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ans qui, élevée au couvent jusqu'à sa vingt-et-unième année et se destinant à la vie religieuse, avait, à une certaine période de sa vie, manifesté de fréquents et très caractéristiques phénomènes mystiques; actuellement, elle se prétend libérée de toute croyance religieuse et j'ai pu obtenir sans. trop de difficultés le récit complet et détaillé de ce qu'elle avait éprouvé. Entre autres phénomènes extraordinaires, elle avait eu maintes fois cette même intuition indéfinissable d'un personnage invisible l'accompagnant partout. A plusieurs reprises, je l'ai soigneusement interrogée sur ce point particulier; voici la reproduction textuelle de l'un de nos entretiens « Dans la journée, dit-elle, mais surtout le soir, j'étais toujours en communication soit avec mon ange gardien, soit avec Dieu, ou avec la Sainte Vierge : j'étais toujours en compagnie. Que voulez-vous dire par là? - Que je sentais quelque chose de surnaturel auprès de moi et en moi-même. » Et elle me demande si c'est là ce qu'on appelle une hallucination. «Est-ce que, lui dis-je, vous avez vu votre ange gardien? Oui, je le voyais auprès de moi en imagination. Pourquoi dites-vous << en imagination »? — Parce que je ne le voyais pas à proprement parler, mais j'étais convaincue qu'il existait auprès de moi un être, un esprit, un être invisible qui 'était là exprès pour me garder... Je comprends très bien cette chose de l'ange gardien... Mais vous ne le voyiez pas, même en imagination, même comme un rêve? — Non, pas à cette époque. Alors vous croyiez simplement à la présence de votre ange gardien auprès de vous comme tout bon catholique? - Ce n'est pas la même chose, je le sentais auprès de moi. Vous le sentiez près de vous, mais auriezvous pu dire de quel côté il était? - De quel côté? à droite ou à gauche?- Toujours à droite! » Et elle insiste beaucoup sur le fait que cette présence était à droite, nous verrons pourquoi plus loin. Je lui lus différents passages de Terese de Ahumada sur les visions intellectuelles. « Est-ce ainsi, lui dis-je, que vous apparaissait votre ange gardien? Oui, oui, oui dit-elle avec vivacité, mon ange gardien je le sen

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lais à chaque minute, comme si j'avais comme un instinct qu'il était là. Ce sentiment de présence de votre ange gardien était-il tout à fait involontaire? Tout à fait involontaire ». Tant d'après cet interrogatoire que d'après les fréquentes conversations que j'ai eues avec elle, je suis arrivé à me convaincre que le phénomène ainsi décrit était bien du même ordre que celui dont parle sainte Thérèse, peut-être était-il seulement moins intense.

Ainsi les visions intellectuelles de la première catégorie semblent consister en une sorte d'interprétation qui se présente à l'esprit du sujet; celles de la deuxième catégorie semblent être des faits de compréhension en rapport avec des idées plus ou moins abstraites; enfin celles de la troisième catégorie consistent en un sentiment de présence d'un être surnaturel dans un endroit déterminé.

Ces trois catégories de visions semblent donc extrêmement différentes. On pourrait même se demander pourquoi les théologiens ont ainsi réuni sous une même rubrique des phénomènes aussi divers, s'ils ne présentaient en réalité un certain nombre de caractères communs.

D'abord, ce sont comme tous les phénomènes mystiques des faits psychiques absolument indépendants de la volonté. En second lieu, tous semblent impliquer dans une certaine mesure une connaissance plus ou moins clairement déterminée, communiquée au sujet et non acquise par le raisondement; cette connaissance est donnée au sujet avec une certitude absolue et elle ne s'accompagne, semble-t-il, d'aucune perception ni représentation nette, elle n'est pas fondée sur des images.

Mais malgré ces ressemblances, je ne pense pas que l'on puisse trouver une explication ou une interprétation convenant à la fois aux trois catégories et je continuerai à les examiner séparément.

II

Les visions de la première catégorie ne présentent rien de très mystérieux et n'offrent, à mon avis, aucun difficulté d'interprétation. Elles paraissent identiques, en effet, à certaines explications immédiates et spontanées qui apparaissent à chaque instant dans les rêves : le dormeur voit un objet ou un personnage dont il ignore de prime abord la nature, le rôle, la signification, puis, un instant après, sans qu'il ait eu besoin de faire un raisonnement ni même un effort intellectuel quelconque, tout uniment, la signification lui apparaît soudain (cf. Leroy et Tobolowska, juin 1901 pp. 479 et sq.). Il n'est personne qui n'ait eu des rêves construits d'une façon plus ou moins analogue à la vision des deux trônes rapportée par Terese de Ahumada, et que j'ai citée tout à l'heure. Cette idée que le trône vide était le siège de la divinité est une explication comme il s'en présente fréquemment en rêve; elles sont quelquefois assez raisonnables, quelquefois parfaitement saugrenues, mais toutes offrent ceci de particulier qu'elles se présentent spontanément à l'esprit et sans effort volontaire; j'ai montré ailleurs que cette tendance à l'interprétation automatique jouait un rôle essentiel dans le mécanisme du rêve. Chez les mystiques, ces interprétations prennent une forme en quelque sorte enthousiaste, elles sont accompagnées d'émotions spéciales que l'on ne rencontre pas souvent dans les rêves normaux; cet enthousiasme et, d'une façon générale, cette exaltation émotive paraissent être liés en réalité à l'état spécial où se trouve le sujet, état d'extase ou état plus ou moins analogue à l'extase.

III

Les visions intellectuelles de la deuxième catégorie, beaucoup plus mystérieuses d'apparence, sont aussi d'interprétation moins facile.

Il est d'abord certain qu'elles ne constituent pas des phénomènes de compréhension véritable, complète. Sans doute, pour celui qui en est favorisé, la vision intellectuelle consiste essentiellement (ou du moins semble consister) dans le fait de comprendre quelque chose; mais bien souvent, dès que l'impression s'est dissipée, il ne se rappelle ni comment il a compris, ni ce qu'il a compris il se souvient seulement d'avoir compris quelque chose de merveilleux, et n'en peut dire davantage; même dans les cas où persiste avec une certaine précision le souvenir de ce qui a été compris, jamais le mystique ne peut fournir la preuve de son intuition en donant une explication claire et adéquate du problème; ses prétendues explications, quand il tente d'en donner, consistent en métaphores forts obscures, moins claires parfois que ce qu'il aurait pu dire sur le même sujet avant d'avoir reçu des « lumières surnaturelles »; je rappelle enfin que la donnée du problème qu'il croit avoir compris n'avait en réalité, dans certains cas, aucun sens précis.

On peut même douter que la vision intellectuelle doive être, en bonne nomenclature, rangée parmi les phénomènes intellectuels véritables. L'absence (supposée totale) de représentations sensorielles est en contradiction avec tout ce que nous connaissons du fonctionnement normal de l'intelligence dans la réflexion, le raisonnement, la compréhension même des idées abstraites.

En revanche, l'exagération des phénomènes émotifs, leur prédominance manifeste, nous inclinent à penser que c'est parmi les états où prédomine l'exaltation émotive qu'il faut chercher la place de la vision intellectuelle portant sur des vérités abstraites.

En somme, nous sommes à priori amenés à penser qu'il peut y avoir dans la «< vision intellectelle des vérités abstraites », une manifestation anormale d'un sentiment intellectuel, le sentiment de comprendre; cette manifestation se produirait exactement comme celles que j'ai déjà étudiées pour le sentiment de reconnaître, de ne pas reconnaître, etc.

Reste à vérifier cette hypothèse par la comparaison de faits plus ou moins analogues.

Pour interpréter un phénomène mental dont on ignore la nature exacte, la méthode la plus rationnelle et la plus féconde ordinairement, consiste à le considérer et à l'étudier dans son milieu même, sans l'isoler des autres faits qui, chez le même sujet ou chez des sujets analogues, peuvent attirer l'attention; en d'autres termes, on doit avant tout chercher à quelle classe psychologique appartient l'état d'esprit au milieu duquel se manifeste le phénomène. Lorsqu'il s'agit, comme ici, de phénomènes mystiques, ces états sont tous plus ou moins voisins de l'extase, et leur étude, extrêmement difficile, ne peut être tentée ainsi, accessoirement; nous ne pourrons donc appliquer la méthode normale que d'une façon approximative, d'une part en déterminant de manière très générale les conditions du phénomène, d'autre part en cherchant quels états sont caractérisés par des phénomènes analogues, mais sans en faire une étude approfondie.

Les émotions d'enthousiasme intellectuel, de facilité des opérations mentales, d'euphorie en général, paraissent accompagner constamment la vision intellectuelle des vérités abstraites; or, ces mêmes émotions apparaissent très nettement dans certains rêves et dans certains sommeils toxiques sans être amenés aucunement par un mécanisme logique. Il serait intéressant de savoir si elles ne peuvent s'accompagner alors de phénomènes de compréhension, ou plutôt de pseudo-compréhension analogues à la vision intellectuelle.

Il est même, en outre des simples dormeurs et des intoxiqués, une troisième catégorie de sujets chez lesquels on rencontre, à de rares intervalles, il est vrai, des états émotifs comparables plus ou moins à ceux des mystiques; ce sont les psychasthéniques si remarquablement observés et analysés par M. Pierre Janet; il y aurait certainement lieu de mettre en parallèle les « visions intellectuelles » elles-mêmes, avec

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