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II

LE DIEU NATIONAL EN PALESTINE : RESPECT ET LÉGITIMATION DES SANCTUAIRES INDIGÈNES.

En résumé, et pour extraire de ce qui précède les faits touchant l'histoire des seuls Israélites, on peut supposer que leur conquête de la Palestine était au moins commencée avant l'an 1400, et on les trouve positivement en Palestine au temps du pharaon Mineptah, vers 1230. Le pays dont ils avaient pris possession faisait partie d'un vaste ensemble syrien soumis, depuis le début du Nouvel Empire thébain, soit depuis 1570 ou 1550, à la suzeraineté plus ou moins étroite et plus ou moins régulière du roi d'Egypte, dont la domination en Asie ne prit fin qu'avec la puissance thébaine même, dans le courant du douzième siècle. Les Judéens de la période historique ne gardaient aucun souvenir de cette vassalité subie plusieurs siècles durant, et dont nous ne saurions rien si nous n'avions que la relation biblique. En fait, on comprend bien que pour les siècles de l'installation et de l'organisation, et dans la mémoire des temps ultérieurs, les circonstances de la guerre contre les Cananéens fussent infiniment plus importantes que celles de quelque sujétion à un lointain empire, dont une petite armée parcourait et razziait la Syrie méridionale de temps à autre. Ajouter à cela, d'ailleurs, que pour toute la période qui fut celle de la domination égyptienne, le récit biblique ne comporte guère que des légendes; la relation ne commence à prendre le caractère historique qu'à partir des faits où sont attachés les noms de Debora et de Gédéon, vers la fin du XIIe siècle 1.

Cela n'empêche que la succession et l'enchaînement des faits sont très clairs dans l'ensemble tout au long de lapériode. Ayant effectué leur poussée par l'est et par le sud, les envahisseurs s'étaient consolidés dans la montagne, puis, descendant dans la plaine, avaient progressé par degrés,

1. Meyer, Israeliten, p. 226.

1

encerclant les villes, les réduisant une à une, le plus souvent peut-être passant avec elles des conventions de seigneur à tributaire. Nulle part, à ce qu'il semble, la population indigène ne fut détruite ou même déplacée; en de nombreux endroits du récit, on trouve que les conquérants « ne chassèrent point les Cananéens qui habitaient en telle ou telle place, et qui ont continué d'y résider, avec les Israélites, jusqu'au jour présent », et souvent qu'« on ne put chasser les Cananéens de telle ville, mais ils furent assujettis à un tribut 1». On a le sentiment que la conquête, suivant le plus ordinaire processus d'une « invasion des Barbares », fut une lente et longue poussée à main armée, plutôt qu'une succession de campagnes de guerre véritables, et qu'en dépit de la coutumière férocité des épisodes de combat, il ne s'accomplit rien de plus grave, en général, qu'une dépossession partielle des indigènes. L'état d'équilibre une fois atteint, les deux populations vivaient mêlées inextricablement ; les alliances par mariage, entre elles, étaient de pratique courante3, et les nouveaux venus, comme il était naturel et comme on le relève si souvent encore à l'époque royale, s'adonnaient aux cultes cananéens dans toutes les villes 4.

Le dieu des envahisseurs, de son côté, avait été profondément influencé par le changement de régime du peuple, passé de l'état nomade à l'état sédentaire; la vieille divinité portative de l'arche avait maintenant des autels, des images, des temples, et ces images, on le constate dans plusieurs cas, étaient celles qu'imagine, pour son dieu, un peuple de cultivateurs 5. Nonobstant quoi ce dieu paysan ne cessait pas

1. Josué, XV, 63, XVI, 10; Juges, I, 21, 27-28, 29, 30, 31-32, 33, 35; cf. I Rois, IX, 20-21.

2. Voir le bref tableau de Luther dans Israeliten, p. 157.

3. Allusions désapprobatives de Gen. XXVII, 46, XXVIII, 8; toute l'histoire des Jacobites ct des Sichémites de XXXIV; Juda épousant une Cananéenne, XXXVIII, 1 suiv.; cf., par ailleurs, les mariages cananéens d'Esaü, XXVI, 34-35 et XXXVI, 2 suiv., de signification ethnographique.

4. Cf. Juges, II, 11-13, III, 7-8, etc.; Rois et littérature prophétique, passim. 5. Voir pour tout cela Ed. Meyer, Israeliten, p. 215-127. Sur le Iahve-taureau des sanctuaires de Bethel et de Dan, et particulièrement le « veau d'or » de Bethel

d'être, en même temps, l'antique Iahve de flamme du Sinaï : l'Ancien n'éprouve pas, en matière de religion, le besoin d'une cohérence logique des choses, et l'Israélite palestinien, certainement aussi bien que l'Egyptien lui-même, a toléré sans gêne la juxtaposition des symboles les moins conciliables. Le dieu national ainsi adapté, enfin, on l'installa, par une sorte d'usurpation, dans un grand nombre des lieux de culte anciens du pays. Non qu'il y eût, ici ou là, dépossession décrétée et affirmée, expulsion de la divinité primitive de son domaine; bien plus simplement, le lahve israélite se trouvait un jour, par la vertu de l'affirmation, en place dans la demeure comme occupant légitime et immémorial, et il y cohabitait dès lors avec son prédécesseur, bientôt confondu avec lui, peut-être, ou toujours distingué et nommé différemment, mais sans que jamais cette dualité divine fût ressentie comme une contradiction ou une difficulté. Il convient, ici, de donner attention au mécanisme d'un phénomène étrange au prime abord comme celui-là, point si éloigné qu'on pourrait le croire, toutefois, des mentalités et des procédés religieux d'autres peuples de l'Orient antique.

Représentons-nous, en Palestine, un sanctuaire célèbre, Bethel, ou Beer-sheba, ou bien Sichem, vivace en pleine période royale 1, indestructible comme ce qui plonge ses racines dans le plus lointain passé; en Israel, on attribue sa fondation à Isaac, à Jacob, à Abraham, ce que nous étudierons plus loin, mais d'où il appert immédiatement que le lieu sacré existait de temps immémorial lorsque les Israélites arrivèrent dans le pays. Or, dans la tradition israélite ancienne, rien de plus purement israélite que ce sanctuaire; il est donc nécessaire que, de manière ou d'autre, il ait été israélitisé, corrélativement avec les événements de la conquête. Et la première image qui vient à l'esprit est celle d'une intronisation solennelle du dieu nouveau venu,

cf. Dussaud, Les origines cananéennes du sacrifice israélile (1921), p. 231, 233,

243-244.

1. Amos, V, 5, VIII, 14.

après l'expulsion, la dépossession brutale et explicite du Cananéen. Cette image est fausse; elle est extrêmement contraire aux possibilités et à la nature des choses.

Il est d'expérience historique constante, tout d'abord, que lorsqu'on est l'envahisseur barbare et qu'on doit vivre avec une population indigène prédominante par le nombre, riche, civilisée, perturbée dans son organisation politique mais dont le fonctionnement social est intact en fin de compte, on ne peut traiter avec mépris les sacerdoces constitués, devenus les centres vitaux des peuples décapités et plus ou moins réellement assujettis. Tout différemment, le vainqueur est obligé de composer avec ces organismes, et sous peine, sans doute, de rencontrer dans son gouvernement des difficultés trop grosses, de se concilier leur bienveillance. Mais surtout, et indépendamment des considérations d'ordre pratique, il y a ceci, que l'étranger vainqueur est impuissant contre un dieu dans sa place. Car ce dieu rencontré, le Cananéen dans sa ville cananéenne, en la circonstance qui nous occupe, a une existence tout aussi réelle, à l'esprit de l'Israélite, que son dieu à lui-même, et c'est une notion fondamentale de la religion de ces Anciens, que seuls ont de l'action sur le dieu ses propriétaires éprouvés, les détenteurs de ses secrets, de son nom, des formules qui contraignent son geste, de son oracle, c'est-à-dire ses prêtres. Le dieu ne quitterait sa place que sur l'injonction du prêtre, et pour se débarrasser du dieu, rien ne serait moins efficace que d'exterminer son personnel sacerdotal, car il resterait la divinité irritée, avide de vengeance et auprès de qui l'on n'aurait plus même un interprète. Point autre chose à faire, donc, que de s'entendre avec les prêtres pour que le dieu ne soit point hostile; cela ressortait déjà des seules conditions politiques de la situation. Le dominateur étranger respectera le sanctuaire et le sacerdoce indigène, dont l'attitude sera plus ou moins amicale suivant l'opportunité, et par qui le vieux dieu continuera d'agir en toutes ses fonctions1.

1. Les choses se passèrent toujours ainsi, notamment, en Égypte, où les temples

Mais les choses étant ainsi, le peuple des conquérants se joindra immédiatement aux indigènes dans tous les actes du vieux culte. L'usage d'un oracle est précieux, une pratique cultuelle est surtout utile, et vers une divinité vivante et opérante l'entraînement des hommes est tellement irrésistible, qu'on ne saurait songer même à réprimer ou interdire. Pour Jahve nouveau venu, peu installé et forcément mal doté à l'origine, le danger est grand de diminuer ou de s'éteindre. Pour le sauver, on recourt au procédé merveilleusement simple qui consiste à le substituer par hypothèse, à le superposer à l'occupant ancien, en déclarant que c'est lui, Iahve israélite, qui est et a toujours été le dieu de la place. On emprunte et on transpose, à l'appui, tous les éléments de légende locale qui peuvent convenir. Il est indéniable que cette opération comporte usurpation, mais toute idéale, usurpation de légendes pour telle ou telle figure de la tradition d'Israel, usurpation de qualité, si l'on peut dire, pour le dieu. Nul geste autoritaire, d'ailleurs, nul éclat, et rien qui rappelle un acte introductif quelconque, puisqu'on entend que le dieu a résidé là dès les origines. Lorsqu'on s'attache à complètement dégager le sens des relations ainsi supposées et introduites, on aperçoit qu'elles donnent sûreté au dieu menacé d'oubli, mais qu'aussi et surtout, peut-être, elles reviennent à légitimer, pour les Israélites, en les classant iahvistes et orthodoxes, un sanctuaire et un culte auxquels les Israélites se porteraient avec le même empressement, et bien plus fâcheusement pour la religion nationale, si cette légitimation n'était pas effectuée.

Avant d'aller plus loin, et pour vérifier l'exactitude du procédé que nous décrivons en général de cette manière, nous noterons que dans l'histoire d'Israel on en relève, en dehors de ce qui concerne les sanctuaires palestiniens, quelques exemples authentiques. On est éclairé depuis longtemps sur le cas de cette Palmeraie du bord de la mer Rouge que décrit

avant

furent traités avec la plus prudente et la plus libérale bienveillance par les conquési maltraités par la légende égyptienne d'époque grecque de bénéficier des mêmes dispositions chez les Ptolémées, puis chez les empereurs.

rants perses

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