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D'ailleurs, des mystères autres que celui de la Trinité peuvent être également objets de visions intellectuelles : « Étant un jour en oraison, dit Terese de Ahumada, il me fut en un instant représenté de quelle manière toutes les choses se voient et sont contenues en Dieu » (c. xL, p. 125, col. 2).

Parfois, au lieu d'un mystère, il s'agit d'une sorte de scène abstraitement conçue : « Uue religieuse de ce monastère, dit Terese de Ahumada (c. XXXVIII, p. 119-120), grande servante de Dieu, était morte, il n'y avait pas encore deux jours. On célébrait l'office des morts pour elle dans le chœur; une sœur lisait une leçon et j'étais debout pour dire le verset. A la moitié de la leçon, je vis l'âme de cette religieuse sortir... du fond de la terre, et s'en aller au ciel. Cette vision fut purement intellectuelle. » Parfois enfin, quelque paradoxal que cela puisse paraître, il semble que l'objet de la vision intellectuelle soit en quelque sorte indéterminé, que le mystique ait admirablement compris « quelque chose », sans savoir au juste quoi, ou qu'il ait eu par intuition miraculeuse communication de vérités « admirables » dont il ne peut rien rapporter de précis, n'ayant même pu les saisir sur le moment: << Lorsque dans ces deux dernières demeures Dieu est dans une âme comme dans le ciel empyrée, dit encore Terese de Ahumada, cette âme est ravie hors d'elle-même et se trouve si abîmée dans la joie de le posséder, qu'elle est incapable de comprendre les secrets qu'il expose à sa vue. Mais lorsqu'il lui plaît quelquefois de la tirer de cette extase pour lui faire voir comme en un clin d'œil les merveilles de ce cabinet céleste, elle se souvient, après être entièrement revenue à elle, qu'elle les a vues. Elle ne saurait néanmoins rien dire en particulier de chacune d'elles, attendu que par sa nature elle ne peut rien comprendre au delà de ce que Dieu a voulu, par une manière surnaturelle, lui faire voir de surnaturel. D'après cette manière de l'exprimer, il semblerait que l'âme voie quelque chose par vision imaginaire; cependant ce n'est pas ce que je veux dire, ne parlant ici que de visions intellectuelles » (Chât. Int., 6° d., c. iv, p. 467, col. 2). Le vague

et l'indétermination des idées aperçues, est peut-être encore mieux spécifié dans dans le passage suivant : « Abîmée et absorbée dans cette suprême majesté, que j'avais vue d'autres fois, je connus une vérité qui est le complément de toutes les vérités. Je ne saurais dire comment cela se fit, parce que je ne vis rien » (Vie, c. xL, p. 124, col. 1).

La durée de cette sorte de vision paraît être extrêmement variable. Elle peut être fort courte dans certains cas : « Cette vision, dit Terese de Ahumada, est très utile; malgré sa courte durée, qui n'est que d'un moment, elle demeure profondément gravée dans l'esprit » (Chát. Int., 6o d., c. x, p. 478, col. 2).

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L'état émotionnel pendant ces visions est en tous points comparable à celui qui accompagne les visions imaginaires dans un grand nombre de cas ce sont des impressions de majesté », de « sublime », d'une intensité telle parfois que le sujet dit manquer de termes pour les exprimer; en même temps, c'est un état de bien-être général, d'euphorie, un sentiment de << facilité » et en somme, toutes les émotions qui accompagnent assez communément les états plus ou moins voisins de l'extase.

Je crois devoir établir une catégorie spéciale comprenant toutes les visions intellectuelles où l'objet de l'aperception est, non plus une idée plus ou moins abstraite, mais un personnage surnaturel, vivant et animé en quelque sorte. «< Alors qu'on ne pense nullement à une pareille faveur, dit Terese de Ahumada [1, p. 474, col. 2], que même jamais il n'est venu en pensée qu'on ait pu la mériter, on sent tout à coup près de soi Jésus-Christ Notre-Seigneur, bien qu'on ne le voie ni des yeux du corps, ni de ceux de l'âme. Cette sorte de vision s'appelle intellectuelle, je ne sais pourquoi. » A lui seul un si court passage serait insuffisant pour donner une idée même approximative de cet étrange phénomène : Terese de Ahumada revient à plusieurs reprises sur le même sujet : « Cette faveur, dit-elle dans le Château Intérieur (6 d., c. vi, p. 475, col. 1), quoiqu'inférieure à quelques-unes de celles dont j'ai déjà parlé, a ceci de propre : elle donne une

connaissance particulière de Dieu; le bonheur d'être continuellement dans la compagnie du divin Maître ajoute une extrême tendresse à l'amour qu'elle a pour lui, le désir qu'elle a de s'employer tout entière à son service surpasse celui qui est excité par d'autres faveurs; enfin le privilège de le sentir si près d'elle la rend si attentive à lui plaire, qu'elle vit dans une plus grande pureté de conscience. Nous savons que Dieu est présent à toutes nos actions; mais telle est l'infirmité de notre nature que souvent nons perdons cette vérité de vue. Ici, cet oubli est impossible, parce que Notre-Seigneur qui est auprès de l'âme, la rend sans cesse attentive. à sa présence. »

Il ne s'agit évidemment pas là d'une intuition passagère et de peu de durée, ce n'est pas non plus une impression vague de « présence de quelqu'un quelque part » : le personnage surnaturel, d'une façon permanente, pendant un temps assez long, tient compagnie pour ainsi dire au mystique qui le sent véritablement à côté de lui : « Ayant son Dieu à côté d'elle, dit Terese de Ahumada, il lui était facile de penser habituellement à lui, et voyant qu'il avait constamment les yeux sur elle, elle prenait un soin extrême de ne rien faire qui pût lui déplaire. Lorsqu'elle voulait lui parler, soit dans l'oraison, soit hors de l'oraison, elle le trouvait si près d'elle, qu'il ne pouvait ne point l'entendre; ... elle sentait qu'il était à son côté droit, mais par un sentiment bien différent de celui qui nous fait connaître qu'une personne est à côté de nous. Ce sentiment est si délicat qu'on manque de termes pour l'exprimer ; j'ajoute qu'il est bien plus certain que l'autre, les sens peuvent nous tromper lorsqu'ils nous disent qu'une personne est près de nous, mais ce sentiment ne nous trompe point... » (Chât. Int., 6 d., c. vIII, p. 475, col. 1). La situation du personnage à côté du sujet est encore affirmée à propos d'une autre vision analogue : « Je me recommandais à saint Pierre et à saint Paul, dit la sainte (Vie, c. xxix, p. 88, col. 2) mes glorieux et bien aimés protecteurs, car le Seigneur (lorsqu'il m'était apparu pour la première fois le jour de leur

fête) m'avait dit qu'ils me préserveraient de toute illusion. Aussi je les voyais souvent à mon côté gauche, très clairement, quoique non par vision imaginaire.

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Malgré l'impression de certitude qui accompagne ce sentiment de présence, malgré l'« aspect » en quelque sorte concret qu'il semble revêtir, et malgré même l'extériorité matérielle, la localisation spatiale précise du personnage supposé, il est bien certain qu'en principe, il ne correspond à aucune représentation visuelle particulière, distincte ou confuse : « Que si, dit Terese de Ahumada (Vie, c. xxvII, pp. 32, col. 1) je dis que je ne vois Notre-Seigneur ni des yeux du corps, ni de ceux de l'âme, attendu que la vision n'est point imaginaire, on me demandera sans doute comment je puis savoir et affirmer qu'il est près de moi avec plus d'assurance que si je le voyais de mes propres yeux; je réponds que c'est comme quand une personne, ou aveugle, ou dans une très grande obscurité n'en peut voir une autre qui est près d'elle; toutefois, ma comparaison n'est point exacte, elle n'exprime qu'un faible rapport, car la personne dont je parle acquiert par le témoignage des sens la certitude de la présence de l'autre, soit en la touchant, soit en l'entendant parler ou se remuer; dans cette vision, il n'y a point de cela, point d'obscurité pour la vue, Notre-Seigneur se montre présent à l'âme par une connaissance plus claire que le soleil. Je ne dis point qu'on voie ni soleil ni clarté, non, mais je dis que c'est une lumière qui, sans qu'aucune lumière frappe nos regards, illumine l'entendement, afin que l'âme jouisse d'un si grand bien. »

Les auteurs qui ont affirmé la longue durée de la vision intellectuelle paraissent avoir eu en vue à peu près exclusivement cette forme spéciale; ces visions de personnages, en effet, peuvent se prolonger des semaines et des mois : « Cette vision qui me montrait Notre-Seigneur à côté de moi, dit Terese de Ahumada, fut presque continuelle pendant quelques jours. J'en retirais un très grand profit; je ne sortais pas d'oraison et je tâchais dans toutes mes actions de ne pas

déplaire à celui que je voyais clairement en être témoin »> (Vie..., c. XXVIII, p. 84, col. 2).

Avant de passer aux tentatives d'interprétation, je crois devoir rapporter intégralement le récit de la première vision de ce genre qu'ait eue Terese de Ahumada : « Le jour de la fête du glorieux saint Pierre, étant en oraison, je vis près de moi, ou je sentis, pour mieux dire, car, ni des yeux du corps, ni de ceux de l'âme, je ne vis rien, je sentis, dis-je le Christ près de moi, et je voyais que c'était lui qui me parlait... Il me semblait qu'il marchait toujours à côté de moi; et comme ce n'était pas une vision imaginaire, je ne voyais pas sous quelle forme; mais il était toujours à mon côté droit, je le sentais très clairement : il était témoin de tout ce que je faisais et pour peu que je me recueillisse ou que je ne fusse pas extrêmement distraite, je ne pouvais ignorer qu'il fût près de moi. Je m'en allai aussitôt, quoiqu'il m'en coûtât beaucoup, le dire à mon confesseur. Il me demanda sous quelle forme je le voyais, — je lui dis que je ne le voyais pas. Comment donc, répliqua-t-il pouvez-vous savoir que c'est Jésus-Christ? Je lui dis que je ne savais pas comment, mais que je ne pouvais ignorer qu'il fût près de moi; je le voyais clairement, je le sentais... » (Vie, c. xxvn, p. 81, col. 2). Elle sentait d'ailleurs parfois aussi de la même façon la présence d'autres personnages, notamment saint Pierre et saint Paul : « Je les voyais souvent à mon côté gauche, dit-elle (ibid., c. xxix, p. 88, col. 2), d'une manière très distincte, non par une vision imaginaire. >>

Bien souvent on déplore, et non sans raisons, lorsqu'on étudie la psychologie des mystiques, de ne pouvoir directement observer, ou au moins interroger les sujets eux-mêmes; on se trouve ordinairement en présence de récits faits en vue d'un tout autre but que la recherche psychologique, on ne peut faire préciser les détails qui paraissent vagues, ni éclairer, en variant les interrogatoires, les données qui paraissent obscures. J'ai pu fort heureusement observer, il a quelques années, une jeune fille catholique de vingt-trois

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