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ment le totem du clan, lié par parenté spécifique à tous les membres du clan.

Je ne nie pas que cette série de propositions ne se présente dans un ordre logique parfait; mais la seule qui soit certaine est la première; tout le reste est forgé dans l'abstrait et rien, dans l'état actuel de l'ethnographie, ne lui fournit un début de preuve, même par analogie. Les documents égyptiens directs, c'est-à-dire les textes, manquent absolument. J'avais compté qu'une preuve paralèlle à celle que fournit le faucon serait donnée par la panthère. Mon ami Gustave Jéquier, partisan décidé du totémisme égyptien, a entrepris une enquête approfondie sur ce point' et n'a abouti qu'à un résultat négatif. Il a d'abord réuni les faits africains modernes qui prouvent que la panthère et le léopard comptent parmi les totems royaux les plus répandus, et que l'usage de leur peau est réservé au clan royal chez de nombreuses tribus bantoues et hamitiques. Or, «la panthère (le léopard ou le guépard) ne joue pour ainsi dire aucun rôle dans le domaine mythologique ou religieux de l'Égypte; parmi les innombrables animaux sacrés entretenus et vénérés dans les différentes villes, on ne rencontre jamais la panthère, peut-être parce que cet animal ne se rattache à aucun des groupes totémiques primitifs; en effet, on ne le voit jamais paraître parmi les signes distinctifs des anciens clans » 1. Si l'on considère pourtant que la peau de panthère ou pardalide n'était portée, sur les représentations funéraires, que par le propriétaire du tombeau, que c'était par suite un insigne réservé au chef de famille, lequel manifestement correspond à un chef de clan qui est, chez les totémistes évolués, le véritable intermédiaire entre la collectivité humaine restreinte et l'espèce animale, on verrait volontiers dans ce fait un argument en faveur du totémisme égyptien. Mais on arriverait ainsi à une étrange constatation.

1) Gustave Jéquier, la Panthère dans l'ancienne Égypte, Revue d'Ethnographie et de Sociologie, t. IV, 1913, p. 353-372.

2) Ibidem, p. 363.

Parmi les animaux qui sont vraiment répandus comme totems, l'un des plus importants en Afrique est la panthère; celle-ci a joué certainement un rôle dans la vie psychique et sociale des anciens Égyptiens, puisque « sa peau était réservée, dès la IIIe dynastie, aux seigneurs, aux chefs et plus tard aux prêtres » '. Or, c'est précisément cet animal qu'on ne rencontre ni comme insigne de nome et de clan, ni comme animal-dieu ! On peut sans doute raisonner à ce propos longuement, dire par exemple avec Jéquier que la panthère ne se laisse pas apprivoiser, ou qu'on utilisait sa robe parce qu'elle est très ornementale; cela ne change rien au fait fondamental que ce totem africain par excellence n'a pas existé comme totem en Égypte.

Quant à l'argument des tabous, c'est-à-dire des interdictions qui protégeaient la vie de tel ou tel animal considéré comme sacré, il n'a aucune valeur pour ou contre la théorie totémique. Je n'insisterai pas, ayant déjà exposé souvent que l'interdiction est le rite négatif qui complète le rite positif; les archéologues semblent cependant éprouver de grandes difficultés à comprendre le sens interne des interdictions, puisque Salomon Reinach et G. Foucart en font même une institution spéciale et autonome!

En résumé, aucun des arguments énumérés ne présente une consistance suffisante pour entraîner la conviction. Tant qu'on n'aura pas prouvé, avec un nombre assez considérable de textes dont l'interprétation serait hors de discussion, que l'animal, le végétal ou l'objet figurés sommant le pavois (dit enseigne) représentaient une espèce vivante ou une catégorie de choses qui étaient censées apparentées à un groupe humain à cadres bien délimités, on ne pourra pas parler de totémisme au sens où l'entend même A. Reinach dans sa définition minima et où doivent l'entendre les ethnographes.

C'est sans doute à cause de cette difficulté que M. Alexandre Moret's'est décidé à poser sur d'autres bases ce problème dont

1) Loc. cit., p, 363 et 366.

2) A Moret, Le ka des Egyptiens est-il un ancien totem ? R. H. R., t. LXVII, 1913, p. 181-191, et Mystères éyptiens, Paris, 1913, p. 199-219.

la solution lui paraît pourtant presque en dehors des possibilités historiques : « Je ne crois point démontrable, dit-il, l'existence du totémisme intégral en Égypte avec les documents actuels; car c'est une Égypte déjà transformée que nous font connaître les documents archaïques ». Mais pour Moret, le totémisme est tout autre chose que pour les autres égyptologues :

1

« Le ka est [à la fois] une enseigne de tribu, un nom de roi ou des particuliers, un génie protecteur, la source vitale d'où sortent, et où retournent, le roi, les dieux, les hommes, les choses, les forces matérielles et intellectuelles; c'est enfin la nourriture qui entretient la vie universelle. Or les sociétés primitives, aux premiers stades de leur évolution, croient à une force suprême, qui réunit tous ces attributs, et même d'autres encore. Cette puissance, c'est le totem, à la fois signe de ralliement, marque distinctive, nom, substance, source de vie d'ou l'on naît et à laquelle on revient par la mort, enfin nourriture des hommes. Si la définition du totem, que je présente ici d'après les théoriciens, est exacte », c'est l'hypothèse que le ka est le totem qui est la plus juste. Et plus loin : « l'idée du ka, complexe comme je l'ai montrée, correspond-elle à une notion qui a pu être aux temps antérieurs, celle du totem, et qui a évolué?.. C'est aux ethnographes qu'il appartient de décider si le ka, aux aspects si variés, n'a pas à ses origines un caractère totémique »'.

La forme sous laquelle cette question est posée rend une réponse catégorique difficile « aux ethnographes ». Le premier point serait de savoir si toutes les notions que Moret réunit dans sa définition du ka s'y trouvent dès le début, disons sous les premières dynasties', ou si quelques-unes ne sont pas le

1) Loc. cit., p. 188.
2) Ibidem, p. 189.
3) Ibidem, p. 191.

4) L'importance de l'argument chronologique ne semble pas appréciée autant qu'il le faudrait par les égyptologues, alors que c'est pourtant la pierre angulaire de la méthode historique. On voit utilisés à propos d'un même fait,

produit des réflexions philosophiques, avec point de départ religieux, des prêtres et des fidèles vivant à des époques de paix relative et de plus haute civilisation. Le problème est alors le même, par exemple, que pour le brahma de l'Inde, pour la baraka des Sémites, pour la sanctitas latine puis chrétienne.

Le fait que ce sont ces termes, et non d'autres, qui se présentent à l'esprit montre aussitôt que si l'on veut suggérer un rapprochement du ka avec des notions et des termes « sauvages >>> correspondants, ce sont ceux de manitou chez les Indiens de l'Amérique du nord, de hasina chez les Malgaches, de mana chez les Mélanésiens et certains Polynésiens, etc., qui fournissent l'équivalence cherchée. Moret a en effet commis une confusion terminologique fort excusable chez un égyptologue. La notion de vie psychique et, par absorption de nourritures, de vie physique et celle de puissance surnaturelle sont contenues, non pas dans l'idée de totem, mais dans celle de mana, dont, comme on l'a vu ci-dessus', le totem pourrait être une forme spéciale. Mais même ceci n'est pas prouvé.

D'ailleurs, la forme du signe qui représente deux bras levés avec les paumes droites et les doigts légèrement incurvés indique que le ka appartient à une tout autre catégorie que le totem. Si, comme je le crois, ce signe symbolise, par simplification, un geste de prière ou d'incantation, s'il rappelle une opération rituelle magico-religieuse, il est naturel que peu à peu le ka

et pêle-mêle, des documents qui datent de l'époque prédynastique, puis de la période ptolémaïque; on revient au Moyen Empire, ensuite aux dynasties. thinites, pour finir par un fait du Nouvel Empire. J'exagère un peu; mais fort peu. C'est pourquoi, dans notre monographie sur Le Tissage aux Cartons et son utilisation décorative dans l'Egypte ancienne, (Neuchatel, Delachaux et Niestlé, in-4°, 1912, tirage à 125 exemplaires, avec nombreuses planches en couleurs, dessins en noir et une planche de rubans que j'ai tissés d'après les prototypes égyptiens) Jéquier et moi avons pris le plus grand soin de suivre. l'évolution de cette technique spéciale en ne mêlant pas les dates des documents. C'est exactement la même méthode qu'il faut appliquer, et aussi rigoureusement, à des recherches sur le ka ou sur les autres signes et concepts des Egyptiens.

1) Cf. ci-dessus t. LXXV, p. 334-335, 372, et t. LXXVI, p. 281 et suiv.

ait fini par centraliser les idées qui se rattachaient assez étroitement à la puissance diffuse qui est à la base même de toutes les activités, tant en religion qu'en magie. Mais il n'y a aucune espèce animale ou végétale, ni aucune catégorie d'objets que les deux bras humains levés puissent représenter normalement, et par suite le signe ne peut évoquer la notion d'identité spécifique et d'apparentement collectif qui est le noeud central du totémisme. Le ka comme enseigne appartiendrait donc à la même catégorie que le khen, lui aussi enseigne, et qui représente, paraît-il, le placenta royal en tant que réservoir ou germe de la vie et de la force du roi'. N'étant pas égyptologue, je ne puis poursuivre l'argument au delà de ce point; mais je dois rappeler de nouveau que les enseignes primitives sont formées à l'aide de signes nombreux, parmi lesquels ceux d'aspect animal ou végétal ne constituent qu'une série dont rien ne permet encore d'affirmer qu'elle ait été la plus importante, ni surtout qu'elle ait servi de point de départ et de modèle aux autres séries. Le plus que l'ethnographie puisse dire ici, c'est que les objets représentés comme enseignes avaient une valeur protectrice, et que ni un signe comme les deux bras levés, ni un signe comme le placenta ou d'autres du même ordre, ne peuvent avoir eu un sens totémique.

Aussi doit-on admettre, avec les limitations signalées antérieurement', l'attitude de Dussaud : « en partant de la notion de vie [disons de la notion de mana], l'humanité a imaginé divers systèmes; le système totémique en est un, le système égyptien en est un autre; ils ont des éléments communs, mais ils ne s'identifient pas »>'.

Une autre remarque enfin s'impose : le totémisme n'est pas seulement un ensemble systématisé de croyances et d'actes magico-religieux; il s'exprime aussi dans la vie sociale laïque

1) C. G. Seligmann et Margaret A. Murray, Note upon an early Egyptian Standard, Man, 1911, p. 165-171.

2) Cf. ci-dessus, p. 371-374. 3) Dussaud, loc. cit., p. 29.

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