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la lumière véritable qui éclaire tous les hommes, et comme parle S. Augustin la vérité essentielle qui renferme dans sa divine substance toutes les vérités immuables, et comme parle le P. Malebranche la raison universelle des esprits (1) ». Plus loin il ajoute : << Si quelqu'un pouvait se vanter d'avoir là-dessus solidement refuté les raisonnements de S. Augustin et du P. Malebranche, je ne crains pas de le dire, il pourrait se vanter d'avoir solidement établi le pyrrhonisme (2). » En conséquence il supplie ses supérieurs de lui « épargner le nom d'opiniâtre qui retomberait sur le plus célèbre des Pères (3). >> Dans d'autres occasions encore il se couvrira de l'autorité de l'évêque d'Hippone. Il écrira à Malebranche: << S. Augustin est manifestement des nôtres (4) » ; et, au lendemain de la mort du philosophe, il déclare au P. Lelong qu'une chose surtout l'a charmé chez son illustre confrère, « c'est qu'à l'exemple de S. Augustin, son héros », il a cherche à christianiser la philosophie (5). Le P. André n'est pas seul à penser de la sorte tous les disciples de Malebranche, Dom François Lamy, Dom Robert Desgabets, de Lanion, Lelevel, Miron, le cardinal Gerdil s'imaginent à tort ou à raison soutenir les principes de saint Augustin. Fardella trouvera que c'est tout un de combattre pour Augustin et pour la vérité (6). Malebranche les encourage, d'ailleurs, de son exemple; car loin de dissimuler ce qu'il doit à l'évêque d'Hippone, il se plaît à se couvrir de son autorité, à rappeler son exemple, à se proclamer son disciple fidéle, l'héritier de son véritable esprit. Et, quoiqu'il condamne l'usage des citations dans les ouvrages de philosophie, il s'en réfère souvent à lui, et parfois même en donne de longs extraits. On trouve 19 citations ou références dans l'introduction à la Recherche de la Vérité et 14 dans le reste du livre; on en trouve 35 dans les

(1) Cousin. Ouvrage cité. Introduction, p. 103.

(2) Idem. Ibidem, p. 103.

(3) Cousin. Ouvrage cité. Introduction, p. 104.

(4) Lettre du 9 mars 1709. Idem-Ibidem, p. 77.

(5) Lettre donnée par Blampignon. Etude sur Malebranche, p. 38.

(6) Sur ces disciples de Malebranche, voir Nourrisson. Ouvrage cité. T. II, ch. II. Moreri.

Eclaircissements à la Recherche de la Vérité, 8 dans le Traité de Morale, 5 dans les Méditations chrétiennes, 6 dans les Entretiens sur la Métaphysique, 5 dans le Traité de l'Amour de Dieu,

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dans les Conversations chrétiennes, 20 dans les additions et les éclaircissements au Traité de la Nature et de la Grâce, 27 dans les lettres au P. Lamy, 41 dans les Réflexions sur la prémotion physique. Chez quelqu'un qui condamnait les citations, ces chiffres, on l'avouera, sont significatifs. Il déclare d'ailleurs expressément qu'il est redevable à saint Augustin des thèses les plus fondamentales de sa philosophie. Je reconnais et je proteste, écrira-t-il, que c'est à S. Augustin que je dois le sentiment que j'ai avancé sur la nature des idées... je soutiens que suivant les principes de S. Augustin on est obligé de dire que c'est en Dieu qu'on voit les corps. Et, dans le 15 Eclaircissement à la Recherche de la Vérité, il fournit des références nombreuses et qui ne laissent, croit-il, aucun doute, pour prouver que selon saint Augustin la force ou la nature de chaque chose ne consiste que dans la volonté divine. « Tout ce qui peut agir sur nous comme cause véritable et réelle est nécessairement au-dessus de nous, selon saint Augustin et selon la raison; et selon le même saint et la même raison, c'est une loi immuable que les choses, inférieures servent aux supérieures. C'est pour ces raisons que ce grand saint reconnaît que le corps ne peut agir sur l'âme, et que rien ne peut être au-dessus de l'âme que Dieu (2). » C'est encore à Saint Augustin qu'il se prétend redevable de sa doctrine morale: « Sachez donc Ariste, dira Théodore, que le Verbe divin est la loi de Dieu même et la règle inviolable de ses volontés, que c'est là que se trouvent les commandements divins. << In Verbo unigenito Patris est omme mandatum » dit saint Augustin (3). » Et, dans les Réflexions sur la prémotion physique, il fait plus de douze citations pour montrer que, selon l'évêque d'Hippone, la loi suprême c'est que tout soit dans un ordre

(1) Entretiens sur la Métaphysique. Préface de l'édition de 1696. (2) Recherche de la Vérité, livre 6, 2o part. ch. 3.

(3) Entretiens sur la Métaphysique 12 Entret. no 19.

parfait : « Ut omnia sint ordinatissima ». L'introduction de la Recherche, où il développe sa thèse de l'union à Dieu, est toute entière appuyée sur des textes de ce Père. Enfin, c'est de son exemple et de son enseignement qu'il s'autorise, pour tenter l'explication philosophique des dogmes révélés. « Intellectus merces est fidei » dit saint Augustin «< Ergo noli quærere intelligere, ut credas; sed crede, ut intelligas: quoniam nisi credideritis non intelligetis (1). » Il citera même, dans le Traité de la Nature et de la Grâce, une longue lettre à Consentius pour montrer que le philosophe chrétien doit s'efforcer d'obtenir l'intelligence de sa foi (2), et justifiera ses propres spéculations sur les vérités religieuses par l'exemple de saint Augustin, qui n'a pas craint d'écrire quinze livres sur le plus incompréhensible de nos mystères, celui de la Trinité (3). D'une manière générale, et dans toutes les questions importantes, Malebranche se flatte de l'avoir de son côté. Et quand leurs opinions diffèrent manifestement, comme sur la question de l'âme des bêtes, il croit déduire des conséquences insoupçonnées de saint Augustin, mais qui découlent manifestement des principes qu'il a posés (4).

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De son vivant même, nous l'avons vu, beaucoup contestèrent l'identité qu'il voulait établir entre sa doctrine et celle de l'évèque d'Hippone. Les commentateurs récents admettent sans peine qu'il doive quelque chose, et même beaucoup, à la lecture des ouvrages d'Augustin, mais ils voient pourtant dans le malebranchisme bien autre chose qu'une réédition du platonisme chrétien. Jules Simon trouve même très exagérée la préoccupation, constante chez lui, de mettre toute sa doctrine sous la protection de Descartes ou de saint Augustin. Il suffit, dit-il, que saint Augustin parle de la vérité présente partout, qu'il montre l'âme humaine tenant de la substance divine sa vie, sa lumière et son bonheur, pour que

(1) Réflexions sur la prémotion physique no 8.

(2) Traité de la Nature et de la Grâce, Ier Discours, Article VI.

Additions.

(3) Traité de la Nature et de la Grâce, 3e Eclaircissement, Ire citation. (4) Eclaircissements à la Recherche de la Vérité, 15e Eclaircissement.

Malebranche n'hésite pas à voir dans ces expressions la confirmation de son système. « Pour constater véritablement cette prétendue filiation, Malebranche n'aurait pas dû se borner à des passages qui établissent seulement le caractère divin de la raison ou la théorie platonicienne que l'intelligence en soi contient seule les idées et les archétypes des êtres, et que c'est en elle seule que nous les pouvons contempler; il fallait apporter des passages sur la connaissance des choses sensibles et contingentes, sur l'impossibilité où est le corps d'agir sur l'esprit, et l'esprit de connaître directement le corps. A ce prix seulement il eût désarmé les théologiens (1). » Non seulement Jules Simon ne croit pas qu'il y ait identité entre les deux doctrines, mais il semble soupçonner Malebranche de n'avoir proclamé cette prétendue filiation que pour désarmer les théologiens. Ollé-Laprune, par contre, n'hésite pas à faire très grande la place de l'augustinianisme dans la philosophie de Malebranche. « Le Malebranchisme, dirat-il, c'est le cartésianisme christianisé à l'aide de saint Augustin (2). « L'inspiration morale et religieuse, et puis les éléments des grandes théories métaphysiques, voilà ce qui vient de saint Augustin (3). » A propos de la théorie de la connaissance, il trouve qu'entre les deux philosophes les rapports sont nombreux et la parenté évidente. Ce sont manifestement les écrits d'Augustin qui ont initié Malebranche aux secrets du monde intelligible et l'ont conduit à sa doctrine des idées (4). Il trouve de même que, dans les principes et les préceptes de leur morale il y a biendes choses communes; chez l'un et chez l'autre, la vertu consiste dans l'amour de l'ordre, et l'amour de l'ordre est identique à l'amour de Dieu (5). C'est encore, chez l'un et chez l'autre, la même manière de considérer Dieu comme le Bien et le même souci de la purification du cœur. Malgré tant d'analogies, et si

(1) Jules Simon. OEuvres de Malebranche. T. 1. Introduction p. 19. (2) Ollé-Laprune. La philosophie de Malebranche, t. 1, ch. IX, p. 548. (3) Idem. Ibidem, p. 547.

(4) Idem. Ibidem, ch. III, p. 198, 199.

(5) Idem. Ibidem, ch. VIII, p. 526.

importantes, Ollé-Laprune reconnaît pourtant que de grandes différences les séparent. Il estime que saint Augustin, tout en employant à chaque instant et sans scrupule les mots de vue et de vision, à propos de la connaissance intelligible, ne veut point dire comme Malebranche que nous voyons Dieu dès cette vie; chez lui non plus, nous ne trouvons rien d'identique à l'étendue intelligible (1). Il trouve même que l'évêque d'Hippone, loin d'admettre l'inefficace des causes naturelles et Tuniverselle action de Dieu, est un adversaire de cette doctrine (2). Sans dire avec les jésuites qu'il n'y a rien de commun entre saint Augustin et Malebranche, il n'admet donc pas, comme André, que Malebranche se soit contenté de mettre en pleine lumière les principes du grand Docteur. Henri Joly pense lui aussi que Descartes et saint Augustin furent les deux grandes sources où puisa le philosophe, pour composer sa Recherche de la Vérité, mais après leur avoir fait subir à l'un et à l'autre une critique approfondie (3). M. Blondel semble même croire que Malebranche pourrait devoir beaucoup plus à saint Augustin qu'à Descartes, dans la mesure du moins où il admet qu'il puisse être question de filiation discernable de philosophe à philosophe (4).

Sans préjuger en rien de la parenté qui relie ces deux grands esprits, il est légitime cependant de se demander si la crainte des théologiens, et le désir de désarmer de redoutables adversaires, ne fut pas, pour quelque chose, dans le souci qu'eût Malebranche de se présenter toujours comme un disciple fidèle de l'évêque d'Hippone. Ses plus irréductibles ennemis furent des théologiens, et c'est au nom du dogme qu'Arnauld, Bossuet, Fénelon, les jésuites le condamnent. On le taxe d'hérésie, ce qui pouvait devenir dangereux, à cette époque où le catholicisme était une institution d'Etat. C'est au nom de la foi que le P. Le Valois attaque la doctrine cartésienne de la matière ; il en déduit des consé

(1) Idem. Ibidem, ch. III, p. 267.

(2) Idem. Ibidem, ch. V, p. 354.

(3) Henri Joly. Malebranche. ch. I, p. 111, p. 20 et suiv.

(4) Revue de Métaphysique et de Morale, janvier 1916, p. 24.

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