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M. Isidore Lévy a montré que le terme de Phoinike avait d'abord été appliqué à la Carie et que, de là, ce nom avait été arbitrairement étendu par les Grecs à la côte de Tyr et de Sidon. M. Autran adopte la démonstration de M. I. Lévy, en ce qui concerne le premier point; mais, pour le second, il objecte qu'on ne comprend pas que le vocable ait pu être étendu à un pays peuplé par une autre race, parlant un idiome totalement différent, et il conclut en identifiant purement et simplement les Phoinikes de Syrie avec ceux de Carie. Ce raisonnement paraîtra bien fragile et bien risqué si l'on considère, par exemple, que le nom de Rome fut transporté en pays grec pour s'étendre à un pays turc d'Europe (Roumélie) comme à un pays turc d'Asie mineure (gouvernement seldjoucide de Roum, XI-XIIIe siècles). Notons qu'ici le transfert est devenu officiel, tandis que le terme de Phoinike n'a pas été adopté par les indigènes de Syrie avant leur hellénisation. Si, vraiment, ce vocable avait été imposé en Syrie par l'installation d'un fort contingent asianique, comment ne voit-on pas que nous le retrouverions dans les langues locales, notamment en hébreu, tout comme le nom des Hittites. Or, même à basse époque, par exemple sur les monnaies phéniciennes, le vocable Kana'an est seul usité en sémitique à l'exclusion de son équivalent grec Phoinike.

M. Autran croit trouver sur le terrain mouvant des rapprochements linguistiques, la preuve que les Phéniciens de Syrie n'étaient pas des sémites, mais des asianiques. Nous n'avons pas la compétence nécessaire pour décider de la valeur de ses rapprochements; mais nous sommes frappés de la témérité de certaines assertions et nous demandons qu'on y réfléchisse avant de les adopter. Ainsi, on lit « Philistins, Hétéens, Jébusiens, Hévéens, Girgasiens, etc., sont des descendants de Cham, c'est-à-dire des adorateurs du « brûlant »>, de Saturne-Sirius, de l'astre du Chien, dont le nom se retrouve dans Xva Canaan. >> Si nous comprenons bien, Canaan dériverait étymologiquement de Cham par l'intermédiaire de Xva et ce terme de Canaan aurait une « signification purement religieuse », sans <«< aucune valeur ethnique ». Cela paraît une gageure, d'autant plus fâcheuse qu'en dépit de l'autorité de M. Ed. Meyer, nous croyons que le fameux Xvã est une graphie tardive sans aucun appui en sémitique. Ces combinaisons hardies sont passées de mode; elles rappellent l'étymologie, qui eut un succès considérable, par laquelle

Hommel tirait Aphrodite d'Ashtoret par un intermédiaire hypothétique *Aphtoret; non seulement l'intermédiaire, mais même le point de départ était erroné, car jamais sémite n'a prononcé Ashtoret.

Parmi tant de rapprochements inattendus, notons qu'Abraham et Moïse seraient des noms asianiques, et qu'il faut comprendre l'ancien nom d'Hébron, « Qiriat Arba' », comme la « ville d'Aruba »> pour y retrouver le même personnage que l''Apú6aç d'Odyssée, XV, 417, bien que ce dernier demeurât à Sidon. On ne voit pas toujours à quoi tendent certaines listes où il y a plus de mots grecs que de noms asianiques, ni en quoi la présence en Syrie de vocables introduits après la conquête d'Alexandre (ainsi Piérie et Daphné, p. 71) peuvent témoigner de l'origine asianique des habitants du deuxième millénaire.

Non content de reprendre les identifications proposées depuis Bochart et Movers, pour en tirer une conclusion diamétralement opposée, l'auteur dénie une origine sémitique à des noms tels que Tyr. Sidon, Gebal. Les linguistes décideront si l'on peut reconnaître le terme << Achéen » dans celui d' « Hévéen » et si les Anaqim ou Bené-Anaq doivent s'expliquer comme étant les enfants d'Apollon, l'anar par excellence. Si de telles propositions étaient recevables, le commencement de la sagesse serait de renoncer à faire appel dans ces questions à la linguistique comparée.

Nous ne voulons pas relever les inexplicables erreurs de date attribuées aux inscriptions phéniciennes-sémitiques (p. 78, note 4), bien qu'on en tire une conclusion erronée (p. 81); mais nous regrettons que les tablettes d'el-Amarna n'aient pas été étudiées par l'auteur d'autant plus que l'édition de Knudtzon les a mises à la disposition des non-assyriologues. M. Autran y aurait trouvé une mine précieuse à exploiter au point de vue asianique et, en même temps, il aurait constaté que les Phéniciens de Syrie n'étaient nullement réduits à n'écrire que « sur des matières périssables » (p. 78). Surtout l'addition de gloses cananéennes au texte assyrien l'aurait convaincu que, sous le couvert de quelques chefs et de troupes. asianiques, le fond de la population était bien sémitique-cananéenne. Il eut constaté dans la correspondance de Rib-Addi, le roi de GebalByblos, le même culte prééminent de la Ba'alat-Gebal que la stèle de Byblos nous fera connaître à l'époque perse.

Si nous avons longuement discuté ce mémoire et la thèse qu'il

développe, c'est que nous tenons l'auteur pour un travailleur de mérite. Nos franches critiques ne tendent pas à le décourager, bien au contraire, mais à lui montrer qu'il doit rendre sa méthode plus rigoureuse et ne pas se laisser entraîner par des coïncidences dont quelques-unes sont fortuites, mais dont beaucoup trop sont fortement sollicitées. La tâche qui s'offrait à M. Autran et que nous espérons bien lui voir remplir, était de débrouiller complètement, et non de rendre plus épaisse, la confusion que M. Isidore Lévy avait eu le mérite de signaler. Spécialiste des études cariennes, il nous doit de rassembler, mais en s'armant d'une critique sévère, les éléments asianiques que les textes ou les monuments, voire la toponymie, peuvent nous conserver dans les régions syriennes. Par suite d'une erreur de méthode, son travail, qui représente un gros effort, ne nous apporte rien de nouveau. Nous n'y trouvons rien qui puisse modifier en tout ou partie le point de vue que nous avons présenté il y a six ans, dans la seconde édition de nos Civilisations préhelléniques dans le bassin de la mer Egée. En faisant état de l'explication de M. Isidore Lévy touchant le terme Phoinikes, nous avons essayé de montrer que le mythe de Cadmos ne concernait pas les Sémites de Syrie'; nous avons tenté de mettre en valeur l'influence égéenne en Syrie au point de caractériser, grâce à cette influence, une période cananéenne (XVI-XII° siècles) pendant laquelle les Sémites de la côte se tournent décidément vers la mer, apprennent des Égéens le métier de marin au long-cours, deviennent des marchands-colporteurs, et réussissent à supplanter les Mycéniens. Si nous avions eu à poursuivre cette histoire, nous n'eussions certes pas avancé avec M. Autran que l'activité de Tyr et de Sidon, dans les premiers siècles du premier millénaire, a été moins importante et moins féconde qu'à l'époque précédente, car cette affirma

1)ll reconnaît d'ailleurs de bonne grâce, p. 81, que «< la juxtaposition de toutes ces coïncidences ne constitue assurément pas une démonstration régulière ». 2) M. Autran, op. cit., p. 65 écrit : « Kadmos est donc un Égéen de Canaan, ce que confirme le marbre de Paros ». Jusqu'ici cette inscription ne. confirme rien du tout, parce que le mot « Phénicie » dont on fait état n'est qu'une conjecture des épigraphistes.

3) La chronologie de M. Autran est fantaisiste. Ainsi (p. 61) il fait remonter aux XXV-XX siècles avant notre ère une influence égéenne telle que d'elle aurait découlé toute la civilisation de la Syrie,

tion va contre les faits les plus évidents, les documents et les textes les plus certains, notamment contre l'accord de deux témoins aussi indépendants qu'Homère et Ezéchiel.

Ces réserves faites, nous reconnaissons que la lecture de ce mémoire est attachante. Si la documentation n'était pas interchangée et si l'on ne nous décrivait pas comme Phéniciens-Egéens des peuples asianiques qui n'ont rien de phénicien ni d'égéen, nous féliciterions l'auteur d'en tracer un tableau aussi vivant.

René DUSSaud.

Alfred Loisy. Les mystères paiens et le mystère chrétien. Paris, Emile Nourry, 1919, un vol., in-8, 368 pages.

Le volume dans lequel M. Alfred Loisy a réuni une série d'études publiées dans la Revue d'Histoire et de Littérature religieuses qu'il dirige est consacré à l'un des problèmes les plus importants de l'histoire religieuse du monde antique, celui que posent les rapports et les incontestables analogies du christianisme primitif avec la religion des mystères. L'ouvrage se ressent quelque peu des conditions dans lesquelles il a été publié : il se présente sous la forme d'une série de monographies dont chacune, à la rigueur, pourrait se suffire à elle-même.

Le chapitre I traite des religions nationales et des cultes des mystères, analyse les traits qui distinguent l'une de l'autre ces deux formes religieuses. La seconde, sortie de la première par un travail d'individualisation et d'universalisation, se propose de donner à l'individu croyant une garantie personnelle d'immortalité bienheureuse tandis que les religions nationales n'avaient pas d'autre but que d'assurer au groupe social la bienveillance de la divinité. Le caractère personnel et l'universalisme sont ce que les mystères ont de commun avec le christianisme. Il se sépare de lui, non seulement par la grossièreté et l'immoralité des mythes sur lesquels ils reposent, mais surtout par le fait qu'ils ne se sont pas montrés, comme lui, exclusifs à l'égard de toutes les autres formes religieuses. Ce qui caractérise encore les mystères c'est la place qu'y occupent les rites d'initiation, rites qui reproduisent en

abrégé la carrière du héros divin, du héros sauveur, lequel est souvent un dieu mort et ressuscité auquel le fidèle s'unit pour obtenir ne garantie d'immortalité. Bien que le rite paraisse dans les mystères, envisagés au moment où ils sont constitués, dériver du mythe, en fait le rite à précédé le mythe. A propos de chacun des mystères qu'il passe en revue, M. Loisy justifie cette affirmation, s'attachant à démontrer d'une manière très intéressante que le mythe constitue l'élément secondaire imaginé pour expliquer le rite. Il y a là une thèse dont la portée dépasse de beaucoup le cas des mystères et qui mérite d'être prise en sérieuse considération par les historiens et les philosophes de la religion.

Les chapitres II à VI sont consacrés aux mystères de Dionysos et d'Orphée, d'Eleusis, de Cybèle et d'Attis, d'Isis et d'Osiris, de Mithra. M. Loisy ne prétend pas avoir épuisé dans cette série d'études l'ensemble des problèmes multiples et complexes que pose chacun de ces cultes, mais, comme il le dit dans sa préface, il estime qu'il suffit d'avoir élucidé les points essentiels pour pouvoir parler utilement des cultes des mystéres. Les pages qu'il leur a consacrées justifient amplement cette affirmation. Elles seront lues. avec profit, même après les travaux plus détaillés dont le modèle a été donné par M. Cumont dans son capital ouvrage sur les mystères de Mithra. Il y a dans les études de M. Loisy, non seulement une mise au point intéressante de ce qu'on sait, mais encore certaines indications nouvelles et fécondes comme, par exemple, l'idée de comparer les rites d'initiation dans les mystères aux faits analogues que l'on observe dans les sociétés primitives.

La seconde partie du volume (pp. 205-363) est consacrée au mystère chrétien. Nous avons là, en quatre chapitres, un résumé très précieux et suggestif des vues de M. Loisy sur le développement du christianisme primitif'. Résumons brièvement ces vues, M. Loisy commence par opposer l'évangile prêché par Jésus, mouvement d'espérance juive, ayant pour objet l'avènement du règne de Dieu et la foi au Christ qui a conquis le monde méditerranéen. L'évan

1) On peut les complèter par un article sur « Les premières années du christianisme » paru dans la Revue d'Histoire et de Littérature religieuses de Juin 1920 (p. 161-180). Cet article, s'il avait été publié plus tôt, aurait pu utilement prendre place dans le volume.

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