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faisait toujours en char à bœufs (xoμiòǹ twv ispov) (1). Les objets essentiels du culte proprement éleusinien étaient, je crois l'avoir montré, assez petits, assez légers (2), et voyageaient fort aisément dans des corbeilles d'osier, à couvercle assujetti par des bandelettes teintes de pourpre. Mais ce n'est là que la pratique éleusinienne classique, et qui pouvait bien avoir différé ailleurs et d'abord (3), à Argos notamment, où il y aurait eu transfert, jadis, d'une grande et lourde effigie sacrée (ayaλua). Les chariots d'Éleusis, archaïsants, étaient dits eu, et ils étaient à quatre roues pleines (4). Un commentateur de Virgile, Probus, nous a décrit encore ces vétustes plaustra, et il précise au présent leur emploi conti« Adhibitur hoc vehiculum in sacris Caereris arcanae, et id ducunt boves » (5). Pas toujours, néanmoins. En Attique, à la sortie du « défilé mystique », », et pour le passage des Rheitoi, lacs marécageux, un décret du peuple athénien, en 421 (6), prescrivit de construire un pont sur le Rheitos du côté d'Athènes, << afin que les prêtresses pussent porter les objets sacrés en toute sûreté ». Ce pont, nous le savons, avait reçu une largeur de 5 pieds (1 m. 48), intentionnellement (7), « pour que les voitures ne le traversâssent pas », dit le décret. Donc, on descendait là, et les prêtresses devaient alors porter temporairement, à bras ou sur un brancard, certains objets sacrés, en ce passage difficile. On ne doutera guère, quand on a une fois conféré avec le texte d'Hérodote de telles précautions postérieures, de la vraie valeur sainte attribuée primitivement à l'exploit des Jumeaux. Celui-ci n'était pas commémoré à Delphes à simple titre athlétique; Hérodote n'a pas voulu illustrer les deux frères pour une banale (et facile !) performance filiale (transfert à deux d'une charge de 60-70 kil. environ, en char à bœufs, sur une bonne route de deux lieues). De

(1) P. Foucart, Myst. Eleusis, 1914, p. 302-305.

(2) RHR, XCL, 1927, p. 220-255.

(3) A Andania, il y avait aussi un transfert de iepź dans des cistes (IG, V, 1390).

(4) Virgile, Georg., I, 163: << tarda Eleusinae Matris volventia plaustra ». (5) Serv. Comm., ed. Thilo-Hagen (1902, t. III, 2, p. 358 e.)

(6) Ath. Mitt., 1894, p. 146.

(7) L'écartement des moyeux des chars était au minimum de 1 m. 50.

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même la statue de l'Agora d'Argos ne rappelait pas, comme C. Robert l'a trop cru (1), une gaillardise de portefaix. Ici ou là, c'est un acte d'eusebeia, redoutable, dont on avait voulu magnifier le souvenir; tout le long de la voie sacrée d'Argos à l'Héraeon, Cléobis et Biton avaient un jour « porté l'arche » ; ils avaient pris volontairement, peut-être avec une effigie sacrée, de pierre, archaïque, la précaution que la loi d'Attique imposa seulement plus tard au passage des Rheitoi, pour les frêles corbeilles éleusiniennes, destinées, il est vrai, à n'être maniées, et impunément, que par des femmes, les prêtresses de la Procession d'automne ! On comprend ainsi mais pas autrement le rapprochement que faisaient communément les Anciens, du trépas sacré de Cléobis et Biton, de leur aventure mystérieuse et sombre, avec celle, quasi semblable, de Trophonios et d'Agamédès, les bâtisseurs de l'adyton delphique, récompensés par la mort comparaison si caractéristique, qu'il fallait bien tout d'abord éclairer (2).

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Mais est-il vraisemblable, et qu'est-ce qui prouvera, dit-on que la statue de la Mère d'Argos eût ainsi voyagé sur les chemins du Péloponnèse ? D'ailleurs pourquoi une théoxénie supposée chez Héra? C'est ici le lieu de rappeler, il me semble, au moins brièvement, les liens primitifs qui unissaient à la Déméter argienne la déesse de l'Héraeon (3). Il y avait un télestérion à Argos dans l'Héraeon, et l'édifice a probablement été identifié. A quoi servait-il? Les panégyries locales ont dû, au moins avant le grand éclat des fêtes d'Eleusis, ressembler d'assez près aux mystères de l'Attique; Héra et Déméter les présidaient en bon

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(1) Il a diligemment rapproché d'autres exemples de force exceptionnelle >! (2) On m'a rappelé, le 26 nov. 1927, l'historiette non moins célèbre des Eusebeis de Catane, telle qu'elle est racontée, par exemple, dans la description de la Lesché des Cnidiens, Pausanias, X, 28, 2, 4; cf. A. J. Reinach, Rec. Milliet, p. 111, n. 3; ces deux jeunes gens figuraient aussi sur les reliefs inférieurs des colonnes sculptées du temple de Cyzique (temple d'Apollonis, cf. ci-dessus, p. 373, et non d'Apollon, comme il est dit dans la note du Rec. Milliet, et comme on le répète ailleurs); mais le cas est bien différent.

(3) Cf. notamment Polémon, FHG, Didot, III, p. 119, cité par P. Foucart, Myst. Eleusis, p. 36; j'ai montré (REG, XL, 1927, p. 320-396) les raisons historiques du passage de l'Eleusinia par l'Argolide ainsi s'explique l'importance que la religion du salut des âmes conserva là, aussi bien qu'en Crète, d'abord.

accord, et l'on y donnait des banquets mystiques, dont j'ai montré qu'Hérodote s'était au moins souvenu (1). J'ai relevé ailleurs

pays,

et O. Kern de son côté, l'a fait récemment toutes les preuves de l'existence d'un culte démétriaque vivace et fort important dans l'Argolide, où certaines traditions placèrent même l'enlèvement de Coré. Les noms de la Déméter << myrionyme du Pelasgitis, Mysia, Libya (à Charadra, près d'Argos, selon Polémon), attestent une grande faveur, et une haute antiquité de culte, pour la Mère du blé, en cette fertile jachère agricole où la déesse, selon Pausanias (I, 14; II, 22) aurait reçu d'abord l'hospitalité de Pelasgos là où s'était fait aux origines le labourage symbolique des bœufs égyptiens d'Apis (2).

Ces bœufs et leurs chars jouaient un grand rôle dans le culte d'Héra même ; au témoignage de l'Etymol. Magnum, Héra n'étaitelle pas appelée Zeuxidia, à Argos ? Ce que l'Etymologicum raconte pour le labourage égyptien, Polémon l'avait dit aussi, en rappelant les semailles, au même lieu, du blé apporté de Libye; or, cette fois, c'est sous la protection de Déméter, et non d'Héra même, que le souvenir s'était placé ! L'Argolide a certainement été un lieu important du culte d'Héra, mais du moins aussi de la religion démétriaque, unie à elle étroitement; et si Eleusis a triomphé, par les mystères, comme centre de la plus pure gloire des deux déesses, ce fut plus tard, grâce à la politique d'Athènes, et ce ne fut pas sans doute sans longs débats. Solon encore, on l'a vu, associait prudemment à l'histoire du bienheureux Tellos, missionnaire et héros de la propagation de la foi attique, celle des pieux athlètes argiens, qui, au début du vre siècle, avaient honoré Déméter, chez eux, en faisant Γ' ἀρσίς βοῶν et la κομιδὴ τῶν ἱερῶν à travers la vaste plaine que Danaos colonisa (3).

(1) Ci-dessus, p. 370, n. 3. M. S. Reinach a établi justement que le bon accord des déesses n'avait pas duré à Éleusis même, ce qui est instructif. L'entente fut spéciale à l'Argolide, où Héra et Déméter partageaient l'épithète de Proshymnia (Argos, Lerne: cf. RHR, XCV, 1927, p. 225, n. 3 pour Proshymna, Polhymnia, etc.) Polyclète passait pour avoir sculpté les Canéphores argiennes, qui, en Sicile, excitèrent un jour les convoitises de Verrès collectionneur.

(2) Etym. Magn., s. v. Zevtdix.

(3) Un « Trône de Danaos figurait à Argos près de la statue de Biton

On ne sera pas surpris, je pense, de l'équivalence, relative, que j'ai ici posée, ou, si l'on veut, supposée, entre Héra, Déméter et la Terre-Mère (Gé). Пoλλāv dvoμáτwv μopen uía, eût dit Eschyle (1). Ce syncrétisme est bien ancien, et connu ; P. Foucart avait déjà relevé des preuves, multiples, de la constante confusion établie, chez les poètes notamment, entre Gé et Déméter (2). A Éleusis, l'Eleusinia resta toujours la « Mère », et l'acte principal de l'initiation était de rechercher un lien de filiation avec elle : les croyants admis au bénéfice de la télété du 21 Boédromion devaient devenir symboliquement des enfants de la divinité (3). MM. Th. Zielinski et J. Carcopino ont justement relevé que l'Eumolpide Timothéos, à la fin du ure siècle avant notre ère, ne disjoignait pas, dans ses études intéressées, les mythes éleusiniens, et les mythes métroaques de Phrygie (4). Le Métrôon d'Athènes n'avaitil pas servi primitivement au culte même de Déméter? Euripide encore assimilait l'une et l'autre déesse (5); c'est au Métroon d'Agrai que s'installa la célébration des Pré-mystères, ceux du printemps; jusque sur les monuments éphébiques du re et du rer s. av. J.-C., Déméter, Coré, et Méter Théôn forment le plus souvent une triade sacrée (6).

J'ai parlé ci-dessus d'indices sûrs, nous permettant de rétablir le sens symbolique primitif, et, dirait-on, l'« historicité » réelle de la légende des Jumeaux d'Argos. C'est par là, désormais, qu'il convient d'achever, si possible, la démonstration tentée.

porteur du taureau sacré ; c'est Pausanias qui le relève, dans le passage que j'ai utilisé ci-dessus. J'étudierai prochainement l'association des Danaides à la légende éleusinienne.

(1) Prométhée ench., 210.

(2) Myst. Eleusis, 1914.

(3) Dietrich, Mutter Erde, 1905, p. 70.

(4) Arnobe, V, 5; Zielinski, La Sybille; J. Carcopino, Attideia (Mél. Éc. Rome, XL, 1923, p. 322, n. 2).

(5) Hélène, v. 1301-1307.

(6) M. J. Carcopino, dans les études citées ici, a justement fait observer pourquoi Claude ne s'intéressa surtout aux mystères de la Grande Mère et d'Attis, que lorsqu'il eût échoué dans son projet premier celui de transporter Eleusis à Rome : sur la pénétration progressive de la religion métroaque par la religion éleusinienne, cf. déjà H. Graillot, Le culte de Cybèle, p. 504-505.

La version de la piété filiale de Cléobis et de Biton a été si accréditée dès les temps antiques, qu'on eût pu hésiter encore à la mettre en doute même après avoir remarqué le rapprochement avec le cas d'Agamédès et Trophonios! s'il n'y avait pas eu à alléguer ici quelque preuve, établissant comment les Anciens eux-mêmes avaient pu soupçonner, tardivement, il est vrai!

l'état primitif de la tradition peu à peu adultérée. Certains documents m'ont beaucoup encouragé, je dois le dire, à reviser l'opinion devenue par trop traditionnelle. La première preuve décisive de la légitimité d'une nouvelle interprétation me paraît assez importante, car elle provient d'Éleusis même. Je l'ai trouvée par hasard ;; il y a, à gauche de l'entrée du Télestérion, du côté de la voie sacrée, une base de marbre que j'avais été amené à relire directement. Elle n'a pas souvent, d'ailleurs, remarquée, quoiqu'elle soit signalée en dernier lieu par M. K. Kourouniotis, dans son 'Oonyós publié en 1924 (1). C'est une longue inscription honorifique en dix distiques élégiaques, dont la phraséologie, assez pompeuse, et la graphie dénoteraient à elles seules la date : l'époque romaine impériale. On n'a guère besoin, d'ailleurs, de tels indices. Le texte est bien daté; il fut gravé en l'honneur d'une hiérophantide connue par ailleurs (2), Elotoón, prêtresse « hiéronyme », dont le nom, selon la règle, n'est pas ici prononcé. L'inscription citait librement, par contre, ses ascendants et ses descendants parmi les premiers, son père Elraios. qui avait été le maître d'Hadrien. La hiérophantide honorée fut digne de ce père illustre, car nous apprenons qu'elle initia elle-même à Éleusis, à son tour, Antonin le Pieux, puis Commode. Après sa mort, par un décret de l'Aéropage, elle avait obtenu une statue, qui, plus tard détruite, fut restaurée un jour dans le hiéron par ses descendants Callaischros et Glaucos.

(1) P. 34 (avec quelques inexactitudes). Ce texte ne figure pas dans le recueil de Kaibel. Il avait été publié une première fois par D. Philios, E. apy. 1885. p. 147-149. P. Foucart, Myst. Eleusis, p. 213-214, y a fait allusion, mais sans le commenter. Je n'ai pu vérifier s'il était utilisé dans l'étude de Gianelli sur les Romains à Eleusis (Atti dell'Accad. di Torino, 1914-1915).

(2) D. Philios, l. l., inscr. no 16, 1. 7.

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