d'une constatation biologique importante. L'école sociologique a fait un abus assez régulier d'expressions empruntées aux sciences naturelles, mais du moins avec une exactitude approximative; le risque, dans ce

1) Fr. Boas, The origin of Totemism, Journal of American Folk-Lore, 1910, p. 392-393.

cas, est toujours d'attribuer en fin de compte à des mots et à des formules une valeur explicative qu'ils perdent par le fait même de leur transposition à une autre science, à moins de modifier le sens interne de ces mots et de ces formules. Ainsi a fait Boas quand, adoptant la doctrine de la convergence, il affirme que « nous nommons convergence un développement provenant de diverses sources, sans égard au fait si l'assimilation a été causée par des causes psychiques internes, ou historiques externes » car le fait est précisément que dans la convergence biologique, l'armature interne, à savoir la constitution anatomique (à laquelle correspond en ethnographie la constitution psychique et sociale) reste inchangée malgré l'action du milieu extérieur, que des causes internes sont de toutes manières hors de jeu et qu'enfin, par définition, la convergence n'est nullement un processus d'assimilation. Mais voyons comment raisonne Goldenweiser.

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« Un exemple de l'application du concept de la convergence à la solution des problèmes ethnographiques théoriques, dit-il, a a été fourni par Totemism, an Analytical Study; le mécanisme et la psychologie du processus, cependant n'ont pu y être indiqués que par allusion ». Si on se reporte au texte, tant de la discussion critique des théories d'autrui que des conclusions de l'auteur, on constate que non seulement le mot convergence ne s'y rencontre pas, mais que, de plus il n'y a aucun rattachement à la doctrine de la convergence des similitudes et des analogies qui constituent les caractères propres au totémisme chez les divers peuples possèdant l'une ou l'autre forme de cette institution. C'est plus tard seulement, après la publication du livre de Graebner en 1911', que Goldenweiser s'est aperçu des services que la doctrine de la convergence pourrait rendre dans l'étude du totémisme.

1) F. Boas, The origin of Totemisin, American Anthropologist, 1916, p. 322. 2) A. A. Golden weiser, The principle of limited possibilities in the developpement of culture, Journal of American Folklore, 1913, p. 259.

3) F. Graebner, Methode der Ethnologie, Heidelberg, Winter, 1911.

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