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demeura pour moi comme l'unique perception de réalité. Toute autre chose peut être un rêve, mais cela non ».

Deux points me paraissent particulièrement remarquables dans cette observation le premier, c'est ce sentiment d'ineffable bonheur qui rappelle assez exactement ce que décrivent les mystiques; le second, c'est que l'être dont la présence est «< sentie », si indéterminé soit-il à certains points. de vue, a néanmoins une sorte de caractéristique psychologique : c'est un être grandiose et puissant.

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J'ai recueilli la description de phénomènes assez analogues observés chez une malade présentant d'ailleurs une foule d'autres anomalies psychiques formant un ensemble extrêmement complexe; c'était une jeune fille intelligente, mais sans culture, et voici comment elle s'exprimait : « Lorsque j'ai parlé à des personnes, il me semble que leur esprit me suit. - Que voulez-vous dire ? Que si j'ai parlé avec elles, alors je les sens près de moi. Si vous leur avez parlé comment? Si vous avez parlé à qui? — Si j'ai parlé avec des amis, ou avec des personnes... n'importe quelle conversation... D'ailleurs, il me semble toujours qu'un esprit me suit, et c'est alors que je fais des prières. - Quel esprit vous suit ainsi? — Il me semble que ce sont des mauvais esprits. Quand ça me poursuivait comme ça, il me semblait que j'étais ensorcelée ». L'interprétation, proposée en quelque sorte, par cette malade, tendant à attribuer au diable ce phénomène qu'elle ne comprend pas, n'a pour nous ici aucune importance. La seule chose qui nous intéresse, c'est quelle se sent suivie par uu personnage invisible, ayant, à son avis tous les caractères. d'un esprit. Je dis qu'elle se sent suivie, car, très certainement, d'après l'interrogatoire très serré que je lui ai fait subir, il s'agit bien ici, non d'une conviction délirante, mais, tout comme dans les cas de William James, d'une impression spéciale la malade ne délirait pas le moins du monde, ni sur ce point, ni sur aucun autre. Dans ce cas en outre, comme dans ceux qu'a rapportés William James, il n'y a ni hallucination visuelle, ni hallucination auditive ni même représen

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tation sensorielle méritant d'être signalée; la malade, néanmoins, pour rendre son récit plus clair, pour exprimer le moins mal possible ce phénomène indescriptible, emploie des expressions semblant trahir des représentation visuelles spéciales accompagnant le phénomène principal; ainsi, par exemple: << C'était comme une ombre noire qui allait me tomber sur le dos », dit la malade. Vous l'avez donc vue, lui dis-je, vous avez donc vu quelque chose? Je n'ai rien vu, répond-elle, mais il me semblait qu'il y avait une ombre noire ». Elle ajoute d'ailleurs que, s'il y avait eu quelque chose de visible, elle-même ne l'aurait pu voir, puisque cela se passait derrière son dos ; les mots « ombre noire » n'impliquent donc pas qu'il y ait eu un phénomène visuel, de quelque nature que ce soit. De telles expressions, prises en somme dans un sens symbolique, sout employées uniquement pour faciter l'exposition de faits psychologiques inexplicables et indescriptibles: on ne saurait mieux les comparer qu'aux expressions analogues employées par certains aveugles-nés éduqués; ces infirmes, en général, et Elen Keller elle-même aveugle-sourde-muette de naissance, parlent fréquemment dans leurs compositions littéraires de vertes prairies, de papillons << diaprés de mille couleurs », ou de resplendissants couchers de soleil; ce n'est pas pur psittacisme ces termes correspondent pour eux à certaines émotions déterminées ou à certaines perceptions confuses; ils ont une valeur symbolique.

Ce qui montre le mieux que, dans les descriptions relatives au sentiment de présence, les expressions semblant traduire des phénomènes visuels peuvent n'avoir qu'une valeur symbolique aussi, c'est qu'on les trouve employées par l'aveugle même dont William James a rapporté l'observation dépourvue de toute imagerie visuelle, il n'en savait pas moins que l'être dont il sentait la présence « portait toute sa barbe qui, ainsi que ses cheveux épais et bouclés, était partiellement grise; il le savait aussi vêtu d'un complet poivre et sel; ces détails étaient invariables, et chaque fois parfaitement clairs. Si l'on demande à M. P. comment il les

percevait, il répond qu'il ne le saurait dire, mais qu'il en avait connaissance avec assez de force et de clarté pour que son opinion là-dessus fût inébranlable. »><

Il est pourtant des cas où le sentiment de présence est associé à des hallucinations visuelles. Une autre personne citée par William James eut l'impression qu'un individu se trouvait placé derrière son fauteuil, dans une position telle qu'elle ne pouvait pas le voir, puis, tournant ses regards de ce côté, elle aperçut derrière la table deux jambes, à l'endroit où se localisait pour elle la « présence » en question; il y avait en somme à la fois et comme superposés, sentiment de présence et hallucination visuelle, l'hallucination ayant été, semble-t-il, amenée par le sentiment de présence. J'ai jadis (22 avril 1897) étudié une malade sujette à une impression bizarre que j'avais qualifiée d'impression de dédoublement; à certains moments, elle se sentait double: étant occupée, par exemple, à faire le ménage, il lui semblait tout à coup n'être plus là ou réellement se trouvait son corps; elle était en face, en face d'elle-même, disait-elle. Elle éprouva cette impression de dédoublement dix ou douze fois peutêtre, une seule fois l'impression fut accompagnée par une hallucination visuelle, c'est-à-dire que la malade en même temps se vit devant elle-même, comme si elle se fût trouvée en face d'une glace; très certainement dans ce cas, l'impression de dédoublement était la cause immédiate qui avait entraîné l'hallucination visuelle; rien ne me paraît s'opposer à ce que, de la même façon, le sentiment de présence amène par association une image visuelle hallucinatoire.

Il semble qu'il soit à peu près impossible de se représenter de telles apparitions abstraites si l'on n'en a pas quelqu'expérience personnelle; aussi, l'interprétation psychologique de ces singuliers phénomènes paraît à première vue extrêmement difficile. Je crois néanmoins qu'il n'est pas impossible d'en faire l'analyse, de les décomposer en un certain nombre de phénomènes plus simples, dont chacun peut facilement rentrer dans une catégorie connue.

Tout d'abord, il est bien certain qu'il ne s'agit pas là d'hallucinations, au sens où l'entendent habituellement les psychologues et les médecins; évidemment, on pourrait élargir le sens du mot hallucination jusqu'à y faire rentrer de tels phénomènes, mais ce serait à mon avis une faute de méthode, et nous n'en serions d'ailleurs pas plus avancés, quant à l'interprétation proprement dite. On n'a le droit de parler d'hallucinations que lorsqu'on se trouve en présence de représentations analogues à celles qui caractérisent la perception vraie; or, le phénomène que nous étudions paraît caractérisé précisément par l'absence de représentations des sens externes, par l'absence de perceptions nettes, vraies ou fausses.

William James cependant, dans ses « Principes de psychologie » avait placé l'observation de M. P. en note à la fin du chapitre consacré à la perception du réel (c. xx1). « Mon attention, disait-il, a été récemment attirée par une série de faits que je ne sais guère comment traiter, aussi en dirai-je un mot dans cette note. Il s'agit d'un type d'expériences qui a fréquemment trouvé place parmi les réponses affirmatives faites au «< recensement des hallucinations » et qui est généralement décrit comme un « sentiment de présence »... et William James termine sa note en disant que le phénomène en question lui paraît devoir être considéré comme une «< conception à laquelle est attaché le sentiment de réalité présente, mais sous une forme telle qu'il ne peut être rangé facilement sous aucune rubrique du présent travail (T. II, ch. xxi, p. 321). Le même auteur, dans son ouvrage sur Expérience religieuse » laisse voir moins d'embarras, il qualifie simplement le phénomène en question d'hallucination incomplète, et le paragraphe qu'il y consacre commence ainsi : « Les plus curieuses preuves qu'il y ait touchant l'existence d'un sentiment indifférencié de réalité, sont celles qui ressortent des cas d'hallucinations; il est des hallucinations imparfaitement développées : la personne affectée sent alors une présence, etc. (pp. 58 el 59).

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Divers phénomènes ont été ainsi qualifiés d'hallucinations incomplètes; les plus connus sont ceux que l'on appelle également pseudo-hallucinations de Kandinski. Je ne crois guère à l'existence de ces prétendues pseudo-hallucinations; les phénomènes décrits sous ce titre me paraissent être tantôt des hallucinations véritables et complètes, tantôt des représentations n'ayant rien d'hallucinatoire; mais, admit-on même la spécificité des hallucinations de Kandinski, ni les phénomènes décrits par William James, ni les visions intellectuelles des mystiques ne leur ressemblent. L'hallucination. de Kandinski serait une hallucination dans laquelle le malade voit devant lui un objet ou un personnage qu'il peut décrire, mais qu'il sait ne pas exister réellement; il prend ce qu'il voit ainsi pour une sorte de fantasmagorie; bref, ce seraient des hallucinations n'ayant pas la commune apparence de parfaite réalité objective. Or, dans les cas étudiés ici, nous remarquons exactement l'inverse : les phénomènes de représentation font défaut ou sont accessoires, alors que la conviction d'une présence réelle et objective tend à se produire avec une extrême intensité, plus fortement même qu'en présence d'objets matériels; appeler pseudo-hallucinations de tels phénomènes, serait donc s'exposer à des confusions graves.

D'autre part, on ferait preuve de grande légèreté en ne voulant voir dans les visions intellectuelles rien autre que la croyance ferme à la présence d'un certain personnage surnaturel. Tout chrétien croit à l'omniprésence de Dieu, tout catholique à l'existence d'un ange gardien l'accompagnant sans cesse; mais si fermes que soient leurs convictions, elles n'ont pas de lien direct avec le sentiment de présence tous ceux qui l'ont éprouvé insistent bien sur ce point, qu'il renferme quelque chose de plus qu'une croyance banale, implicite ou exprimée, et d'ailleurs, s'il en était autrement, ils n'auraient guère pu présenter ce phénomène comme incompréhensible et ineffable. La volonté, en outre est sans influence sur lui la présence est sentie sans avoir été le

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