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La fête de 'Achoura chez les Chiites de Damas

célébrée dans le village de Sit1.

Sans vouloir rappeler l'histoire des partisans d'Ali, les Chiites, il m'a paru toutefois indispensable d'esquisser à grandes lignes une période importante de cette histoire pour permettre aux profanes de connaître l'origine de la fête célébrée aujourd'hui, son caractère pittoresque et son cérémonial.

ORIGINE DE LA FÊTE

En 680 de l'ère chrétienne, à la mort de Mo'awiah, Yazid, fils de ce dernier, monte sur le trône des Omayades à Damas. Mais bon nombre de musulmans ne veulent point le reconnaître comme khalife. C'est pour cette raison que les habitants de Koufa envoient une lettre à Hossein, fils d'Ali et de Fatima, fille du Prophète, l'appelant à eux pour lui conférer le titre de khalife. Après avoir envoyé son cousin, Moslim Ben 'Aqil, comme gouverneur à Koufa, Hossein sort de la Mecque pour rejoindre son parent. Mais arrivé à Sarraf, il apprend la mort de ce dernier, condamné par le lieutenant de Yazid. Obligé par le commandant des troupes omayades de s'arrêter à Karbala, point dépourvu d'eau, il est contraint, deux jours après, d'accepter le combat. Le 10 moharrem de l'an 61 de l'hégire, pendant la bataille, Hossein a soif; il se rend à un point d'eau pour boire, mais avant d'y arriver, il reçoit un trait dans la bouche et périt

1. A 12 kilomètres au sud-est de Damas.

avec bon nombre des membres de sa famille. Son fils Zain El Abidin, ses femmes, ses enfants et les survivants de sa famille sont amenés en captivité à Damas.

LE CARACTÈRE CÉRÉMONIAL.

Les Persans ont embrassé l'islam tout en conservant l'originalité et les particularités qui les caractérisent. Leur esprit devait bientôt se manifester par des réactions mystiques telles que le soufisme sous les Abbassides. Les Chiites persans et ils sont nombreux-ont introduit dans la fête commémorative du meurtre de Hossein, un cérémonial, désapprouvé, hâtons-nous de le dire, par les musulmans orthodoxes.

PRÉLIMINAIRES DE LA FÊTE.

Dès le premier jour de moharrem, les Chiites de Damas, surtout persans, se réunissent le soir, soit dans la maison du Grand Saïd Moḥsen, soit dans celle d'un notable, pour assister à la lecture, dans un livre appelé Safinat at Ta'aziat, du chapitre relatant les événements survenus ce jour à Hossein. Ce chapitre est lu et relu, par des hommes choisis à cet effet, jusqu'à une heure avancée de la nuit. A ce moment, chacun rentre chez soi, pour revenir le lendemain entendre la lecture des chapitres suivants. Dès ce jour les Chiites prennent un air triste et s'abstiennent de boire de l'eau en souvenir des souffrances que durent endurer Hossein et ses partisans privés d'eau pendant trois jours.

Le 9 moharrem, presque tous les Chiites de Damas sè rendent, dans l'après-midi, au village de Sit, à 12 kilomètres au sud-est de cette ville, pour veiller toute la nuit dans la mosquée construite près de la tombe de Zaïnab, petite fille du Prophète et fille d'Ali dite « Omm el massayeb » (la mère des malheurs) et pour assister à la lecture du chapitre de la Safinat. Les femmes viennent se placer dans un endroit qui leur est spécialement affecté et d'où elles peuvent entendre la lecture sans toutefois pénétrer dans la mosquée. Toute

la nuit on n'entend que de longs gémissements et des sanglots qui interrompent la voix larmoyante du lecteur.

En même temps, et beaucoup plus nombreux que les acteurs de la fête, les spectateurs affluent de Damas.

LA FÊTE.

Le 10 moharrem au matin (24 août 1923), une foule de trois à quatre mille personnes encombre la mosquée, sa cour et les environs immédiats. Des drapeaux noirs sont hissés sur le minaret et à l'entrée de la mosquée.

A l'intérieur de celle-ci, le lecteur récite-la partie de la Safinal consacrée à la bataille de Karbala. Il évoque, sur un ton lamentable, la défaite et la mort de Hossein, le nombre des coups qu'il reçut, les tortures et les mauvais traitements que les Omayades firent subir à sa famille et à ses parents, tous descendants authentiques du Prophète. Des soupirs, des gémissements, des lamentations interrompent sa lecture; des cris particuliers: «ouli ouli » sont poussés par les femmes, alors que les hommes laissent échapper des hurlements en se frappant la poitrine, la figure, la tête et en déchirant leur chemise.

Après avoir donné deux ou trois fois lecture de ce récit, soudain une cinquantaine de jeunes gens, pieds nus, tête nuc, un linge blanc attaché autour du cou et portant en main des faucilles, des poignards, des couteaux, font leur apparition dans la cour de la mosquée. Ils se sont déjà, la veille, fait une sorte de tonsure au sommet de leur tête. Ils se mettent en cercle en se tenant les uns les autres par la main gauche.

A un signal donné, un tambour de basque, une paire de cymbales et une trompette jouent ensemble un air triste et monotone. Avec le tranchant des armes les jeunes gens se portent des coups sur la tête; le sang jaillit, coule sur la figure, sur le linge, puis ils partent tous du même pied en répétant, comme un râle et en cadence « Ali! Haidar! Ali ! Haidar! ». Des cris assourdissants de femmes qui se frappent

la figure, qui arrachent leurs cheveux, s'élèvent; des hurlements et des gémissements d'hommes éclatent. Parmi les assistants, on en trouve cependant quelques-uns qui se tiennent tranquillement dans un coin et se contentent d'essuyer leurs larmes de la paume de leurs mains. En même temps que la main droite armée levée au-dessus de la tête, se rabat, le pied droit frappe la terre. Des hommes accourent et se précipitent au milieu du cercle; les uns pour exciter les exécutants par leurs cris rauques et répétés : Haidar! Ali!, les autres avec des mouchoirs en main pour essuyer le sang qui coule sur les figures. D'autres encore se tiennent derrière les jeunes gens, portant dans la main droite un bâton pour parer les coups des couteaux et ne les laisser toucher la tête que pour faire couler de nouveau le sang déjà sec. Le bruit, le tumulte et ies piétinements vont en crescendo, puis, petit à petit, tout s'apaise pour recommencer de plus belle. Vers dix heures tout le monde quitte la cour pour faire deux fois le tour de la mosquée. Un Saïd prend la main d'un des jeunes gens qui forment le cercle, et l'entraîne vers la sortie; les autres le suivent. Puis, soudain, apparaît, marchant en ordre, le cortège suivant :

Trois ou quatre étendards noirs portés par des enfants qui crient O Ali! O Hassan! O Hossein!

Les jeunes gens qui formaient le cercle devant la mosquée viennent ensuite tout en continuant leurs piétinements, leurs cris et leurs coups de couteaux sur la tête.

Une huitaine de cavaliers, représentant les hommes de Hossein faits prisonniers par les Omayades, suivent aussitôt après. Ils sont coiffés de perruques traversées par un sabre. Les figures des cavaliers, habillés de rouge, sont tachées de sang. Les chevaux sont couverts chacun d'une housse qui, de même que les habits des cavaliers, est parsemée de bouts de bois en forme de traits. Ces cavaliers crient à leur tour: O Ali! O Hassan! O Hossein!

Suit immédiatement après, une sorte de palanquin en bois recouvert de satin blanc brodé de fils dorés. Trois fillettes, habillées de noir, ayant la figure et les mains tachées de sang

:

et les cheveux flottant sur les épaules, y sont installées. Elles crient 0 Hassan! O Hossein! pleurent, balancent la tête d'arrière en avant, lèvent et remuent les mains en l'air. A les voir, à entendre leurs cris touchants, on dirait qu'elles sont vraiment les malheureuses filles de Hossein. Le palanquin est porté par huit hommes qui sont relevés à tour de rôle et qui, de la manche de leurs vestes, épongent leurs larmes et s'essuient le nez.

Derrière le palanquin vient un chameau sur lequel est monté un jeune homme habillé de noir. Ce jeune homme a la taille serrée avec une bande d'étoffe verte et la tête coiffée d'un turban de la même couleur. Il a en main le Qoran. Ses pieds et son corps sont entourés d'une chaîne en fer. C'est Zain El Abidin, fils de Hossein.

Apparaît ensuite un cavalier habillé en rouge, coiffé d'un casque en fer surmonté d'un panache gris. Il représente Yazid ben Mo'awiah, bien que ce dernier n'ait pas été présent à Karbala. Il tient dans la main un sabre et porte un bouclier sur le dos. Deux cavaliers le suivent, qui ont des armes et des habits semblables aux siens.

Une dizaine d'enfants, portant des robes blanches tachées de sang, viennent ensuite escortés par un fantassin de Yazid. Ce sont les fils de Hossein et de ses compagnons.

Vient ensuite un homme faisant le mort, étendu sur une civière portée par huit hommes. Un linceul blanc plein de sang l'entoure. Trois colombes blanches reposent sur sa poitrine et ne veulent point le quitter. Ce sont les trois colombes qui, selon la légende, vinrent, après la mort de Hossein, se laver la tête et les ailes dans son sang tout en restant sur son cadavre.

Plus d'une centaine d'hommes, croisant les mains sur la poitrine, se succèdent ensuite. Suivant tous une même cadence, ils lèvent leurs mains en avant et les laissent retomber sur la poitrine.

Dès que le cortège est en place, les fidèles se portent en avant pour faire deux fois le tour de la mosquée et du jardin y attenant.

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