Slike strani
PDF
ePub

LA

CHRISTOLOGIE BIBLIQUE ET SES ORIGINES

Où les communautés dont ils s'agit ont-elles puisé l'idée du nouveau titre accordé à Jésus-Christ, de la dignité qui s'y exprime et du culte qui s'est greffé là-dessus? On en a cherché. le plus souvent l'origine dans l'Ancien Testament grec, où << Seigneur » rend le nom de Jahvé, le nom propre du Dieu d'Israël. Mais cette dérivation laisse inexpliqué le point cardinal du problème : comment les chrétiens pouvaient-ils simplement appliquer à Jésus de Nazareth le nom du seul vrai Dieu et sauter ainsi à pieds joints par-dessus la barrière colossale qui séparait les deux? Il faut remarquer aussi que nulle part, dans la littérature juive, le Messie ne porte le titre de Seigneur. La piété se manifeste d'ailleurs toujours dans le culte et la vie pratique, avant de passer à la théorie. C'est dans le culte que Jésus devint d'abord le Seigneur; après coup seulement se fit sentir le besoin de justifier cet usage par des considérations scripturaires et autres.

Si l'Ancien Testament et le judaïsme ne fournissent point une réponse satisfaisante à la question posée, cette réponse se présente autre part d'elle-même. Depuis longtemps, on a remarqué les analogies frappantes qui existent entre le culte du Seigneur Jésus et le culte d'autres Seigneurs en grand nombre qui furent adorés dans le monde oriental d'abord, dans le monde gréco-romain ensuite. La grande distance que l'ancien

Orient établissait entre les sujets et leurs souverains, a créé le culte de ces derniers, réputés dans certains pays l'incarnation même de la Divinité. A partir d'Alexandre le Grand, ces idées et usages se répandirent parmi les Grecs. Ce grand conquérant, puis les Diadoques, les Ptolémées en Égypte et les Séleucides en Syrie, en ont bénéficié. Il en fut de même des empereurs romains, déjà à partir d'Auguste. Et le titre de Seigneur jouait un grand rôle dans ce culte des souverains. Ce titre fut également donné à beaucoup de dieux et même le titre grec, au féminin, à nombre de déesses. C'est manifestement sous l'influence de ces usages en Égypte, en Syrie et dans l'empire romain que les paganochrétiens ont attribué la divinité au Christ et l'ont appelé le Seigneur. Cela ne s'est pas fait à la suite de longues ou profondes réflexions théologiques, mais en quelque sorte spontanément, pour répondre à un besoin pratique de la piété. A tous les nombreux dieux et seigneurs, adorés partout dans le monde ambiant, les paganochrétiens, pour accentuer la supériorité de leur foi et la faire triompher autour d'eux, ont opposé le Seigneur Jésus-Christ, comme plus puissant qu'eux tous ou même comme le seul vrai Seigneur. Et cela, explique pourquoi ce titre ne se rencontre pas sur le sol palestinien, dans l'ancien judéo-christianisme, où l'on aurait aussi pu placer difficilement à côté de Dieu, objet principal ou unique du culte, un second Seigneur, centre et objet du culte. Un tel procédé n'était en réalité possible ou admissible que parmi des populations où le monothéisme juif ne dominait pas les esprits ou n'apparaissait qu'à l'arrière-plan de la piété1.

Si le titre de Seigneur appliqué à Jésus-Christ ne fut pas emprunté à l'Ancien Testament, mais aux usages païens, c'est sans doute sous cette même influence que « Jahvé » avait déjà

[ocr errors]

1) Bousset, Kyrios Christos, p. 108-121. Comp. Holtzmann, Theologie, 1, p. 117 s.; Staerk, ouv. cité I, p. 71 ss.; J. Weiss, Christus, p. 24-26; Toutain, Les cultes païens dans l'empire romain, I, p. 25 ss., 43-179; Rouffiac, Caractères du grec dans le Nouveau Testament, p. 67 ss., 75-77; Felten, Neutestamentliche Zeitgeschichte, II, p. 513-522.

été rendu par « Seigneur » dans la Bible grecque. La même atmosphère spirituelle aura produit le même effet ici et là. Indépendamment de cette considération, les chrétiens hellénistes aimaient assurément à retrouver dans le recueil sacré des Juifs, devenu leur propre Livre saint, le titre qui avait prévalu dans leurs Églises pour désigner le Christ. Et cette concordance entre la foi chrétienne et celle de l'ancien Israël, rehaussa naturellement beaucoup la valeur et l'importance du titre, qui fut revêtu ainsi de l'autorité divine attribuée aux Écritures.

Une autre conséquence en fut que la limite entre Jahvé, Dieu d'Israël, et le Christ s'effaça peu à peu, les deux portant le même titre de Seigneur dans les milieux paganochrétiens. L'apôtre Paul suivit aussi ce courant, tout en comprenant la Bible hébraïque et pouvant, mieux que d'autres, se rendre compte de la grande différence entre les deux Seigneurs. Une série d'exemples caractéristiques empruntés à ses épîtres, nous en fournissent la preuve. Il applique en effet au Christ nombre de passages de l'Ancien Testament où il est formellement question de Dieu. En vertu de cette méthode, il pouvait même trouver le Seigneur Jésus dans l'Écriture partout où il est question de Jahvé ou de l'action divine. Si les Israélites ont trouvé de l'eau à boire au rocher d'Horeb, c'est que le Christ, Rocher spirituel, les suivait à travers le désert du Sinaï'. Le Seigneur Jésus doit même avoir déjà assisté à la création du monde et servi d'instrument entre les mains de Dieu à ce sujet. Il est probable que Paul ne fut pas le premier à s'engager dans cette voie, mais que d'autres docteurs chrétiens héllénistiques l'y avaient précédé '.

1) Comp. Joël II, 32, avec Rom. X, 13; Es. XL, 13, avec I Cor. II, 16; Es. XLV, 23, avec Phil. II, p. 10 s.; Jér. IX, 23, avec I Cor. I, 31, et II Cor. X, 17; Es. XXXIV, 34, avec II Cor. III, 16.

2) Ex. XVII, 1-7.

3) I Cor. X, 4.

4) I Cor. VIII, 6.

5) Bousset, Kyrios Christos, p. 118-122. Comp. J. Weiss, Christus, p. 26-29.

Le Seigneur Jésus, étant un objet d'adoration dans les réunions publiques et privées, intimement rattaché au baptême, à la sainte cène et à d'autres actes du culte, devint ainsi une grandeur présente, vivante, agissante, une puissance divine de premier ordre, se distinguant essentiellement du Fils de l'homme des premiers chrétiens. Le Christ judéochrétien, produit de l'eschatologie juive, est resté une figure eschatologique dans la foi de l'Église. On n'a senti sa présence que passagèrement, dans les visions des jours de Pâques, qui ont donné naissance à la foi nouvelle. Mais après cela il a été recueilli au ciel, pour y rester jusqu'au temps du rétablissement de toutes choses. C'était le Messie futur, qui devait revenir dans sa gloire, pour exercer alors seulement son pouvoir.

Pour les chrétiens du monde hellénistique, au contraire, le Seigneur Jésus est présent dans son Église, qui forme son corps, tandis que lui-même en est la tête ou le chef, les croyants en formant les différents membres. Il est près de chaque fidèle en particulier; car on peut l'invoquer en tout lieu et se laisser guider par lui dans toutes les circonstances de la vie'. C'est basé là-dessus qu'on a pu mettre dans la bouche de Jésus cette parole postérieure : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux‘. »

Nous avons vu que, non seulement le Seigneur Jésus joue un rôle prépondérant dans les Églises hellénistiques, mais aussi son nom. Il faut pourtant nous arrêter encore spécialement à ce dernier point, qui est très instructif. Relevons d'abord le trait correspondant du judaïsme.

1) Act. III, 21.

2) I Cor. X, 17; XII, 12 ss.; Rom. XII, 5; Col. I, 24.

3) I Cor. IV, 19; II Cor. XII, 8; Rom. X, 12 s.; Act. VII, 60.

4) Matth. XVIII, 20. Comp. Bousset, Kyrios Christos, p. 123-125; J. Weiss, Christus, p. 24 s.; le même, Urchristentum, p. 128 s.

« PrejšnjaNaprej »