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(Gen. XLVIII, 22). Nous reviendrons plus loin (ci-après, même § V, E) sur le sanctuaire de Joseph à Sichem dont le souvenir nous est conservé de cette manière, et d'après lequel on peut induire que le héros primitif de la place, dans une forme traditionnelle perdue par ailleurs, était non Jacob, mais Joseph lui-même.

Les paroles de Jacob léguant Sichem à Joseph méritent d'ailleurs attention : ce Sichem, dit-il, « que j'ai conquis sur les Amorites par l'épée et l'arc. » Souvenir clair et vrai de la conquête véritable et de ses actes de guerre, en contradiction, pour Jacob, avec la relation citée tout à l'heure (Gen. XXXIII, 18-20) d'une installation paisiblement négociée avec les Sichémites. On voit se manifester ici la dualité de la tradition qui avait cours, en Israel, sur la manière dont la prise de possession de la Palestine avait été effectuée par les « patriarches >> d'une part, légende d'acquisitions paisibles des indigènes et d'installation amicale au milieu d'eux, d'autre côté, par projection des souvenirs de la conquête historique, cycle d'épisodes d'une implantation imposée par les armes. Cette dernière forme légendaire est en grande partie perdue; on la retrouve, cependant, concurremment avec la forme. des tractations paisibles, dans la légende même de Sichem telle qu'elle était racontée d'autre part, à un stade traditionnel fort ancien puisque J et E, peu différemment l'un de l'autre, en ont eu connaissance.

Il s'agit du surprenant mélange conservé en Gen. XXIV. C'est une imbrication des textes parallèles de J et de E, qu'il faut d'abord séparer. Ce premier travail effectué, portant l'attention, de préférence, sur la relation de J, on se trouve en présence d'une page extrêmement déconcertante au prime abord. C'est comme le cadavre d'une belle histoire épique, lacérée, détournée de son sens et de sa conclusion. La fille de Jacob est aimée du prince sichémite qui l'a enlevée et elle lui rend sa tendresse; les Sichémites viennent offrir aux Jacobites la paix et l'alliance, ils proposent la connubium1, et tout

1. Précieuse indication touchant les conditions réelles des relations des Israélites

cela finissait, en bonne littérature, par l'alliance acceptée et l'installation, tout à fait dans l'esprit de ce qu'on trouve chez E, nous l'avons vu, d'autre part (en XXXIII). Ce n'est point à plaisir, toutefois, qu'on défigura le noble épisode en lui imposant le mécontentement des fils de Jacob, leur ruse et le dénouement sanglant qui s'ensuit; il y eut, très évidemment, recoupement et fusion avec une autre histoire de Sichem comportant un violent acte de guerre, l'histoire même dont on a un écho, sous la plume de E, en ce bref passage de Gen. XLVIII, 22, que nous avons considéré tout à l'heure. Extrêmement dissemblables, comme on voit, les deux histoires se sont contaminées et ont été fondues en l'hybride que J et E, successivement, devaient recueillir.

Retenons de là, en outre, que dès l'époque de J, comme on le trouve chez E, c'est Jacob qui prenait pied dans Sichem et par conséquent fondait le sanctuaire. L'ancienne tradition de Joseph à Sichem, que nous aurons à éclaircir, nous l'avons dit, est donc tout au moins antérieure à J.

Une fondation de sanctuaire est conçue, par la légende primitive, comme une révélation et une conquête; c'est un drame très simple, une sorte de « mystère » à deux personnages, le dieu et le héros inventeur, dont nous connaissons l'ordonnance générale depuis qu'on a expliqué et reconstruit, dans la légende israélite originale, la capitale histoire de la découverte et de la conquête du dieu national par Moïse. En Canaan, nous allons le voir, Jacob avait été le héros d'une invention et d'une victoire semblables dont il est resté de bons vestiges, par fortune, dans la légende transmise; le théâtre de l'aventure n'était pas Sichem. A Sichem, toute trace de l'héroïque et mystérieux accomplissement a disparu ; nous avons seulement le nom du dieu primitif, Baal Berith, El Berith, et pour le stade israélite nous sommes réduits au laconisme orthodoxe de E « Jacob éleva un autel, qu'il appela Dieu qui est le dieu d'Israel. »

avec les indigènes aux premiers temps de l'installation historique; nous en avons parlé ci-avant, § II.

1

«

J n'en savait guère plus, d'après sa transposition en notice brève, au nom d'Abraham, de la fondation de Sichem (XII, 6-7): « Iahve apparut à Abram... Et Abram bâtit là un autel à Iahve, qui lui était apparu ». Immédiatement ensuite, dans cette relation (XII, 8), Abram se transporte à Bethel, << et il dressa ses tentes, ayant Bethel à l'occident et Ha-ai à l'orient. Il bâtit encore là un autel à Iahve... » Nous verrons dans un instant qu'à Bethel, de la manière la plus caractéristique, le héros du lieu est Jacob. Nous avons déjà dit dans quelle intention on fait passer Abraham, avant lui, dans l'une et l'autre place, et il n'est pas douteux que c'est J même1 qui trouve nécessaire de rendre cet hommage à Abraham et de faire bénéficier les sanctuaires de cet honneur. C'est d'ailleurs très incidemment qu'Abraham s'acquitte de son office dans les deux localités; en passant, si l'on peut dire, sur sa route directe « vers le midi » qui le conduit de Harran à Hebron. Mais si minime que soit l'importance que le rédacteur attache à ces stations d'Abraham et à ces fondations, et si brèves que soient les notices correspondantes, il ne reste pas moins que J trouve tout naturel qu'à Bethel, ou bien à Sichem, Abraham paraisse et «< bâtisse un autel », ce qui rend absolument inutile, en logique, que Jacob, après lui, recommence la même chose. Il est clair qu'à l'époque de J, le sens de ces créations divines était tout à fait oblitéré; ce qui explique, d'ailleurs, la triste condition dans laquelle nous retrouvons le récit légendaire des fondations, en débris épars et déformés, méconnaissables. Quelques siècles avant J, lors de l'installa

1. Cf. Meyer, Israeliten, p. 259-260, 274-275; Luther, ibid., p. 158, 162. De manière intéressante, Luther trouve dans le fait une confirmation de ce que l'auteur de J serait un Israélite, non un Judéen comme voudrait Meyer; car jamais un Judéen n'eut envoyé dans le Nord, à Sichem et Bethel, Abraham qui est l'homme d'Hébron essentiellement. Bien noter, d'ailleurs, que la question est encore ouverte ; Renan, jadis (Hist. d'Israël, II, p. 339 n. 1), jugeait que J est du Nord; Gunkel, en 1911 (Die Urgeschichte etc., p. 44), se rencontre avec Ed. Meyer pour considérer J comme Judéen.

2. Les jalons de la route d'Abraham, dans J, sont Harran (XII, 5), Sichem et Bethel (XII, 6-8, à recoudre à XIII, 3-4 par-dessus l'épisode égyptien intercalé) et tout de suite Hebron (XIII, 18).

tion israélite en Canaan, les légendes étaient bien vivantes et comprises, et c'est un grand bonheur pour l'historien, car si aux yeux des prêtres et des lettrés, à cette antique époque, elles n'avaient point comporté le titre justificatif de l'appartenance des sanctuaires, la théologie iahviste n'eût point songé à les emprunter, et peut-être y aurait-il néanmoins des << patriarches », mais ces ancêtres du peuple en Palestine ne seraient point les vieux Cananéens qu'on emprunta avec leur action essentielle, et que nous arrivons à remettre en lumière.

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Nous venons de dire l'essentiel de ce qui concerne Abraham dans Bethel, en même temps qu'Abraham dans Sichem ; nous ne reviendrons plus à ces mentions en quelque sorte accessoires dans la relation de J. Dans J comme dans E, le véritable événement, quant aux origines de Bethel, est celui de la révélation et de l'instauration par Jacob. Cela ressort des versions, bien conservées toutes deux et presque indépendantes quant à la rédaction, que le compilateur a serrées et quelque peu imbriquées au ch. XXVIII; les textes se recouvraient, peut-être, sur une courte section initiale :

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J

15 Et moi je serai avec toi,
partout où tu iras, etc.
16 Alors Jacob s'éveilla et
dit Certes, Iahve est en
ce lieu, et je ne le savais
pas!

19 a Et il nomma ce lieu Bethel.

E

doit être la maison de Dieu! etc.

18 Au matin, de bonne heure, Jacob prit la pierre qui lui avait servi de chevet, la dressa comme monument, et versa de l'huile sur elle. 20-22 (Le vœu de Jacob, pour le cas où la protection de Dieu se manifesterait effective; alors enfin :) 22...cette pierre, que j'ai érigée en monument sera une maison de Dieu, et tout ce que tu me donneras je t'en paierai fidèlement le dixième.

A la place de la vision de l'échelle des anges de E, J n'avait, comme on voit, que la toute simple apparition du dieu parlant à Jacob, mais l'histoire est entièrement la même au fond, avec la même conclusion et le même nom du lieu.

Touchant ce nom de lieu, Bethel, notons immédiatement que si, au stade israélite, il désigne ainsi la ville, dans le récit primitif il a très probablement été le nom du dieu luimême. Les papyrus judéo-araméens d'Éléphantine nous ont restitué ce dieu Bethel, encore actuel chez les Juifs du ve siècle, longtemps après que les adaptateurs des vieilles légendes palestiniennes l'eussent fait disparaître des versions orthodoxes. Particulièrement facile, dans ce cas, fut l'opération de la suppression du nom divin; on n'eut, semble-t-il, qu'à expliquer l'appellation visée en Beth-El, «< maison de Dieu », que J et E, pareillement, devaient recueillir. Mais le vieux nom retrouvé de cette manière, on comprend mieux deux importants passages où le vocable, dans sa primitive fonction sans doute, a échappé au souci destructeur de l'adap

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