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CHRONIQUE

NÉCROLOGIE

Nous avons appris avec peine la mort, dans un terrible accident d'automobile, de M. Jean Guimet, fils du regretté fondateur du Musée d'histoire des Religions. M. Jean Guimet, qui avait succédé à son père dans la direction de ses importants établissements industriels, avait également hérité de son goût délicat pour l'art d'Extrême-Orient et l'histoire des représentations religieuses. Il était Président du Comité-conseil du Musée Guimet. La Revue de l'Histoire des Religions s'associe respectueusement au deuil nouveau qui frappe une famille à qui nos études sont redevables d'un accroissement si fécond et si durable.

PUBLICATIONS DIVERSES

Notre collaborateur M. Eug. de Faye, dont nos lecteurs connaissent bien le bel ensemble de travaux sur le gnosticisme et les principales écoles gnostiques chrétiennes et aussi la pénétrante étude sur Clément d'Alexandrie, examine, dans un mémoire placé en tête de l'annuaire 1919-1920 de l'Ecole des HautesEtudes (Section des Sciences religieuses) (p. 1-20), l'originalité de la philosophie chrétienne de Clément d'Alexandrie. Si l'on veut saisir les traits originaux des vues de Clément, il faut les comparer à celles de ses contemporains. La plupart des chrétiens estimaient que le christianisme se suffit à lui-même. A ces chrétiens inutile de parler de philosophie grecque et de réclamer le droit de s'en servir. Qu'on se souvienne de la façon dont Tertullien le traite dans son Apologeticus et ailleurs. Les gnostiques représentent un point de vue exactement contraire ceux du 11° siècle maintiennent l'équilibre entre les deux éléments, chrétien et philosophique, mais les sectes gnostiques postérieures noient le christianisme sous un afflux étranger, liturgie d'expiation et de rédemption empruntée aux mystères grecs et aux cultes orientaux, éléments philosophiques de toute provenance. « Le point de vue de Clément, dit M. de Faye, diffère de celui-ci et des uns et des autres. Il est aussi fervent croyant que le plus simple des chrétiens, et d'autre part son attachement à la philosophie ne le cède en rien à celui qu'avaient pour elle un Valentin ou un Héracléon. Les croyances chrétiennes sont, comme il le dit, le fondement

mème de toute sa pensée religieuse. Elles lui donnent sa direction; elles lui impriment leur caractère. Elles ne sont pas des dogmes; elles sont des inspirations qui forcément orientent les réflexions d'un certain côté. Clément se sent par conséquent libre d'utiliser largement les trésors de la pensée antique. Ce sont les matériaux dont il construit son édifice. Le plan, il l'a trouvé dans la foi chrétienne. C'est ainsi qu'il conserve et sauvegarde tout ce qu'il y avait de meilleur dans l'héritage des penseurs grecs (p. 19) ».

Dans la production scientifique italienne si riche de tentatives intéressantes et souvent fructueuses, la revue Bilychnis, éditée par la Faculté de l'Ecole Théologique baptiste de Rome, s'est fait une place importante et très personnelle en ce qui concerne la critique biblique, l'histoire du christianisme et des religions, la psychologie, la pédagogie, la philosophie religieuse, la morale, la vie religieuse en Italie et à l'étranger, elle se maintient et maintient ses lecteurs au courant de tout ce qui est « questioni vive », ainsi que le dit son programme; elle n'ignore aucun domaine de la pensée religieuse, se porte sur tous les points où se débat un problème moral. Il va sans dire que les polémiques doctrinales y ont leur retentissement, mais elles prennent, en pénétrant à Bilychnis, un son déjà atténué, proche de la paisible. harmonie de l'Histoire. D'ailleurs l'étude du passé religieux a beaucoup à recueillir dans cette active et luxeuse publication. Les derniers numéros (juillet 1919-janvier 1920) nous apportent notamment un bel article de M. Giovanni Costa sur Jupiter et Hercule, contribution à l'étude de la religion romaine sous l'Empire (juillet-septembre et octobre 1919) M. G. Costa conteste la transformation totale de la religion romaine sous des influences orientales dans la période impériale. Il y a d'ailleurs pour lui une opposition radicale entre l'Orient, « violemment, profondément religieux et la religion << sereine, politique » de l'Occident. La thèse est soutenue avec beaucoup de talent et des arguments scientifiques des plus louables. - M. Salvatore Minocchi, dans le no de janvier 1920, se demande si les papyrus araméens d'Eléphantine ont été une déception de la science biblique. L'éminent professeur de l'Université de Pise attire l'attention sur le livre d'un hébraïsant italien, M. Belleli, An indépendant Examination of the Assuan and Elephantine aramaic Papyri, Londres 1909, M. Belleli cherchait à établir que la découverte retentissante de 1904-1908 se réduisait à la mise au jour d'une forgerie de date récente, de l'œuvre de faussaires habiles à exploiter l'appétit de documents nouveaux qui tourmente la science biblique actuelle en particulier la critique allemande. M. S. Minocchi ne conteste aucunement l'authenticité des papyrus Sachau; un doute semble persister chez lui en ce qui concerne ceux publiés par Sayce et Cowley. Quant à l'apport historique que fournissent ces documents, il doit être jugé d'un point de vue plus large que celui, trop souvent adopté au dire

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de M. Minocchi, d'une « reconstruction scientifique de la Bible ». Ils prennent tout leur intérêt si l'histoire biblique se fait du dehors, s'aide résolument de l'archéologie orientale, des traditions et des littératures sémitiques, de l'histoire comparée des religions.

D'autres articles ou notices seraient à citer dans les derniers numéros de Bilychnis La réforme ecclésiastique dans le pays de J. Huss, par M. A. Fasul, La vision morale de la vie chez Léonard de Vinci, par M. M. delle Seta, etc.

- Il nous est parvenu un petit livre de M. I. de Récalde intitulé Le Message du Sacré-Cœur à Louis XIV et le P. de La Chaise. Etude historique et critique. Paris, E. Chiron, éditeur, 1920, in-12. M. de Récalde prétend apporter seulement des « précisions documentaires » et en ce qui concerne la dévotion au Sacré-Cœur, ne toucher au fond ni de la question dogmatique ni des pratiques de piété dûment autorisées jusqu'ici par le Saint-Siège et par l'épiscopat ». Ce qu'il entend démontrer, c'est « l'indignité du P. de La Chaise comme agent de transmission du Message à Louis XIV », c'est « que la dévotion au Sacré-Cœur ne saurait être exclusivement le propre de tel ou tel ordre reljgieux » bien que la Compagnie de Jésus ait paru s'en attribuer une sorte de monopole officieux. Les arguments de M. de Récalde sont soutenus de textes et de faits qui indiquent une rare intimité avec l'histoire ecclésiastique des trois derniers siècles. Mais ce sont là des controverses d'un caractère si privé, qui ressemblent si fort à des dissentiments de famille qu'on a quelque scrupule à y appliquer une indiscrète analyse historique.

SOCIÉTÉ ERNEST RENAN

Séance du 31 janvier 1920

La séance, qui a lieu dans les locaux de l'Ecole du Louvre, est ouverte à 4 heures 1/2. M. Ed. Pottier préside.

Présents: MM. Pottier, Acollas, Alphandéry, Barrau-Dibigo, De Faye, De Ridder, R. Dussaud, Ferrand, Geuthner, H. Girard, P. Girard, Goguel, Guignebert, Kindberg, Mayer Lambert, Lods, Omont, Pommier, Van Gennep. Excusés: MM. P. Boyer, G. Calmann-Lévy, Gaudefroy-Demombynes, Macler, Meillet, Moret.

La Société Ernest Renan, sur la proposition du Président, décide d'adres ser des remerciements à Monsieur d'Estournelles de Constant, Directeur des Musées Nationaux et l'un de ses membres, qui a bien voulu mettre à la disposition de la Société la grande salle de l'Ecole du Louvre.

Lecture est donnée par le Secrétaire général du Procès-verbal de l'Assem. blée générale du 18 décembre. Ce Procès-verbal est adopté sans observations. Le Président informe la Société de l'impression d'une circulaire-programme

tirée à 3.000 exemplaires, qui sera notamment envoyée aux Facultés et Lycées de province.

Le Président rappelle, sur la question posée par un des membres, que Mme N. Renan a bien voulu accorder aux membres de la Société l'autorisation de consulter à la Bibliothèque Nationale les manuscrits d'Ernest Renan. Il est décidé sur la proposition de M. Omont, que l'assentiment du Bureau de la Société sera en outre nécessaire, ainsi qu'un avis envoyé par lui au département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale.

Le Président donne la parole à M. HENRI GIRARD pour l'exposé d'un plan de Bibliographie de l'oeuvre d'Ernest Renan. M. Henri Girard fait ressortir dans les termes suivants la portée philosophique de cette bibliographie:

« ..... Ce fut un grand humaniste qu'Ernest Renan, un homme qui laissera dans l'histoire de la pensée humaine une trace comparable à celle d'Erasme, par exemple, ou de Goethe, et c'est comme une magnifique contribution à la formation et au développement de l'humanisme moderne que nous désirons présenter son œuvre.

Une première division pourrait offrir au lecteur curieux de s'informer de la nature intellectuelle de ce grand esprit, ce qu'il conviendrait d'appeler sa philosophie, le monde de sa pensée, ses idées sur Dieu, sur l'univers et sur l'homme, sa conception d'un transformisme universel, d'une sorte de nisus divin qui explique à ses yeux les métamorphoses de la nature, la perpétuelle évolution des êtres et la démarche de l'histoire. Devenu capable, à sa sortie du Séminaire, grâce à la solide culture philosophique qu'il avait reçue tant à Saint-Sulpice qu'à Issy, de critiquer les rapports que les maîtres de la Scolastique avaient cru établir entre le péripatétisme grec et les dogmes chrétiens, il a été plutôt frappé de l'irréductible différence qui sépare Aristote et la pensée grecque de leurs audacieux disciples du moyen âge. Il a su dissocier des dées que l'arbitraire inhérent au génie théologique avait impérieusement soudées ensemble; telle est selon nous une des formes originales de l'activité proprement philosophique de Renan. Elle remonte à ses années de séminaire; c'est pendant ces années fécondes que s'élabora ce monde d'idées dans lequel le grand historien, qui allait paraître, devait puiser et se retremper toute sa vie. Derrière l'apparent matérialisme d'Aristote, derrière son rationalisme absolu, sa négation de la Providence au sens vulgaire, derrière sa théorie de l'âme pleine d'hésitations et sa théodicée restreinte, Renan remontant jusqu'aux origines orientales de la pensée grecque (voyez le Mémoire sur l'origine et le caractère véritable de l'histoire phénicienne qui porte le nom de Sanchoniathon), a retrouvé l'antique sagesse de Thalès et d'Héraclite. Cette philosophie du mouvement universel et de l'éternelle métamorphose, il la modernisait, à l'âge de 25 ans, avant d'avoir lu Lamarck, Geoffroy saint Hilaire et Darwin, dans ce livre étonnant qui s'appelle l'Avenir de la Science, avant même d'avoir

lu Hegel, s'il l'a jamais lu comme fit Taine, ce que nous ne croyons pas. Il suffit en effet à ce grand esprit intuitif et génialement assimilateur de l'étude approfondie qu'il avait faite au séminaire de la philosophie scolastique et du péripatétisme chrétien (ainsi qu'en témoignent son Commentaire sur la philosophie péripatétique des Syriens qui est de 1852 et son étude sur Averroès et l'Averroïsme 1861), pour remettre à leur place et rendre à leurs sources réciproques les éléments distincts de cette majestueuse et fragile synthèse de la scolastique. I pressentit Hegel avant de le connaître, à travers les seuls cours de Victor Cousin, comme il lui fut aisé, à la fin de sa carrière, de retrouver les idées mères de sa propre philosophie, dans les œuvres de Schopenhauer, telles qu'elles lui apparurent, dès 1860, dans les fragments publiés par la Revue Germanique et les commentaires de Charles Dollfus : Tout passe et rien ne demeure, et la force divine de la vie, cette force inconnaissable qui entraîne le monde, ce dynamisme mystérieux sacrifie indéfiniment les individus. et les espèces vivantes à des desseins que nul cerveau humain n'est capable d'interpréter, ni même de concevoir. Schopenhauer, devant cette force irrésistible et, semble-t-il, indifférente de la vie, fait figure de grand révolté. Il pénètre la duperie essentielle qui fait de l'abeille la proie de la ruche. Il refuse d'entrer pour une part quelconque dans ce monde de la Volonté où l'individu est toujours exploité et se réfugie dans le monde de la Représentation ou de la pensée qui est le nirvana du sage. Cette sorte d'attitude de boudhiste intellectuel ne sera pas celle de Renan, et, de la même conception pessimiste de l'univers et de la vie il fera jaillir, par un miracle de désintéressement, et de sympathie de l'individu pour l'œuvre divine, le seul miracle que son rationalisme admette, par un effet du « pur amour » de l'abeille pour la ruche qui est son berceau, son atelier et sa tombe, une morale et une esthétique profondémen optimistes. Cette gaieté d'énergie, qui vient du fond du tempérament du bre ton Renan, anime la pensée du savant et du philosophe, féconde sa sagesse. Elle lui fait comprendre l'histoire de cette pauvre grande race humaine que Schopenhauer raille et bafoue. Renan admire la vertu autant que la beauté, parce que Renan croit à l'Amour ; et c'est ce qu'il a répété sans cesse à ceux qui ne voulaient pas croire à quel point il était demeuré profondément religieux. Souple et flexible comme l'était son intelligence, ce n'était pas assez de toutes les formules de la philosophie stoïcisme ou quiétisme, épicurisme même, pour exprimer toutes les nuances de la vérité aux aspects innombrables, telle qu'il l'apercevait; mais si ce merveilleux esprit était complexe comme l'infini qu'il réfléchissait dans son œuvre, son cœur était bon. Subtil et raffiné comme un Athénien, tout pénétré d'atticisme, il avait conservé, de sa profonde éducation chrétienne, le goût de la simplicité exquise et le sens de l'humilité. Voilà ce qu'il faut faire entendre à ceux qui ont taxé d'égoïsme intellectuel l'attitude, au fond très claire 'et parfaitement justifiée, de ce grand humaniste.

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