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comment la messianité a été introduite dans les évangiles. De ces constatations Schweitzer conclut que la méthode historique est incapable de saisir le véritable Jésus et il propose de lui substituer une méthode d'une hardiesse qui va jusqu'à la témérité; il l'appelle l'expérimentation historique. Partant de la conception de l'eschatologie conséquente il s'efforce de reconstruire, par l'imagination, la vie et l'enseignement de Jésus, sans toutefois prétendre les rendre par là historiquement accessibles car le véritable Jésus reste insaisissable. Le bilan des recherches sur la vie de Jésus est, d'après Schweitzer, un bilan de faillite. « A l'instant, écrit-il, où il nous semble approcher de si près le Jésus de l'histoire que nous n'avons plus qu'à étendre la main pour le saisir, nous sommes obligés d'y renoncer pour nous soumettre à la parole paradoxale de l'apôtre Paul: « Si nous avons connu <«<le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus mainte<< nant >>. Pour arriver au Jésus éternel, il faut renoncer au Jésus de l'histoire» (1).

L'état d'esprit qui inspire cette conclusion est bien celui de la génération de théologiens à laquelle appartient Schweitzer et pour laquelle une Vie de Jésus est désormais impossible. De cet état d'esprit on pourrait donner bien des preuves. Nous nous bornerons à citer cette déclaration du Bultmann qui peut être regardé comme le plus typique représentant de l'état actuel de la critique allemande : « Nous ne pouvons plus connaître le caractère de Jésus, sa personnalité et sa vie... Il n'y a pas une de ses paroles dont on puisse démontrer l'authenticité » (2).

Chose singulière et bien digne d'être notée, Albert Schweitzer que déclare Jésus historiquement insaisissable, a cependant donné, du point de vue de l'eschatologie conséquente, une esquisse de son histoire et de sa pensée (3) et Rudolf Bultmann qui s'est

(1) Schweitzer, ouv. cité (première édition) p. 399.

(2) Bultmann, Die Erforschung der synoptischen Evangelien, Giessen, 1925, P. 33.

(3) Schweitzer, Das Messianitäts- und Leidensgeheimniss, Eine Skizze des Lebens Jesu, Tübingen, 1901 cf. Gesch., p. 390-443.

exprimé dans les termes catégoriques que nous venons de rappeler a cependant cru possible de tracer un tableau de la pensée de Jésus et de son enseignement (1). Contradiction si frappante de la part d'esprits aussi vigoureux qu'on est amené à se demander si le scepticisme radical qu'ils professent ne serait pas une conclusion tirée du développement non pas de tous mais d'une partie seulement des facteurs qui constituent l'ensemble du problème.

Le sentiment plus ou moins confus qu'il est impossible de saisir par l'histoire la réalité de la personne de Jésus explique certains faits qui, au premier abord, peuvent paraître étranges et qui caractérisent les productions modernes sur Jésus. Le premier est la floraison de ces oeuvres d'imagination dont le récent Jésus de Barbusse (2) est un des plus notables spécimens. A aucun moment, depuis les copieux ouvrages de Bahrdt et de Venturini, les romans sur Jésus n'ont fait défaut, mais, dans ces derniers temps, ils se multiplient d'une manière frappante; c'est comme si une colonne de littérateurs s'avançait en bon ordre pour prendre possession du terrain abandonné par le repli des historiens.

Dans le même ordre d'idées il faut mentionner les tentatives faites pour traiter le problème de Jésus au point de vue de la psychologie ou de la psycho-pathologie, plus récemment de la psychanalyse. Comme type des premiers systèmes on peut nommer les travaux de Loosten et de Rasmussen en Allemagne, de Binet-Sanglé en France, comme type des secondes, ceux de Berguer en Suisse (3). Mais il n'y a là qu'une échappatoire. Sans nier les secours que l'on peut attendre de la psychologie, il est facile de voir qu'elle ne peut utilement intervenir que sur la base

(1) Bultmann, Jesus, Berlin, 1926.

(2) H. Barbusse, Jésus, Paris, 1927, cf. Les Judas de Jésus, Paris, 1927. (3) Loosten, Jesus Christus vom Standpunkt des Psychiaters, Bamberg, 1905; Rasmussen, Jesus, Eine vergleichende psychopathologische Studie, Leipzig, 1905; Binet-Sanglé, La folie de Jésus, Paris, 1910, ss. Berguer, Quelques traits de la vie de Jésus au point de vue psychologique et psychanalytique, Genève, Paris, 1930.

de faits solidement établis. Elle peut servir d'auxiliaire à l'histoire, elle ne peut pas la suppléer. On peut en dire autant des tentatives d'un Kautsky et d'un Maurenbrecher pour comprendre le christianisme primitif et l'action de Jésus comme un mouvement issu de masses prolétaires (1).

Enfin la plus caractéristique des conséquences du désarroi des esprits relativement au problème de Jésus est la floraison des théories mythiques à laquelle nous assistons depuis 25 ans (2). Elles peuvent séduire les esprits par leur ingéniosité et par le talent avec lequel elles sont développées, par leur allure de paradoxe et de nouveauté. Par contre, il est fort douteux qu'elles ouvrent des voies nouvelles à la science historique et, nous en avons la conviction, un jour viendra où elles apparaîtront comme un des symptômes morbides de la crise que traverse actuellement la science des origines chrétiennes.

Pour juger sainement de la situation dans laquelle nous nous trouvons et des perspectives d'avenir qu'on peut envisager, il n'est pas inutile de faire une remarque que justifie un rappro chement très naturel. Quand les conceptions courantes il y a un siècle eurent été balayées par la Vie de Jésus de Strauss, il fallut près de trente ans pour que pût paraître une nouvelle vie de Jésus. Au début du xxe siècle, la critique a subi une secousse qui, au premier abord, ne paraît pas avoir été aussi violente que celle qu'avait provoquée Strauss, mais qui a peut-être été plus profonde. Car ce ne sont pas seulement les solutions traditionnelles qui ont été mises en doute mais encore c'est une infinité de problèmes nouveaux qui ont surgi. Est-il surprenant que la critique n'ait pas du premier coup, retrouvé son équilibre et que certains esprits impatients, un peu trop systématiques peut-être, et épris d'un absolu que, par sa nature même, la connaissance historique ne comporte pas, aient proclamé la faillite de

(1) Kautsky, Der Ursprung des Christentums, Stuttgart, 1908; Maurenbrecher, Von Nazareth nach Golgotha; Von Jerusalem nach Rom, Berlin, 1909 s. (2) Théories de Robertson, B. Smith, Drews, Couchoud, Dujardin, etc.

la critique et se soient résignés à étudier l'histoire du christianisme en laissant ses premières origines dans l'ombre?

La tâche la plus urgente à l'heure actuelle c'est de reviser ces conclusions hâtives et ces jugements découragés et de le faire, suivant la seule méthode qui puisse donner des résultats certains, celle de l'analyse et de la critique des documents. Je ne puis exposer ici en détail les raisons que j'ai de penser que cette méthode est susceptible de donner des résultats positifs. Mais j'ai la ferme assurance que, si jamais, sans doute, nous ne possèderons une histoire de Jésus et du christianisme primitif qui ne présente aucune lacune, il sera du moins possible d'en esquisser une dans laquelle les grandes lignes apparaîtront avec une clarté suffisante et d'une solidité de tous points comparable à ce qu'il est possible d'atteindre en matière d'histoire ancienne. J'ajoute qu'une conséquence de cette revision des résultats de la critique devenue aujourd'hui nécessaire sera de rendre moins injuste à l'égard du travail des critiques du XIXe siècle en montrant que, s'ils se sont fait illusion en pensant que le moment d'une synthèse définitive était proche, du moins le travail d'analyse qu'ils ont accompli était probe et solide.

J'ai dit que la méthode que nous appliquerons ici sera се qui d'ailleurs est conforme aux principes et aux traditions de cette maison une méthode strictement objective, dégagée de toute vue à priori. Peut-être, dans les circonstances actuelles, ne sera-t-il pas superflu d'insister sur ce point. Il y a vingt ans, personne, du moins parmi ceux qui prétendaient se placer sur le terrain scientifique, ne l'aurait contesté. Il n'en est plus de même aujourd'hui et de divers côtés, et même de certains côtés d'où l'on n'était pas habitué à voir surgir de semblables théories, on entend soutenir que cette stricte objectivité n'est, en matière de critique du Nouveau Testament, ni possible, ni même désirable. Que ceux qui se piquent de posséder a priori d'une manière

infaillible la vérité toute faite ne se préoccupent pas d'objectivité, nous n'en sommes pas surpris. Nous nous demandons seulement, puisqu'ils sont en état, à la première page de leurs travaux, de formuler leurs conclusions, non comme le résultat de leurs enquêtes mais comme des dogmes (1), pourquoi ils font de l'exégèse et de la critique. Leurs copieux commentaires, pour tout ce qui n'est pas philologie ou archéologie, pourraient être remplacés par une collection des décisions de la commission biblique pontificale. Ils déclarent, il est vrai, pour justifier leurs a prioris, que personne n'est en état de se dégager complètement de sa philosophie propre, de faire totalement abstraction de ses croyances ou de ses incroyances et que, cela étant, mieux vaut voir les choses telles qu'elles sont, ne pas prétendre à une objectivité impossible et accepter franchement que le champ des recherches bibliques soit éclairé par la lumière du dogme (2). Sans doute, l'absolue objectivité est un idéal que l'infirmité de l'esprit humain ne peut se flatter de réaliser parfaitement, mais, du moins, on peut essayer de s'en rapprocher. On en sera ainsi moins éloigné que si on lui tourne résolument le dos.

Ce n'est pas sans étonnement que l'on retrouve chez les représentants de la formgeschichtliche Schule des vues qui se rapprochent singulièrement de celles des exégètes catholiques. Déjà le fait que M. Bultmann a donné son adhésion à l'école de Karl Barth et proclamé la nécessité de compléter l'exégèse historique et critique par une exégèse théologique et pneumatique (3) est inquié

(1) L'Eglise catholique a rangé parmi les livres canoniques les évangiles selon Matthieu, Marc, Luc et Jean. Le quatrième évangile a donc été écrit sous l'inspiration de l'Esprit Saint. Pour nous c'est un dogme, ce n'est pas une question. Ce n'est pas non plus une question de savoir s'il a eu pour auteur le disciple bien-aimé Jean, fils de Zébédée. Ce point est fixé par la tradition ecclésiastique (Lagrange, Evangile selon Saint Jean, Paris, 1925, p. VII.) C'est nous qui avons souligné les phrases en italique.

(2) C'est ce que le P. de Grandmaison a exposé avec une parfaite clarté dans une lettre qu'il nous a fait l'honneur de nous adresser le 12 avril 1926. (3) Bultmann, Das Problem einer theologischen Exegese des Neuen Testaments, Zwischen den Zeiten, 1925, p. 334-357.

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