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DÉMÉTER ET LES JUMEAUX D'ARGOS

(1)

En 1893-1894, les savants français chargés des fouilles de Delphes ont eu la bonne fortune de découvrir -l'une presque intacte. l'autre réduite à la partie supérieure tête et torse (2),

deux grandes statues archaïques de Couroi, aux solides carrures. Feu Th. Homolle, avec la vive sagacité, souvent quasi divinatrice, dont il a donné tant d'autres exemples, proposa tout de suite, d'après les restes d'une inscription (première base), de reconnaître Cléobis et Biton, les Jumeaux d'Argos, les fils pieux illustrés par une des anecdotes les plus populaires de la vieille Grèce. Ils avaient, croit-on, amené leur mère en chariot, d'Argos à l'Héraeon voisin, sur quarante-cinq stades (8 km.), remplaçant euxmêmes à l'improviste l'attelage de bœufs manquant, ce jourlà, pour la voyageuse pressée.

Accueillie sans applaudissement, sauf par A Conze, l'hypothèse première de l'identification a fait du moins des progrès décisifs depuis lors (1907 à 1910), grâce à quelques faits nouveaux : dont la découverte de la seconde base, inscrite aussi. Tout doute essentiel est aujourd'hui écarté (3). Les deux Couroi avaient été consacrés au début du vre siècle.

(1) Cette étude a été en partie communiquée, lors d'une réunion de l'Association E. Renan, le 26 nov. 1927. J'ai tenu compte, ci-après, de certaines objections qui m'avaient été faites, ce jour-là, par quelques-uns des auditeurs, notamment par MM. G. Glotz et Th. Reinach. Je les prie d'agréer l'un et l'autre mes remerciements. J'ai plaisir à exprimer aussi ma gratitude à l'Association même, et à ses représentants, qui m'avaient accordé leur audience.

(2) En outre, quelques restes des jambes.

(3) E. Bourguet, Les ruines de Delphes, 1914, p. 93-96; F. Poulsen, Delphi, éd. angl., 1920, p. 90-96; et surtout Th. Homolle, Fouilles de Delphes,

En fait, Hérodote déjà, au siècle suivant, a pris soin de nous avertir que les Argiens eux-mêmes avaient dressé, « à Delphes », les statues de leurs athlètes, bénéficiaires du célèbre record :

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̓Αργεῖοι δὲ σφέων εἰκόνας ποιησάμενοι ἀνέθεσαν ἐς Δελφοὺς ὡς ἀνδρῶν ἀρίστων γενομένων ». (I, 31).

On retiendra la mention peu spéciale du motif, qui n'autorisait peut-être pas, tout de même, une traduction aussi vague que celle du texte anglais de Delphi : « Because they had been excellent men» (1). J'essayerai plus loin d'interpréter la phrase. Notons aussi dès maintenant, qu'Hérodote, qui connaissait Delphes, et y avait probablement encore vu les statues bien en place (2), n'a pas cette fois, tant s'en faut, précisé aussi exactement qu'à Délos, par exemple, pour la 077 et le a des Vierges hyperboréennes (3), la position des monuments qu'il nous signalait. Le noble hasard des fouilles, qui a fait retrouver en 1893 les deux Couroi, a réparé, il est vrai, l'effet de cette négligence. Il l'a réparé, mais en partie; car, que faisaient au juste, dans le hiéron apollinien, les jumeaux gaillards d'Argos, si aptes à trainer un char lourdement garni pendant 45 stades? Etaient-ils, dans un sanctuaire prophétique, honorés tout au juste pour leur exceptionnelle performance (?), ou plutôt pour leur piété, dite filiale, ou simplement ce qui serait là, certes, assez bizarre ! à titre d'Olympioniques, illustration d'Argos, leur patrie? Il n'est guère étonnant que le silence imprévu d'Hérodote ait provoqué maintes discussions, parfois un peu vaines, engagées par la philologie moderne; elles eussent visé à mieux établir le pourquoi de la consécration. La réputation des Jumeaux n'a guère souffert en tout cas, de ces débats, puisque, en certains écrits, et à la suite de quelques hypothèses plus audacieuses que les autres, les deux jeunes hommes têtus, aux faces débonnaires et un peu mornes,

Sculpture, t. IV, 1er fasc., 1909, p. 5 sqq.; id., CRAI, 1924, p. 149-154 (en dernier lieu).

(1) F. Poulsen, p. 95.

(2) Th. Homolle, CRAI, 1. I.

(3) BCH, XLVIII, 1924, p. 217 sqq. (Ch. Picard et J. Replat); cf. Th. Homolle, l. l., p. 154 (sur la véracité d'Hérodote).

au corps d'une carrure presque animale, ont failli devenir quasiment des fondateurs de religion! Ne les a-t-on pas un jour supposés de naissance delphique, et dignes d'avoir propagé, de Delphes à Argos, ou vice versa, le culte de la Mère des dieux? (1).

Cet embarras des modernes suffisait pour autoriser à revenir quelque peu sur une histoire qui est peut-être à la fois plus simple, et moins banale, qu'on n'avait pensé. Notons avant de quitter provisoirement le terrain de Delphes, les indications précises données là par l'exhumation archéologique :

Les deux Couroi ont été découverts dans les ruines du village byzantin (?) qui s'était installé au Moyen Age vers la boucle de la voie sacrée, aux environs du Trésor d'Athènes ; quelques pauvres sépultures en rappelaient encore par là, assez récemment, la trace, au-dessus du sol antique. Les Delphiens de jadis ont sauvé la plus intacte des statues, sans le vouloir; car ils l'avaient prise et placée comme un étai, pour appuyer le mur transversal qui coupait un ravin des terrasses supérieures du sanctuaire; là un torrent descendu se frayait passage à la saison des pluies et des ruines !

...

entre les anciens Trésors de Syracuse et Potidée, d'un côté, le Trésor d'Athènes par ailleurs. L'autre Couroi a été exhumé « quelques mètres plus bas, au tournant même de la voie, devant l'ancien Trésor des Boétiens », dit M. E. Bourguet, témoin principal de la découverte (2).

Ainsi, les deux statues avaient été déplacées, puisque l'úne d'elles, au moins, fut un jour utilisée matériellement, après l'ère des ravages; mais leur taille (2 m 35), et le poids du marbre interdisent bien de penser, soit qu'on ait pu les remuer beaucoup — il eût fallu pour cela la force de Cléobis et de Biton eux-mêmes ! soit surtout que ces effigies aient dù, au Moyen-Age, être trainées, par de pauyres manœuvres, autrement qu'en descente sur la pente du hiéron. Il y donc toute probabilité pour qu'elles aient été éri

(1) C. Robert, Archäol. Miszellen, Münch. Sitzùngsber. (Abhandl.), 1916. 2; cf. R. Herzog, dans E. Horneffer, Der junge Platon, Giessen, 1922, I, P. 159.

(2) E. Bourguet, l. 1., p. 93 sqq.; cf. le plan annexe; cf. aussi Th. Homolle, Fouilles de Delphes, Sculpture, p. 5. fig. 5.

gées jadis, et d'abord, un peu au-dessus de la région occupée par le Trésor d'Athènes et ceux voisins, à l'Ouest. J'indiquerai à la fin de cette étude quel intérêt a la première constatation.

Venons maintenant au texte même d'Hérodote, qui mérite, quoique fort classique, d'être encore une fois ! transcrit et analysé. Je dois avertir que je ne suis pas, certes, le premier à avoir remarqué la singulière incertitude que révèlent plusieurs détails de l'historiette contée; M. Leo Weber, en particulier (1), a déjà signalé sur plusieurs points les difficultés qu'on rencontrerait si l'on voulait accepter d'interpréter à la lettre, et traditionnellement, le récit de cet exploit, supposé de « piété filiale ».

L'impression est, en vérité, celle d'une anecdote peut-être mal comprise dès l'origine, les statues delphiques étant antérieures de plus d'un siècle, et que, selon les lois de l'imagination populaire, la verve tour à tour rationaliste ou romanesque des Grecs aurait fait pétit à petit fructifier le récit paraît mélangé, peu clair, hésitant. Solon vient de raconter à Croesus l'histoire de Tellos l'Athénien, qu'il prétend, en sa sagesse austère, juger plus heureux que le puissant tyran lydien lui-même. Invité à citer un autre exemple de félicité parfaite, il continue à décevoir imperturbablement son hôte un peu dépité, en nommant en seconde ligne << Cléobis et Biton >>

Hérodote, 1, 31:

1

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(Solon) εiε

:

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« Κλέοβίν τε καὶ Βίτωνα. Τούτοισι γὰρ ἐοῦσι γένος Αργείοισι βίος τε ἀρκέων ὑπῆν καὶ πρὸς τούτῳ ῥώμη σώματος τοιήδε· ἀεθλοφόροι τε ἀμφότεροι ὁμοίως ἦσαν, καὶ δὴ καὶ λέγεται ὅδε ὁ λόγος· ἐούσης ὀρτῆς τῇ Ἥρη τοῖσι Αργείοισι, ἔδες πάντως τὴν μητέρα αὐτῶν ζεύγει κομισθῆναι ἐς τὸ ἱρὸν, οἱ δέ σφι βόες ἐκ τοῦ ἀγροῦ οὐ παρεγίνοντο ἐν ὥρῃ· συγκλητ όμενοι (2) δὲ τῇ ὥρῃ οἱ νεηνίαι ὑποδύντες αὐτοὶ ὑπὸ τὴν ζεύγλην

(1) Philol. Wochenschr., 17 avril 1926, p. 423-429. (2) Qq. textes: ixxλóusvot.

εἴλκον τὴν ἅμαξαν, ἐπὶ τῆς ἁμάξης δὲ σφι ὠχέετο ἡ μήτηρ, σταδίους δὲ πέντε καὶ τεσσεράκοντα διακομίσαντες ἀπίκοντο 10 ἐς τὸ ἱρόν. Ταῦτα δέ σφι ποιήσασι καὶ ὀφθεῖσι ὑπὸ τῆς πανηγύριος, τελευτὴ τοῦ βίου ἀρίστη ἐπεγένετο, διέδεξέ τε ἐν τούτοισι ὁ θεὸς ὡς ἄμεινον εἴη ἀνθρώπῳ τεθνάναι μᾶλλον ἢ ζώειν. Ἀργεῖοι μὲν γὰρ περιστάντες ἐμακάριζον τῶν νεηνιέων τὴν ῥώμην, αἱ δὲ ̓Αργείαι τὴν μητέρα αὐτῶν, οἵων τέκνων ἐκύρησε. Ἡ δὲ μήτηρ 15 περιχαρής εούσα τῷ τε ἔργῳ καὶ τῇ φήμη, στᾶσα ἀντίον τοῦ ἀγάλματος, εὔχετο Κλεόβι τε καὶ Βίτωνι, τοῖσι ἑωυτῆς τέκνοισι, οἵ μιν ἐτίμησαν μεγάλως, τὴν θεὸν δοῦναι τὸ ἀνθρώπῳ τυχεῖν ἄριστον ἐστι. Μετὰ ταύτην δὲ τὴν εὐχὴν ὡς ἔθυσάν τε καὶ εὐω χήθησαν, κατακοιμηθέντες ἐν αὐτῷ τῷ ἱρῷ οἱ νεηνίαι οὐκέτι 20 ἀνέστησαν, ἀλλ' ἐν τέλει τούτῳ ἔσχοντο.

̓Αργεῖοι δέ σφέων εἰκόνας ποιησάμενοι ἀνέθεσαν ἐς Δελφούς, ὡς ἀνδρῶν ἀρίστων γενομένων.

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Voici la traduction qu'on pourrait donner de ce passage:

« Solon reprit : « Un autre exemple est celui de Cléobis et de « Biton. Car à ceux-ci, qui étaient, pour la naissance, Argiens, « la nature avait donné une vie aisée, et, en outre, une force corporelle qui était telle que voici. Tous les deux avaient été pareil«lement vainqueurs dans les jeux ; mais, de plus, on raconte l'his« toire suivante (1) comme il y avait chez les Argiens, une fête << en l'honneur d'Héra, il fallait coûte que coûte que leur mère (2)

(1) On notera le mot λόγος. Hérodote ne dit pas sans doute que ce λόγος fit ἱερός. Mais il ne dit pas le contraire, non plus.

(2) J'avais pensé (ici et 1. 14 du texte) à une suppression, ou transformation possible du mot [αὐτῶν]. On eut ainsi entendu la Mère des Argiens, la déesse-mère d'Argos, ce qui n'est peut-être pas impossible grammaticalement, étant donné le rapprochement de τοῖσι Αργείοισι et du : αὐτῶν. Les νεηνία:

il le faut bien constater! ne sont pas mentionnés dans la phrase même, et il est curieux qu'ils ne reparaissent que plus loin. Le texte d'Hérodote, tel qu'il nous est parvenu dans l'ensemble, n'est pas intangible, et appellerait, en bien des cas, des corrections, qui, parfois, s'imposent impérieusement. On sait que les onze mss. existants appartiennent en fait à deux familles (florentine, romaine), qui remontent au même archetype perdu. N'ayant pas fait moimême l'examen paléographique, je ne puis prétendre prouver, ou que αὐτῶν est une glose maladroite de copiste influencé par la tradition ce qui reste

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