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totémiques ont pu se totémiser en arrivant dans un milieu déjà totémiste et comment des croyances et des rites totémiques ont pu se modifier au contact de complexes non totémiques est celle de Rivers qui a été analysée ci-dessus. Mais, comme il a été dit, Rivers a été obligé de compliquer le problème en recourant à l'hypothèse d'un triple peuplement de la Mélanésie et d'admettre en même temps que le peuple le plus primitif des trois ignorait le totémisme'.

XVII

LA RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DU TQTÉMISME; SA SITUATION PARMI LES SYSTÈMES PRIMITIFS D'ORGANISATION SOCIALE; PREUVES DE SON INEXISTENCE CHEZ LES POPULATIONS TRÈS PRIMITIVES.

Nous sommes ainsi conduits à examiner un autre aspect du problème totémique. Étant donnée la diversité anthropologique (physique) des populations totémiques, on ne saurait faire intervenir pour la solution de ce problème un argument strictement racial. Mais le totémisme étant une institution caractérisée, il importe de déterminer à quel type de civilisation il appartient. Ce qui revient à dire qu'il s'agit de faire la liste, non seulement des populations qui présentent du totémisme précis ou relatif, mais aussi celle des populations dans l'organisation sociale et religieuse desquelles le totémisme ne joue aucun rôle. Quand ces populations possèdent une civilisation élaborée se pose le problème des survivances, dont quelques formes seront examinées plus loin; quand elles sont ce qu'on est convenu d'appeler << sauvages » ou «< demi-civilisées », la position de thèses se fait sous un tout autre angle.

Or, c'est un fait digne de remarque que ni Lang, ni Frazer, même dans son grand ouvrage, ni Durkheim, ni Loisy, ni

1) Cf. ci-dessus t. LXXV, p. 324, t. LXXVI, p. 305 et suiv.

2) Dans les pages qu'il a consacrées à l'extension géographique du toté

Goldenweiser, ni Reuterskiöld n'ont jugé nécessaire de signaler l'inexistence du totémisme chez un certain nombre de populations qui se trouvent à un niveau de civilisation matérielle au moins aussi primitif que celui des Australiens, et certainement inférieur à celui des Indiens de l'Amérique du Nord. Seul Sidney Hartland a signalé cette absence chez trois groupes « primitifs »>, afin de rappeler à Durkheim que le totémisme n'est pas universel'. Pas contre Wundt, Graebner et Schmidt avaient vu le fait; mais ils n'en ont pas su tirer le parti qui convient.

Wundt divise toute l'histoire générale des civilisations en quatre périodes: 1° l'Age des Primitifs, où l'homme se développe dans un contact direct avec la nature et sans la modifier par son travail et ses inventions; à ce stade se trouveraient encore les Pygmées du Congo, les Boschimanes, les Vedda de Ceylan, les Senoi et les Semang de Malacca, les Négrito des Philippines, quelques tribus des forêts de l'Amérique du Sud (Brézil, Vénézuela, etc) et les Andamanais; 2o l'Age du Totémisme, où « l'homme se trouve sous la domination de l'Animal, »> et où toutes ses conceptions, toutes ses institutions et toutes ses occupations sont influencées par cette idée qu'il se fait que l'Animal lui est supérieur en intelligence et en puissance; on distinguerait trois cycles de civilisation totémique le cycle malayo-polynésien, le cycle américain et le cycle africain; c'est pendant cet âge qu'apparaît la notion de société, que s'établissent des règles sociales (matrimoniales, économiques, etc.) et que naît une théorie générale des forces de la nature sous forme d'animisme, qui détermine à son tour la naissance du

misme (cf. Totemism and Exogamy, t. IV, p. 11-18), Frazer constate seulement que le totémisme est rare chez les peuples de race blanche, et que d'autre part les sauvages actuels ne peuvent être considérés comme absolument primitifs; mais il ne lui est pas venu à l'esprit de signaler quels sont les peuples relativement les plus primitifs connus qui ignorent le totémisme; la manière dont il présente les faits donne par contre au lecteur l'impression que le totémisme est un fait universel de primitivité culturelle.

1) Cf. ci-dessus, t. LXXV p. 339.

fétichisme et des religions supérieurs ; 3° l'Age des Héros et des Dieux et 4° l'Age de l'Humanité dérivent de l'Age totémique; le dernier est celui où nous vivons; c'est l'Age des empires mondiaux, de la civilisation mondiale, des religions universalistes et de l'histoire universelle. J'ajouterai que, dans quelques livres et articles parus depuis la guerre, Wundt annonce que le grand cataclysme actuel est le choc qui détruira les particularismes et assurera l'avènement de la notion d'Humanité. D'accord, sous cette réserve que ce soit conformément aux principes démocratiques, mais non selon ceux que voulait imposer l'impérialisme prussien.

Le classement, ou du moins les lignes générales du schéma de Wundt' ont été adoptés successivement par Fritz Graebner et par le père Wilhelm Schmidt. Je crois inutile de discuter longuement toutes ces constructions, qui sont obtenues en choisissant pour étalons d'évaluation les éléments de la civilisation matérielle (armes, canots, demeures, etc) ou des techniques comme la vannerie et les rites funéraires; d'ailleurs elles supposent résolu le problème totémique et classent dans l'Age ou dans le Cycle totémique des populations dont le totémisme est encore maintenant sujet à discussion.

1) Le tableau de Wundt se trouve dans ses Elemente der Vælker psychologie, Leipzig, 1912.

2) On trouvera l'exposé d'ensemble du P. Schmidt dans sa conférence sur les voies nouvelles en Science comparée des Religions et en Sociologie comparée, extr. de la Revue des Sciences philosophiques et théologiques, Kain, Belgique, 1911. Pour ce savant, le totémisme ne « caractérise (p. 19-20) que le troisième, par ordre d'ancienneté, des cycles culturels; à ce moment se produit le développement spécial de la mythologie solaire, particulièrement du thème de l'année solaire sur le terrain moral; les rites phalliques de fécondité commencent de porter atteinte à la moralité et la condition de la femme s'avilit; à ces caractéristiques morales correspond l'habitation circulaire à toit de forme conique, les armes tranchantes et contondantes, la ceinture d'écorce, etc. » Le P. Schimdt se demande « comment il se fait que les peuples du cycle totémique préférent la hutte ronde à la hutte carrée, les armes pointues et affilées aux massues, la mythologie solaire à la mythologie lunaire »; je ne me charge pas de répondre à des questions manifestement très mal posées, et qui ont pour départs des affirmations sans aucune valeur scientifique,

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L'omission signalée est d'autant plus étrange que les « primitifs » non totémistes ne vivent pas à l'état de hordes inorganisées ils possédent des systèmes sociaux parfaitement définis, et une cohésion interne qui vaut bien celle des Australiens. D'autre part, elle est grave au point de vue scientifique parce qu'elle obscurcit le rapport réel des faits et empêche de chercher les conditions dans lesquelles le totémisme a pu se constituer, en ne définissant pas celles qui ont pu s'opposer à sa formation. Il suffira d'ajouter aux documents déjà utilisés par Wundt. et Schmidt quelques-uns de ceux d'entre les plus récents qui sont dus à des observateurs au courant des problèmes ethnographiques actuels, et notamment du problème totémique, pour montrer que l'absence du totémisme chez certaines populations << primitives >> constitue un argument positif, qui ruine plusieurs théories générales, trop vite admises pour vraies.

L'inexistence du totémisme chez les Papous de la NouvelleGuinée ainsi que chez les Papouo Mélanésiens occidentaux contraste avec son existence chez les Papouo-Mélanésiens orientaux ou Massim, où Seligmann l'a étudié avec le plus grand soin'; le fait a été définitivement démontré par Williamson, élève de Haddon, pour les Mafulu, groupe de Papous de l'intérieur montagneux de la Nouvelle-Guinée anglaise. Les Mafulu sont organisés en clans formés d'apparentés, et dont la cohésion est très forte; l'appartenance au clan ne disparaît pas si un individu va s'établir dans une autre communauté; il ressort de la description de Williamson, que le système des clans mafulu est aussi solide que celui des clans Australiens. « Pourtant, j'ai été incapable, dit cet observateur, de découvrir la moindre trace d'une idée qu'on pourrait regarder comme totémique, ou qui pourrait avoir une origine totémique. Malgré des enquêtes contradictoires, je n'ai pas découvert trace de

1) C. G. Seligmann, The Melanesians of British New Guinea, Cambridge, 1910, p. 9-11 et 435-452,

2) Robert W. Williamson, The Mafulu, Mountain People of British New Guinea, Londres, Macmillan, 1912.

tabous qui interdiraient de tuer ou de manger certains quadrupèdes, oiseaux, poissons ou plantes; certes, il existe des tabous alimentaires; mais ils sont cérémoniels ou individuels, et ne sont jamais associés au clan ou aux communautés de village... Les noms des communautés de village (car il n'y a pas de noms de clans), ne se rapportent pas à des objets totémiques; il n'y a pas de culte ancestral spécifique qui présenterait le caractère d'une association entre l'ancêtre et un objet déterminé; il n'y pas davantage de respect spécial pour tel ou tel animal, ni de croyances qui se rapporteraient à un protecteur collectif. Cependant, la relation de clan (dite imbele) est très puissante, et l'association entre les membres d'un même clan tellement étroite que chaque individu est responsable pour le clan entier, et celui-ci responsable de chacun de ses membres; ces clans sont à base uniquement territoriale »'. Voilà donc des «< unités sociales » qui subsistent sans emblème et sans totem, bien que très primitives, malgré la thèse fondamentale de Durkheim; et le cas des Mafulu est loin d'être unique; c'est au contraire la règle chez tous les groupements papous de l'immense NouvelleGuinée qui vivent à une certaine distance des côtes, c'est-à-dire dans les forêts tropicales qui couvrent les régions montagneuses. Cette remarque est importante; elle se rattache à une remarque déjà ancienne de Mc Gregor' sur la répartition du totémisme en Nouvelle-Guinée que Frazer n'a pas relevée et dont je suppose qu'il n'a pas vu la portée; de plus, elle est complétée par la localisation côtière du totémisme des Girara' et des Mariende-Anim en Nouvelle-Guinée hollandaise'.

1) Williamson, loc. cit., p. 82-92.

2) L'enquête instituée pour l'étude du totémisme en Nouvelle Guinée anglaise par sir William Mac Gregor a donné comme résultat cette constatation que le totémisme est inconnu dans les régions centrales et disparait subitement un peu à l'ouest de Table Bay; cf. le Report for British New Guinea de 1897-1898.

3) W. N. Beaver, A Description of the Girara District, Western Pupua, Geograph. Journal, avril 1914 (t. XLIII), p. 407-413; cf. p. 411 pour les cinq groupes totémiques à descendance masculine; les Girara sont des Papous purs el babitent entre la Fly River et le Bamu.

4) O. G. Heldring, Bijdrage tot de ethnografische kennis der Mariende Anim,

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