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L'attitude de Paul paraît être restée l'attitude officielle du christianisme primitif. L'auteur des Pastorales recommande lui aussi de prier pour les autorités et de leur rester fidèlement soumis.

Je t'exhorte avant tout à faire des prières, supplications, intercessions et actions de grâce pour tous les hommes, pour les rois, pour tous ceux qui sont au pouvoir, afin que nous puissions vivre paisiblement, tranquillement, en toute piété et toute honnêteté'.

Rappelle aux fidèles qu'ils ont à se soumettre aux autorités, aux puissances, et qu'ils doivent leur obéir...'

Un autre paulinien, le médecin Luc, racontant la vie du Seigneur et les gestes des apôtres, relevait avec un grand zèle apologétique la bienveillance équitable des autorités romaines vis-àvis du christianisme naissant. Les Juifs sont seuls responsables de la mort de Jésus. Le procurateur avait reconnu son innocence et il désirait le sauver; mais il a dû l'abandonner aux anhédristes'. De même Festus avait écouté favorablement le message de Paul, et il aurait relâché l'apôtre s'il n'en avait appelé à César. Les chrétiens n'étaient donc pas des ennemis de l'Empire, et l'Empire n'était pas hostile aux chrétiens.

Cependant les événements devaient démentir cet optimisme. Bientôt les chrétiens seront calomniés par les payens et poursuivis par l'autorité comme des malfaiteurs. N'importe, ils restent jusqu'au bout des sujets fidèles, n'opposant aux persécutions que l'admirable patience de leurs martyrs. N'est-ce pas un suffisant privilège que d'avoir pris part aux souffrances du Christ.

Soumettez-vous à cause du Seigneur à toutes les autorités instituées par les hommes, au roi comme souverain, aux gouverneurs comme délégués par lui pour châtier les malfaiteurs et approuver les gens de bien, C'est la

Corinthe contre la haine des Juifs qui devaient le traîner devant le proconsul Gallion. Mais sans doute est-ce là beaucoup trop préciser les traits d'une tradition secrète compréhensible aux seuls initiés. Le xatéxwv était comme l'Anti-Christ un héros d'apocalypse.

1) I Timothée II 1. 2.

2) Tite III. 1.

3) Cette tendance anti-juive est plus sensible encore dans l'Évangile de Jean. Pilate cherche à plusieurs reprises à sauver Jésus. Voir l'étude de Goguel Les chrétiens et l'empire romain à l'époque du N. T. 1908 p. 40 à 48.

volonté de Dieu que, par votre bonne conduite, vous imposiez silence aux insensés qui vous méconnaissent Comportez-vous en hommes libres, non en homines dont la liberté n'est qu'un voile qui cache le vice, mais en serviteurs de Dieu. Soyez respectueux pour tout le monde, aimez les frères, craignez Dieu, respectez le roi1.

Mes biens-aimés ne soyez pas surpris de l'incendie qui s'allume au milieu de vous pour vous éprouver comme s'il arrivait quelque chose d'étrange, mais réjouissez-vous d'avoir part aux souffrances du Christ... Si vous êtes outragés pour le nom du Christ vous êtes heureux. Qu'aucun de vous ne soit puni comme meurtrier, comme voleur, comme malfaiteur, comme s'ingérant dans les affaires d'autrui, mais si quelqu'un souffre comme chrétien, qu'il n'en rougisse pas, qu'il glorifie Dieu au contraire de porter ce nom-là ?

Vers la même époque Clément de Rome écrivant aux Corinthiens leur proposait cette belle prière pour les princes et ceux qui gouvernent la terre.

Rends-nous soumis

A ton nom très puissant et très excellent,

A nos princes et à ceux qui nous gouvernent sur la terre.
C'est toi, Maître, qui leur as donné le pouvoir de la royauté,

Par ta magnifique et indicible puissance,

Afin que connaissant la gloire et l'honneur que tu leur as départis,
Nous leur soyons soumis,

Et nous ne contredisions pas à ta volonté!

Accorde leur, Seigneur, santé, paix, concorde, stabilité,

Pour qu'ils exercent sans heurt la souveraineté que tu leur as remise.

Car c'est toi, Maître céleste, roi des siècles,

Qui donnes aux fils des hommes

Gloire, honneur, pouvoir sur les choses de la terre.

Dirige, Seigneur, leur conseil suivant ce qui est bien,

Suivant ce qui est agréable à tes yeux,

Afin qu'exerçant avec piété

Dans la paix et dans la douceur

Le pouvoir que tu leur as donné,

Ils te trouvent propice'.

Cette constante affirmation d'obéissance et de fidélité reviendra à toutes les pages de la littérature apologétique. Aristide, Justin rappellent à l'empereur qu'en dépit de la calomnie et des

1) I Pierre II 13 à 17.

2) I Pierre IV 12 à 16.

3) I Clément LX. 4. LXI. 1. 2.

préjugés populaires il n'y a pas de sujets plus irréprochables que les chrétiens.

Vous trouverez en nous, écrit Justin, les amis et les partisans les plus zélés de la paix'.

Il ne faut pas cependant se méprendre sur l'importance de ces déclarations. Elles n'étaient pas une reconnaissance de la valeur de l'État. Sans doute l'imperium est un fait, une institution voulue de Dieu... Dieu a etabli les rois et les magistrats pour gouverne la société terrestre. Cette société n'en est pas moins mauvaise. Elle doit un jour disparaître, elle est mûre pour la destruction. Dès lors qu'importe au chrétien l'organisation politique. Sa soumission aux puissances établies ne saurait être que l'adhésion provisoire à un régime passager.

En réalité le chrétien appartenait à Christ et non à l'État. Le principe fondamental de la cité antique Salus rei publicae suprema lex esto! ne pouvait être accepté par l'homme spirituel. Il pouvait se soumettre à la loi, mais son âme restait libre. Il pouvait payer l'impôt et prier pour les gouvernants, mais son zèle civique ne pouvait pas aller plus loin. Or cette obéissance passive ne suffisait pas à la patrie romaine. L'État a besoin de citoyens actifs, de magistrats et de soldats, et non pas seulement de sujets résignés. Lorsque Justin dans sa première apologie proteste que les chrétiens ne cherchent pas un royaume humain mais qu'ils attendent le Royaume de Dieu, il veut montrer que l'Eglise n'est pas un parti de révolutionnaires, mais il affirme aussi que les chrétiens sont des idéalistes irréconciliables auxquels les réalités politiques de l'heure restent étrangères.

Notre espérance n'est pas de ce temps présent 2...

La Cité de Dieu dominait infiniment le cadre de la cité terrestre. Le Royaume qui vient du ciel doit s'étendre bien audelà des frontières de l'Empire, il embrasse l'humanité, ceux d'Orient et ceux d'Occident, les Romains et les Barbares. Et avec une clarté et une audace sereines, l'auteur anonyme de l'Epître à Diognète expose le programme de cet internationalisme chrétien.

1) I Apologie XII. 1.

2) Justin I. Apologie XI, 2.

Les chrétiens ne se séparent des autres hommes ni par le territoire, ni par la langue, ni par les habitudes extérieures, et pourtant ils mènent aux yeux de tous un genre de vie admirable et qui tient du prodige. Ils résident chacun dans sa patrie, mais comme s'ils ne faisaient qu'y passer; ils parti cipent à tout comme citoyens, ils endurent tout comme étrangers. Point de contrée étrangère qui ne leur soit une patrie, point de patrie qui ne leur soit étrangère... On les maudit et ils bénissent; on les outrage et ils ne répondent que par le respect. Ils font le bien et on les condamne à mort comme des scélérats; mais condamnés à mort ils se réjouissent, parce que dans la mort ils trouvent la vie. Les Juifs les haïssent comme des payens, et les payens les persécutent, mais leurs ennemis ne sauraient préciser le motif de leur haine. Bref ce que l'âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde. L'âme est répandue par tous les membres du corps, les chrétiens sont disséminés par toutes les villes du monde. L'âme réside dans le corps, mais elle ne provient pas du corps, les chrétiens habitent dans le monde, mais ils ne sont pas du monde1.

Et à la fin du siècle Tertullien exprimera la même pensée avec un laconisme impitoyable.

Pour nous chrétiens rien n'est si étranger que la république. Nous ne reconnaissons qu'une république, celle de tous les hommes, le monde'.

Ainsi malgré la prudence conciliante des sages, le divorce devait s'affirmer entre l'idéal chrétien et l'idéal antique. Ce divorce, les chrétiens ont pu ne pas le désirer, ils n'ont même pas toujours soupçonné la portée révolutionnaire de leurs principes. La séparation n'en était pas moins nécessaire et radicale. Qu'y avait-il de commun entre les deux cités, entre le César et le Christ!

L'indifférence des chrétiens vis-à-vis de la politique romaine devait, devant les prétentions de la religion impériale, se changer en protestation indignée.

Nous savons par les témoignages de Tacite et de Suétone que les abus de l'apothéose împériale scandalisèrent les consciences droites et les esprits éclairés, même parmi les payens. Lorsque l'empereur divinisé s'appelait Trajan, Antonin, Marc-Aurèle, on pouvait en célébrant son culte exalter les sentiments de gravité

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2) Tertullien Apol. XXXVIII. Voir l'étude très complète de Guignebert: Tertullien et ses sentiments à l'égard de l'empire et de la société civile 1901 Conf. p. 182.

romaine et de grandeur morale. Mais plus d'une fois il arriva que l'avilissement du prince devint trop profond pour ne pas compromettre la valeur de la religion officielle.

Caligula prenait tragiquement au sérieux sa divinité et il faisait condamner aux mines ceux qui ne l'adoraient pas avec assez de zèle.

, Caligula fit venir de Grèce les statues des dieux les plus célèbres pour leur perfection ou par le respect des peuples, entre autres celle de Jupiter Olympien. Il leur fit ôter la tête et mettre à la place celle de ses statues... Quelques-uns le saluaient du nom de Jupiter latin. Il eut un temple, des prêtres et les victimes les plus rares... Les plus riches citoyens briguaient avidement ce sacerdoce1.

Néron institua un culte en l'honneur de Poppée qu'il avait tuée d'un coup de pied, et le vertueux Thrasea fut condamné à mort parce qu'il refusait de jurer par les actes du divin Auguste et du divin Jules et de croire en la divinité de Poppée'.

Domitien fut un dieu jaloux. Il s'attribua dans ses actes publics, et même dans la vie ordinaire les appellations de Seigneur et de Dieu.

Lorsque Domitien fut parvenu à l'empire, il osa dire au Sénat que son père et son frère n'avaient fait que lui rendre ce qu'il leur avait donné... Il poussa l'insolence jusqu'à dicter une lettre au ministre : « Notre Seigneur et notre Dieu ordonne »..., et depuis ce jour là il fut ordonné qu'on l'appellerait ainsi

Mais pour les chrétiens il n'importait que le maître fût bon ou mauvais, sage ou fou; les adorations qu'on lui rendait étaient une impiété et un blaspheme. Il n'y avait qu'un seul Dieu, On ne pouvait faire d'un homme un dieu dieu Les dieux payens n'etaient que de vaines idoles ou des démons. Le chrétien ne pouvait sacrifier aux démous.

Déjà les Juifs avaient ouvertement résisté. Lorsque Pilate avait voulu introduire dans Jérusalem les enseignes romaines portant l'image impériale, le peuple s'était révolté. Sous Caligula, les Juifs de Jamnia renversèrent un autel qu'on avait élevé en l'honneur du César Dieu. Dans sa colère l'empereur ordonna au légat

1) Suétone Caïus Caligula XXII. 2) Tacite Annales XVI 22,

3) Suétone Domitien XV V. Beurlier

op. cit. p. 27 à 40.

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