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Germains éclaire d'un jour nouveau la menace adressée par Skirne à Gerd: « Sois comme le chardon, qui est foulé quand prend fin la récolte ». Si elle ne veut pas être conduite chez Frey pour y jouir du soleil et de la pluie bienfaisante, elle se fanera et sera stérile comme le chardon écrasé par la pierre.

L'image qu'a choisie le poète se prête, de la façon la plus/ gracieuse, au culte de la déesse des blés. Nous pouvons supposer qu'anciennement en Norvège, comme de nos jours en Esthonie, il a été d'usage de maudire et d'enfermer par exorcisme sous une pierre les démons-chardons, ennemis du champ de blé. Les mots « le chardon foulé » ont sans doute fait partie d'une formule rituelle récitée à la fête païenne de moisson. Dans le Skirnismal le serviteur de Frey les emploie étroitement rattachés à un exorcisme runique par lequel il menace la femme qu'il veut conquérir. L'invention des runes était due au dieu suprême. et de lui la science runique arriva jusqu'aux hommes, qui se servaient des formules magiques que nous rencontrons de même dans les mythes divins. L'inscription runique magique de l'église de la Norvège occidentale qui a fourni le point de départ de cette étude nous présente à son tour les mêmes mots, « le chardon foulé ». Il faut croire que ces mots comportaient la menace la plus effrayante que connût le graveur de runes quand il s'agissait d'une femme dont il voulait rompre la résistance.

Derrière le Skirnismál nous commençons à entrevoir des éléments d'un culte agraire. On peut y ajouter un trait plus important et plus essentiel.

Gerd, ayant enfin promis de se trouver au rendez-vous, prononce ceci :

« Barri se nomme,

Nous le savons tous deux,

Un petit bois, tranquille et abrité ;

D'ici à neuf nuits

Là, au fils de Njord

Gerd fera liesse. »>

Examinons d'un peu plus près ce nom de lieu, le bois de

Barri.

D'abord une observation linguistique. Barri se rattache manifestement à barr, « blé » ; nous pouvons donc voir dans Barri, comme dans le nom Gerd, une allusion au champ de blé, dont Gerd est la personnification divine.

Or, Barri est qualifié de petit bois; on serait pourtant fort choqué d'une traduction « le bois de blé ». Nous nous trouvons ici devant un problème. Mais on n'arrive pas à une solution exclusivement par de considérations philologiques; pour trouver l'origine d'un nom comme Barri, il faut nous plonger au milieu de la vie antique. Si nos matériaux norvégiens ou nordiques sont trop maigres, nous aurons, ioi comme ailleurs, à examiner l'état, analogue au notre, de nos voisins de civilisation pour obtenir quelque lumière sur les conditions de notre propre antiquité.

Je vous ai déjà parlé d'un peuple germanique méridional dont le culte peut éclairer celui de la Norvège. Vous vous rappelev le récit de Tacite (1) sur l'adoration qu'avaient les anciens Danois pour Nerthus, déesse de la terre. « Ces peuples, raconte Tacite, rendent en commun un culte à Nerthus, c'est-à-dire à la terre mère (Terram matrem), et ils croient qu'elle prend part à la vie humaine. Dans une ile de la mer il y a un bois immaculé où se trouve un char consacré et recouvert d'un tapis. Seul. le prêtre a la permission d'y toucher. Quand la déesse est là, dans cette cachette, il le sent aussitôt, et quand elle part dans son char attelé de vaches, il l'accompagne avec la plus profonde vénération. Le peuple est en joie, et il y a fête dans la localité que la déesse honore de sa présence; on ne va point alors en guerre, et on ne touche pas aux armes; tout fer est enfermé sous clef, et on n'aspire qu'à la paix et n'aspire qu'à la paix et au repos, jusqu'au moment où la déesse est lasse de son commerce avec les enfants des hommes, et où, par conséquent, le prêtre la ramène dans le lieu sacré. Puis le char, les tapis et, si on est disposé à le croire,

(1) Germania, ch. XL.

la divinité elle-même, sont baignés dans un lac mystérieux.

Le noyau de ce culte peut être cherché d'abord dans le bain de l'idole, ensuite dans la singularité du fait que l'image de la déesse promenée en char est accompagnée d'un prêtre. Inversement, à une époque postérieure, à Upsal, l'image de Frey est accompagnée d'une prêtresse appelée franchement « la femme de Frey». Nerthus est l'épouse d'un couple divin, et le dieu son époux est représenté par le prêtre. Le bain de l'image est un acte symbolique par lequel la terre, rafraîchie, pourra déployer en entier ses forces.

Tacite dit, en parlant du prêtre de Nerthus: « Quand la déesse est là, dans la cachette, il le sent. >>

On a demandé à quoi le prêtre sent-il cela? Remarquons à ce sujet que la fête de Nerthus est une fête de printemps bien caractérisée et qu'elle a, un peu partout en Europe septentrionale et centrale, des coutumes parallèles qui célèbrent encore aujourd'hui le retour des démons de végétation dans la nature. C'est pourquoi on a supposé que ce que sent le prêtre, c'est l'arrivée de la déesse dans la nature, au moment où les premières plantes printanières commencent à pousser. C'est là une hypothèse plausible; elle est appuyée par le mot gotique qui signifie << fête »>. vraisemblablement à l'origine « fête de printemps (dulbs). Dulps est le substantif verbal d'un radical indo-européen ayant le sens de « germer» (grec áo); dulps veut donc dire « action de germer », c'est-à-dire le temps de l'apparition des premiers germes. C'est la saison où les anciens Germains célébraient leur plus grande fête de printemps en l'honneur des démons de végétation.

Pour avoir plus de détails sur cette fête de printemps nous pouvons suivre deux méthodes: l'une la méthode folkloristique, à laquelle j'ai fait allusion; l'autre dont je vais parler: l'étude des anciens emprunts aux peuples voisins. J'ai déjà parlé des coutumes de printemps de l'Europe septentrionale qui se sont maintenues jusqu'à nos jours, atténuées et altérées en partie à travers les siècles du christianisme. Si l'on se base sur elles

pour reconstruire des cultes préhistoriques, on se heurtera à des difficultés qui ne le cèdent en rien à celles que rencontre le linguiste s'il part de formes dialectales modernes pour en tirer des conclusions sur des formes préhistoriques «< primitives ». Pourtant, le germaniste est mieux partagé, en ce sens que des langues voisines du germanique et d'une famille différente, le finnois et le lapon, ont emprunté au germanique, peu après le début de notre ère, sinon encore plus tôt, une série de vocables inspirés par la civilisation et qu'ils ont conservés presque intacts durant des milliers d'années, ces langues ayant subi moins de modifications phonétiques que le germanique. L'historien des religions a la chance de pouvoir puiser à une source analogue. De même que le grand comparatiste danois Vilhelm Thomsen a retrouvé des mots nordiques absolument préhistoriques dans le finnois et le lapon modernes, de même les historiens des religions ont pu constater des cultes et des mythes germaniques chez les Finnois et les Lapons, parce que ces peuples sont restés païens presque jusqu'à notre époque (1).

Il y a plusieurs années, le folkloriste finlandais M. Kaarle Krohn publia une dissertation sur quelques chansons populaires de Finlande consacrées à un personnage mythique Sämpsä ou Pellervo. Dans l'une d'elles, dont je regrette de ne pouvoir donner une traduction susceptible de faire sentir le charme singulier du mètre, on lit:

Pourquoi notre avoine ne pousse-t-elle pas ?
Pourquoi le seigle ne germe-t-il pas ?

Il ne pousse pas dans la bruyère des monts,
Ni ne germe dans la vallée,

Ni sur la colline de Sämpsä,

Ni sur la montagne à Pellervo.

(1) Cf. J. Fritzner, Historisk Tidsskrift, I (Christiania 1877), p. 135-217; Axe! Olrik, Danske studier (Copenhague), 1905, p. 39-57, 129-146, 1906, p. 65-69. 1907, pp. 62 SS.; K. Krohn, Finnisch-ugrische Forschungen (Helsingfors), IV, p. 231-248, VI, p. 155-180.

Voici pourquoi notre avoine ne pousse point,

Ni sur la colline à Pellervo :

Sämpsä dormait dans son lit,

Avec sept signes de la croix sur le dos,
Avec dix boutons sur le côté ;

Hors du lit ses mollets luisaient,

Et hors de la paille ses bas rouges.

Il n'est personne qui appelle Sämpsä,

Ni qui fait dresser Pellervo sur ses pieds.

Le garçon d'hiver sort à cheval pour réveiller Sämpsä, mais celui-ci ne veut pas se lever.

<< Qui est celui qui réveille Sämpsä ?-
Voici venir le garçon d'été

Pour réveiller Sämpsä

Et faire dresser Pellervo sur ses pieds;

Il prit son coursier rapide comme la tempête.
Prit son cheval rapide comme le vent du dégel,
Se laissa porter par l'ouragan,

Se laissa souffler par le vent du dégel;
Souffla feuillage dans tous les arbres,
Souffla épis dans toutes les herbes.

Souffla des têtes au chou,

Souffla des épis plein dans l'herbe,
Souffla du sang aux joues des vierges.
Il alla jusqu'au lit de Sämpsä :
Presse-toi. Sämpsä. sors du lit!

Lève ton dos sept fois marqué de la croix,
Dresse ton côté dix fois boutonné !

Voici comme quoi Sämpsä lui répondit :

Pour l'amour de toi je me lèverai,

Pour toi, pour aucun autre ;

Bien t'a pris de te rendre ici,

Mieux encore tu feras de rester

Souffler prospérité aux arbres. aux herbes. aux vierges.

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